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Ces messes célébrées devant des foules immenses

Le problème est forcément d'une grande actualité, alors que les JMJ de Rio viennent de commencer. Voici ce que répondait Benoît XVI à un prêtre romain le 7 février 2008 (24/7/2013)

Les 1er et 2 septembre 2007, Benoît XVI s'était rendu à Lorette, un lieu de pélerinage marial du centre de l'Italie, pour un voyage pastoral de 2 jours, à l'occasion de 'L'Agora des Jeunes', sorte de répétition des JMJ de Sidney. (cf. Quand Benoît parlait aux jeunes )
Le dimanche 2 septembre, il célébrait la messe devant près de 500 mille personnes.

Le 7 février suivant, il recevait comme d'habitude au début du Carême le clergé romain (souvenons-nous de son extraordinaire lectio, le 14 février 2013, où il a raconté comme à brûle-pourpoint "son" Concile - benoit-et-moi.fr/2013-I/la-voix-du-pape/lextraordinaire-lectio-devant-ses-pretres.php ), et répondait aux questions de ses prêtres.
Parmi eux, il y en avait un qui s’était rendu avec les jeunes de sa paroisse à Loreto pour la veillée et la messe avec Benoît XVI; il disait avoir relevé "une certaine distance entre le pape et les jeunes" et un écart encore plus grand entre la solennité de la messe et le sentiment de participation des centaines de milliers de jeunes qui étaient présents à ce rassemblement. Il concluait par cette question: "Comment concilier le trésor de la liturgie dans toute sa solennité avec le sentiment, la sensibilité et l’émotivité des masses des jeunes appelés à y participer?".

(échange complet sur le site du Vatican)

     

Question

Je suis le Père Alberto Orlando, vicaire de la paroisse de "Santa Maria Madre della Provvidenza".
Je voudrais vous soumettre une difficulté que j'ai vécue à Lorette avec les jeunes, l'an dernier.
A Lorette, nous avons passé une journée magnifique, mais parmi toutes ces belles choses, nous avons noté une certaine distance entre Vous et les jeunes. Nous sommes arrivés l'après-midi. Nous ne sommes parvenus ni à nous installer, ni à voir, ni à entendre. Puis, quand le soir est arrivé, vous êtes parti et nous nous sommes retrouvés livrés à la télévision, qui dans un certain sens nous a été imposée.
Mais les jeunes ont besoin de chaleur.
Une jeune fille par exemple m'a dit: "Normalement le Pape nous appelle "chers jeunes", en revanche aujourd'hui il nous a appelés "mes jeunes amis". Et elle en était très contente.
Pourquoi ne pas souligner ce détail, cette proximité? La liaison télévisée avec Lorette également était très froide, très lointaine; le moment de la prière aussi a créé des difficultés parce qu'il était troublé par des sources de lumière qui sont restées éteintes très tard, au moins jusqu'à la fin de la retransmission télévisée.
En revanche, la deuxième chose qui nous a créé des difficultés a été la liturgie du jour suivant, un peu pesante notamment du point de vue des chants et de la musique. Au moment de l'Alléluia, pour vous donner un exemple, une jeune fille a noté que, malgré la chaleur, ces chansons et ces musiques se prolongeaient très longuement, comme si personne ne s'était préoccupé des désagréments de ceux qui se retrouvaient à l'étroit dans une foule très dense. Et il s'agissait de jeunes qui vont à la Messe tous les dimanches.
J'aurais deux questions: pourquoi cette distance entre eux et vous; et comment concilier le trésor de la liturgie dans toute sa solennité avec le sentiment, l'affection et l'émotivité qui nourrissent les jeunes et dont ils ont tant besoin?
Je voudrais également un conseil: comment pouvons-nous régler l'équilibre entre solennité et émotivité. Notamment aussi parce nous-mêmes, nous nous demandons souvent en tant que prêtres dans quelle mesure nous sommes capables de vivre avec simplicité l'émotion et le sentiment. Puisque nous sommes les ministres du sacrement, nous voudrions être en mesure d'orienter le sentiment et l'émotivité vers le juste équilibre.

Réponse du Pape

Le premier point que vous m'avez soumis est lié à l'organisation: je l'ai trouvée ainsi, et je ne sais pas s'il était possible de l'organiser éventuellement d'une meilleure manière. Vu les milliers de personnes qui étaient présentes, il était impossible, me semble-t-il, de parvenir à ce que tous puissent être proches de la même façon. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons suivi un itinéraire en voiture, pour essayer d'être proche de chacun. Mais nous prendrons cela en compte et nous verrons si à l'avenir, lors d'autres rencontres avec des milliers et des milliers de personnes, il sera possible de faire quelque chose de différent. Il me semble toutefois important que grandisse le sentiment d'une proximité intérieure, qui sache trouver le pont qui unit même lorsque l'on est éloigné dans l'espace.

En revanche, un grand problème se pose pour les liturgies auxquelles participent des milliers de personnes. Je me souviens qu'en 1960, au cours du grand congrès eucharistique international de Munich, on tentait de donner une nouvelle physionomie aux congrès eucharistiques, qui jusqu'alors étaient seulement des actes d'adoration. On souhaitait placer au cœur la célébration de l'Eucharistie comme acte de la présence du mystère célébré. Mais s'est immédiatement posée la question de savoir comment cela serait possible. Pour adorer, disait-on, on peut aussi être à distance; mais pour célébrer, une communauté limitée est nécessaire, qui puisse interagir avec le mystère, donc une communauté qui devait constituer une assemblée autour de la célébration du mystère. Beaucoup étaient contraires à la célébration en public avec cent mille personnes. Ils disaient que cela n'était pas possible en raison de la structure même de l'Eucharistie, qui exige la communauté pour la communion. Il y avait également de grandes personnalités, très respectables, qui étaient contraires à cette solution. Puis le Professeur Jungmann, un grand liturgiste, l'un des grands architectes de la réforme liturgique, a créé le concept de statio orbis, c'est-à-dire il est revenu à la statio Romae où, précisément à l'époque du Carême, les fidèles se réunissent à un endroit, la statio: ils sont donc en statio comme les soldats pour le Christ, puis ils se rendent ensemble à l'Eucharistie. Si cela, a-t-il dit, était la statio de la ville de Rome, où la ville de Rome se réunit, alors il s'agit de la statio orbis. Et depuis lors, nous avons des célébrations eucharistiques avec la participation des foules. Selon moi, je dois dire, cela reste un problème, parce que la communion concrète dans la célébration est fondamentale et donc je ne pense pas que la réponse définitive ait vraiment été trouvée. J'ai également soulevé cette question lors du dernier Synode, qui n'a toutefois pas trouvé de réponse. J'ai fait poser une autre question, sur la concélébration en masse: parce que si, par exemple, mille prêtres concélèbrent, on ne sait pas si subsiste encore la structure voulue par le Seigneur. Mais dans tous les cas, ce sont des questions. Et ainsi s'est présentée à vous la difficulté de participer à une célébration de masse au cours de laquelle il n'est pas possible que tous soient également impliqués. Il faut par conséquent choisir un certain style, pour conserver la dignité qui est toujours nécessaire à l'Eucharistie, et donc la communauté n'est pas uniforme et l'expérience de la participation à l'événement est différente; pour certains elle est assurément insuffisante. Mais cela ne dépendait pas de moi, mais plutôt de ceux qui se sont chargés de la préparation.

Il faut bien réfléchir sur ce qu'il faut faire dans ces situations, comment répondre aux défis de cette situation. Si je ne me trompe pas, c'était un orchestre de personnes handicapées qui interprétait la musique et les chants et sans doute l'idée était précisément de faire comprendre que les handicapés peuvent être les animateurs de la sainte célébration et qu'ils ne doivent absolument pas en être exclus mais en être les premiers agents. Et tous ainsi, puisqu'on les aimait, ne se sont pas sentis exclus mais impliqués. Cela me semble une réflexion tout à fait respectable et je la partage. Mais naturellement, le problème fondamental demeure. Ici aussi, toutefois, me semble-t-il, en sachant ce qu'est l'Eucharistie, même si l'on n'a pas la possibilité d'une activité extérieure comme on le désirerait pour ressentir une participation, on y entre avec le cœur, comme dit l'antique impératif de l'Eglise, créé peut-être précisément pour ceux qui étaient derrière la basilique: "Hauts les cœurs! A présent nous sortons tous de nous-mêmes, ainsi sommes-nous tous avec le Seigneur et nous sommes ensemble". Comme je l'ai dit, je ne nie pas le problème, mais si nous suivons réellement cette parole "Hauts les cœurs" nous trouverons tous, même dans des situations difficiles et parfois discutables, la vraie participation active.

     

Apparemment, cette prise de conscience du Pape d'un problème concret à travers un échange verbal n'est pas restée lettre morte.
Paolo Rodari écrivait peu de temps après:


Et donc, voici la solution, pour l'instant encore partielle, mais de toute façon nécessaire, en vue des prochaines messes "océaniques": les deux qui auront lieu à l'occasion du voyage apostolique aux Etats Unis (le 17 avril dans le nouveau National Park, et le 20 avril au Yankee Stadium de New-York) et celles prévues à l'occasion de la journée mondiale de la jeunesse de Sydney.
Aux USA, et ensuite en Australie, le Pape a décidé de ne plus déléguer à des tiers l'organisation des célébrations.
Et donc, il a demandé que, dans les jours qui suivent, ce soit son cérémoniaire, Mgr Guido Marini, qui s'envole par delà l'Océan (Pacifique ou Atlantique) avec la charge précise d'étudier les espaces affectés aux fonctions liturgiques afin d'assumer la responsabilité directe du déroulement des célébrations dans ces espaces.
Pour que le résultat soit des messes certes "océaniques", mais au moins marquées le plus possible par la tenue et la rigueur.

(http://benoit-et-moi.fr/2008-I)