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Comment fonctionne la Curie Romaine?

Et comment travaille le Pape? Le mot "curie" n'est pas prononcé une seule fois, mais c'est bien ce milieu que décrit le cardinal Ratzinger en 1997, dans le livre interviewe avec Peter Seewald "Le sel de la Terre" (17/7/2013).

"Dans l'ensemble, toutefois, je suis très satisfait de notre vie dans la congrégation. Ce qui me gêne personnellement, c'est qu'il y aurait trop à faire".

A la veille de la profonde réforme si annoncée, et si invoquée par tous, le témoignage d'un cardinal de Curie de premier plan, certes atypique, a-t-il en encore au moins une valeur de document? Ou bien est-il à ranger au musée des antiquités, et François veut-il vraiment faire "table rase" du passé?
A dire vrai, nous n'en avons pas la moindre idée.

>>> Extrait du livre "Le Sel de la Terre" (Ed Flammarion/Cerf, 2005, pages 106 et suivantes)

     

- En quoi consiste donc pratiquement votre collaboration [avec JP II] ? Vous voyez-vous souvent ?

- Il y a d'abord le rythme de la routine. Le préfet de la congrégation a normalement audience chez le pape tous les vendredis soir, et il lui transmet les résultats des travaux effectués par la congrégation des cardinaux (une fois par mois, c'est le secrétaire qui le fait, parfois aussi l'audience n'a pas lieu). C'est ainsi que nous présentons normalement notre travail au pape. Il a aussi les dossiers en main. Nous discutons les résultats, le pape prend ensuite la décision. En outre, des rencontres peuvent être organisées en cas de situations extraordinaires.
Paul VI déjà s'était toujours gardé un jour libre, le mardi, et le pape actuel a repris cette habitude. Il l'utilise volontiers pour réunir une table ronde, pendant une heure ou une heure et demie avant le déjeuner ; les participants déjeunent ensuite avec lui, si bien que de midi à trois heures on peut discuter tous ensemble. Cela se produit avec une régularité relative, et c'est la deuxième catégorie de rencontres. Le cercle y est un peu plus large, tandis que, pendant l'audience du vendredi, le préfet est seul avec le pape.
Le pape réunit selon les besoins une table ronde différemment composée - par exemple, tout un groupe d'évêques d'un seul pays. Chacun expose brièvement son point de vue, et à partir de là on discute. Le pape veut d'abord prendre connaissance des informations, afin de comprendre les arguments des deux côtés, s'ils sont différents, et pour laisser venir peu à peu les bonnes décisions. Les deux rencontres essentielles sont donc l'audience du vendredi, et ces discussions de midi, où l'on échange ses idées.

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- Pouvez-vous nous donner un exemple des sujets qui sont abordés ?

- Ce sont toutes les affaires qui donnent lieu ensuite à des décisions. Cela peut être les questions posées par la théologie de la libération, ou par la fonction des théologiens dans l'Église, les questions de la bioéthique, etc. : tous les sujets qui relèvent de la congrégation.
S'il s'agit de grands projets, les documents sont échangés à intervalles réguliers. Quand, par exemple, une encyclique est en préparation, on discute d'abord de la manière dont elle doit être abordée. Puis vient une première ébauche, on en parle ensemble. Les grands thèmes ne lui sont jamais présentés pour ainsi dire à l'improviste, mais ils sont discutés à fond en plusieurs étapes. Le pape en suit tous les stades et intervient lui aussi.

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- Demande-t-il plus tard ce qu'il en est advenu ?

- Si nous ne l'informons pas, oui, bien sûr.

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- Comme chef d’État, le pape est le dernier souverain absolu d'Europe, comme chef de /Église et successeur des apôtres, il est l'ultime instance de la foi. Le Vatican passe pour avoir fait son temps. On dit que c'est un cercle de vieillards hors course, qui se suffit à lui-même, qui n’est plus en relation avec les soucis et les détresses de la communauté du dehors. Un exemple en est, dit-on, la lenteur proverbiale du Vatican, qui boite infiniment loin derrière le temps. Vous qui êtes à l'intérieur, quelle image avez-vous du Vatican ?

- Distinguons maintenant entre l'État du Vatican, où le pape est chef d'État ; il est donc exact qu'en théorie il détient seul tous les droits, mais dans les faits il n'exerce guère sa fonction de dirigeant. C'est un État minuscule, mais où il y a naturellement aussi des tâches administratives ; pour les exécuter, il y a ce que l'on appelle un governatore, une sorte de gouvernement particulier du Vatican.
À présent, les collaborateurs sont représentés, si bien que l'on ne gouverne plus selon des formes aussi désuètes que l'on peut le penser.
Pour répondre à votre autre question : le pape est le premier gardien de la foi, c'est juste, pourtant il ne décide pas en souverain absolu, mais essentiellement en écoutant le collège des évêques. Il est vrai qu'une certaine lenteur est particulière au Vatican, c'est tout simplement que les décisions doivent traverser tant d'instances, et que cela correspond aussi au devoir d'exactitude. D'autre part, cette lenteur vient aussi du petit nombre de personnel, et dans un endroit où tant de choses sont traitées en même temps, on ne peut pas faire avancer très vite les cas individuels. Je ne considère pas cela comme un inconvénient. Dans une affaire comme la direction de l'Église, la hâte serait mal venue, et la patience est un bon instrument. Bien des questions se règlent aussi parce qu'on les laisse d'abord suivre leur chemin et que l'on n'intervient pas trop vite.
Il est exact que le cercle des cardinaux est un cercle d'hommes âgés, ou en tout cas d'hommes qui ne sont plus jeunes. L'avantage, c'est que les décisions générales ne sont pas précipitées, qu'il y a là une grande expérience de la vie et que cela peut rendre prudent. Il faut aussi veiller, bien sûr, à ce que l'élément de la jeunesse soit représenté. Une règle générale stipule que les collaborateurs, quand ils entrent parmi nous, doivent avoir moins de trente-cinq ans et ne doivent pas non plus rester éternellement, si bien que l'âge moyen des collaborateurs apporte aussi d'autres aspects.

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- On dit que le principal, au Vatican, c'est de savoir comment fonctionnent les jeux du pouvoir, et que l'on doit aussi apprendre à en jouer.

- Cet aspect peut se trouver aussi : on fait une carrière politique, on essaie de se placer à temps du bon côté afin d'avancer et de ne pas être brusquement éjecté. Ces choses existent, car nous sommes tout simplement des hommes. Je dois dire que j'en sais moi-même fort peu. Je suis entré ici comme cardinal, je n'avais donc pas besoin de jouer pour conquérir le pouvoir ou chercher à faire carrière. Aussi cela ne m'intéresse pas tellement.

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- Y a-t-il donc quelque chose qui vous dérange au Vatican ?

- Je crois que l'on pourrait un peu réduire l'administration; bien que je n'aie pas ici de propositions concrètes à faire. Les différents bureaux ne sont pas très bien équipés, et puisqu'il s'agit de l'Église mondiale, l'administration n'est peut-être pas non plus trop lourde. Malgré tout, on peut se demander avec juste raison si quelques réductions de la bureaucratie ne seraient pas profitables. Dans l'ensemble, toutefois, je suis très satisfait de notre vie dans la congrégation. Ce qui me gêne personnellement, c'est qu'il y aurait trop à faire. Car si l'on veut être réaliste, il est difficilement possible que quelqu'un suffise bien à toute cette tâche. Je me pose sans cesse la question : comment puis-je faire mon devoir dans les autres congrégations - et en même temps rester un homme et ne pas laisser se perdre totalement les relations humaines.

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- Dans combien de congrégations êtes-vous donc ?

- Dans cinq congrégations, deux conseils et une commission (Amérique latine). Mais seules les congrégations des évêques et de la propagande demandent un travail constant. Je suis moins régulièrement absorbé, mais cependant de façon notable, par le conseil de l'unité, la congrégation des Églises orientales, la congrégation de l'éducation et du culte. Les autres affiliations, je ne les sens guère. Mais cela fait déjà un beau paquet.

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- L'archevêque Marcinkus a un jour parlé d'un « village de commères », et il désignait ainsi le Vatican: « À peine a-t-on réuni trois ou quatre prêtres que déjà ils critiquent les autres. »

- Cela n'arrive généralement pas en ma présence. Mais il est clair que là où tant d'hommes vivent si près les uns des autres et sont engagés dans tellement d'interconnexions les uns avec les autres, il y a aussi beaucoup de bavardages. On ne peut en aucun cas juger que c'est bon, mais je vois là aussi les inéluctables limites de l'humanité. Là, il faut renoncer à une image trop idéalisée du prêtre. Nous devons constater, je crois, à notre honte salutaire, que nous ne sommes pas des hommes tellement différents des autres et que les lois typiques des collectivités ont cours aussi dans les réunions de prêtres. Chacun doit essayer individuellement de lutter contre cela, nous devons nous imposer tous ensemble une discipline rigoureuse, c'est une exigence absolue. Mais je crois qu'il est déjà très bon d'abandonner toute présomption et de se forcer à admettre que nous sommes des gens comme les autres.