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Une lettre de Mgr Negri à "Il Foglio"

Un pasteur alarmé face à des positions et des politiques qui affirment que «l'homme est Dieu» . Certains passages s'appliquent spécifiquement aux vicissitudes italiennes actuelles, mais d'autres, à ce qui se passe en ce moment en France (21/4/2013)

Les passages "italiens" ont été mis en italique... Ils nécessitent une recherche plus approfondie.

Mgr Negri en appelle vigoureusement ses frères évêques à une meilleure formation des laïcs. Je suppose que le problème est crucial aussi en France.

Pour mémoire: le directeur de Il Foglio est le fameux "athée dévot" Giuliano Ferrarra....

     

Texte en italien: CR
Ma traduction.
(Original: Il Foglio 19/04/2013)

Cher Directeur, puisque je suis presque toujours d'accord avec toi sur tes positions du point de vue politico-culturel, je me permets de t'envoyer des commentaires qu'il me semble absolument nécessaire, en toute conscience, de formuler et de publier.

J'y suis poussé par deux beaux articles que j'ai lus récemment sur l'ordre socio-politico-culturel en ce moment tragi-comique de notre histoire nationale.

L'un est un article du professeur Francesco Alberoni sur le fanatisme dévastateur de certaines positions politiques, qui m'a rappelé les temps inoubliables de mes études universitaires, quand le jeune professeur Alberoni nous enseignait les rudiments de sociologie. Et puis l'article très pointu du professeur Aldo Grasso avec qui j'ai partagé de nombreuses années d'enseignement à la Cattolica.

Je n'interviendrai pas dans le contexte spécifique de l'engagement des laïcs, surtout des laïcs qui ont décidé de participer activement à la vie des institutions. Ce n'est pas aux évêques d'établir le portrait-robot du président de la République et ce n'est pas aux évêques d'indiquer les priorités de nature politique au sens strict, mais il appartient aux évêques d'intervenir sur les graves événements de nature culturelle qui sont arrivés dans notre pays, à un niveau de crise qui me semble sans retour.

Je me demandais s'il est juste que nous continuions à garder le silence face à des positions culturelles, sociales et politiques qui affirment littéralement que l'homme est Dieu, et qui revendiquent une subordination totale et paroxystique au réseau (ndt: le mot utilisé est "rete", que l'on peut traduire par internet, et même dans le contexte, je ne suis pas sûre du sens...), désigné comme solution globale à tous les problèmes de l'humanité.
Je me demandais si l'on peut garder le silence face à un comportement dans la vie politique, qui méprise, par le langage et les attitudes, tout interlocuteur qui est immédiatement perçu comme un adversaire à éliminer.
S'il est possible de faire prévaloir toute une série d'évaluations de caractère personnaliste ou moraliste comme contexte pour décider la présentabilité ou non des candidats à telle ou telle responsabilité. En dehors de l'ignorance épouvantable qui fait que l'on peut citer des phrases du début de l'hitlérisme et certains documents des pires dictatures du XXe siècle en essayant de lui donner un permis de crédibilité et d'autorité. Dans ce contexte, où une personne raisonnable est vraiment mal à l'aise, je pense qu'il est juste qu'un évêque de l'Eglise catholique dise qu'il y a une incompatibilité substantielle entre la vision de la réalité qui nait de la foi, et cette vie politique réduite à la défense acharnée de ses propres intérêts ou de formation idéologique.

Je ne pense pas qu'il soit juste que nous puissions continuer dans une équivoque tolérance envers des positions qui sont objectivement destructrices, non seulement et non tant pour la foi catholique, mais pour une vie sociale authentiquement fondée sur des valeurs de fond, auxquelles on ne peut déroger, celles que Benoît XVI avait si génialement résumées dans l'expression «valeurs non négociables».

Face à la proposition d'une vie socio-politique réduite à des positions théoriques démentes, accompagnées d'un langage et d'attitudes connexes de même type, je sens que je peux dire tranquillement, au moins aux fidèles catholiques de mon diocèse, que l'on ne peut pas être un chrétien et appuyer simultanément les positions et les choix qui sont manifestement contraires à la conception de la vie que l'Église, toujours, et de façon cohérente, enseigne depuis deux mille ans. Si donc la nouveauté est représentée, y compris au niveau institutionnel, par des projets de loi qui ont trait à la reconnaissance civile des unions homosexuelles, au changement de sexe aux frais de la Sécurité Sociale, on voit dans quelle direction vont ces prétendues nouveautés.

Mais il y a encore un malaise supplémentaire. Je me suis demandé ces jours-ci: mais où est la présence politique des catholiques en Italie? Ils sont caractérisés par des choix politiques qu'ils font, à droite ou à gauche, mais pas pour l'adhésion réelle aux valeurs en vertu desquelles deviennent possible un véritable dialogue, la confrontation et à la limite, la collaboration.

J'ai réalisé avec amertume que la présence des catholiques dans la vie politique ne semble plus exister. Il existe des catholiques qui, à titre de plus en plus personnel, donc dans le sens restrictif du terme, militent ici ou là, mais ils tirent leur dignité du choix d'analyse qu'ils ont fait. Et peut-être que ce qui est en jeu ici n'est pas seulement la responsabilité des laïcs. Peut-être que l'action éducative que nous devons de toute urgence reprendre avec nos laïcs, en particulier ceux qui sont engagés dans les milieux les plus difficiles, semble avoir échoué. Je ne sais pas si elle existe encore. Le fait demeure que de notre part à nous, évêques, elle est offerte de manière de plus en plus fade, de moins en moins mordante.
Ce n'est pas une contribution mais je ne pense pas que je pouvais taire aux fidèles de mon diocèse cette directive qu'il m'a semblé nécessaire de donner.

Puisque l'évêque d'un diocèse particulier vit et doit vivre une affection pour l'Eglise universelle, je mets mon discours à la disposition de ceux qui, dans d'autres églises, peuvent se reconnaître et se retrouver en lui.
(Il Foglio du 19/04/2013)

Luigi Negri
archevêque de Ferrare - Comacchio