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Des rencontres qui laissent une marque (I)

Dans le livre "Benedik XVI: Prominente über den Papst", le beau témoignage de Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz, une amie de longue date du Saint-Père Benoît, et biographe de Guardini. Première partie de ma traduction. (30/6/2013)

>>> Cette page fait suite à une section spéciale du site: benoit-et-moi.fr/2013-I/des-celebrites-parlent-du-pape

     

Rappel :

Le cadeau d'anniversaire de Georg Gänswein pour les 85 ans du Pape Benoît était un livre, recueil de témoignages d’allemands « connus » («Benedik XVI: Prominente über den Papst», traduit plus tard en italien, sous le titre «Il papa visto da personaggi famosi»).
J’en avais traduit quelques-uns, tandis que Marie-Anne résumait les autres (cf. ici )
Parmi ceux-ci, celui de Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz, entre autre professeur de philosophie et de religion à l’Institut de théologie Benoît XVI, à Heiligenkreuz, en Autriche, et biographe de Romano Guardini. (1)

Je suis en train de traduire le chapitre qui lui est consacré, en voici la première partie, où elle raconte la première rencontre avec celui qui devait devenir Benoît XVI, une anecdote déjà publiée dans ces pages (benoit-et-moi.fr/ete2010), sous une forme moins détaillée, d’après un article de Zenit.
C’est un vrai régal. A suivre.

     
Des rencontres qui laissent une marque (I)

Il y a trente-six ans, durant l'épreuve écrite de mon examen d’habilitation à Munich, j'obtins un poste de professeur à la Maison des Jeunes dans le château de Rothenfels am Main. Ce château, en grès rouge, qui appartenait à l'origine aux Hohenstaufen, s'élève au-dessus de la vallée du Main, au cœur du Spessart, entre Würzburg et Aschaffenburg. Entre ses beaux murs, encore intacts, en 1919, le mouvement de jeunesse catholique de Quickborn avait établi son quartier général.
Une grande magnificence caractérisa les premières rencontres, en particulier celles des années vingt, quand le « Château » devint le château du Graal pour les jeunes qui voulait construire une nouvelle Europe sur les ruines de la Première Guerre mondiale. Il en fut ainsi jusqu’à ce que, partiellement en 1933, et définitivement avec l'expropriation de 1939, les jeunes se virent éloignés de cet endroit.
De grand prestige sont aussi les noms de ceux qui, les premiers, conduisirent la jeunesse catholique dans un mouvement culturel, hors du ghetto de l'Empire de Guillaume: Hermann Platz, Theodor Abel, Heinrich Bruning (…)
Par-dessus tout brillait le nom de Romano Guardini, qui, en 1920, à l'âge de trente-cinq ans, entra pour la première fois au Chateau: pour lui, comme pour les jeunes, ce fut un moment décisif. Essentiellement, il fallait lui reconnaître d’avoir transformé le romantisme du mouvement de la jeunesse en un véritable mouvement culturel, et d’avoir fait abandonner au mouvement liturgique son siège monastique pour qu'il devienne la manière de prier des laïcs, d’avoir «réveillé l'Église dans les âmes ».

Quand en 1975 j'acceptai la tâche de formation pédagogique au Château, on ressentait encore, en province, les violents lendemains de la génération de 68 - sans doute aussi à cause de la proximité de Francfort. Il y eut des groupes d’hôtes qui, avant de commencer à discuter, décrochaient le crucifix du mur. Il y eut, au début des années soixante-dix, un Congrès pascal intitulé «Rien n’est accompli». Un membre du Conseil du Château soutenait explicitement la perspective «Socialisme et Christianisme » et lisait l'Évangile selon une clé marxiste. Il y eut des « expériences » liturgiques, certaines naturellement, sans parements sacrés, et même une fois avec une «pause cigarette» après l'Evangile, pour permettre l'exégèse polémique qui allait suivre. Il y eut un prédicateur qui, au début d'un sermon à la Pentecôte affirma «ne pas savoir exactement quoi faire avec le Saint-Esprit ».

Dans cette atmosphère, qui, par ailleurs, se réclamait encore de Guardini, les visiteurs « classiques » du château étaient devenus de moins en moins nombreux. Des événements de ce type constituaient une sorte d’arrière-garde provinciale des thèmes de 68.
Dans le Conseil du Château, idéologiquement divisé, les rencontres de Pâques et de la Pentecôte étaient particulièrement débattues, et les participants s’étaient également éclaircis.

Dans ce climat, en 1976, le Congrès de la Pentecôte fut programmé par certains conseillers du Château, pour introduire un tournant. Un personnage important, alors président du Cercle des Amis du Château, Friedrich Bayerl, proposa d'inviter le professeur de théologie dogmatique à Ratisbonne, Joseph Ratzinger, à tenir deux conférences et dans le même temps proposa de solliciter de nombreux adhérents de Quickborn d’aller au château, afin d'avoir un auditoire attentif et intéressé.
Je dois avouer que je n'avais pas encore lu d'œuvre de Joseph Ratzinger, mais l'échange de correspondance avec lui fut amical et fructueux.

Et j’en arrive ainsi à la première rencontre avec celui qui est aujourd'hui le pape régnant.
C'est plus qu'une anecdote. Il était prévu que le professeur Ratzinger vienne de Ratisbonne en train. A l’heure d'arrivée, j'envoyai un « Zivi », un policier en civil à la gare, qui était à environ trois kilomètres. C'était un chaud samedi de Pentecôte, tout était extraordinairement fleuri, tout semblait plein de promesses. Peu de temps après, le «Zivi » était de retour: aucun professeur correspondant à la description n'était arrivé. Manquait environ une heure avant le début de la conférence, le château était plein de gens et l’enseignante (l'auteur de ces lignes!) chargée de l’organisation, encore inexpérimentée, voyait un précipice s’ouvrir devant elle. Un coup de téléphone à Ratisbonne fut inutile, la salle des Chevaliers commençait déjà à se remplir. J'errais sans cesse du secrétariat aux tilleuls du château, de la cour intérieure à celle extérieure.

Arrivée à la porte intérieure du château, après avoir erré en vain pendant environ une demi-heure, j'allai près de la haie, dans le bosquet de hêtres faisant écran aux rochers à côté de la sortie qui donne sur la ville. De là partait un escalier abrupt en pierre, qui était alors fermé, car il était dangereux.
Tout à coup, j’entendis un bruissement dans la haie, puis je vis une serviette (un cartable), et finalement des bras et une tête avec des cheveux ébouriffés et même quelques feuilles dedans; et enfin, de la haie, sortit le professeur Ratzinger, à bout de souffle et quelque peu en nage. Indépendamment du soulagement, en cet instant, j’aurais voulu un ascenseur pour disparaître sous terre à une très grande profondeur. Mais je ne pouvais pas et je devais rester.

Je n'ai pas oublié la conversation qui s’ensuivit. Mes excuses, balbutiantes furent accueillies avec courtoisie. Il était arrivé à pied et, en raison de la fermeture de l'escalier, à la fin, il avait grimpé directement la pente abrupte: Ascensio in Montem sacrum (gravir la montagne sacrée). Ce fut tout. Sans un reproche, sans se sentir offensé (je considère cela digne de mention, car j'ai souvent fait l’expérience de réactions différentes à l'occasion de rendez-vous moins importants).
Tout de suite après, calme, concentré, il commença la conférence que, dans mon souvenir, certains trouvèrent trop difficile et qui fut pour d'autres probablement trop élevée. J’ai encore très présent dans ma mémoire, son regard, qui allait du texte manuscrit vers les coins les plus reculés de la Salle des Chevaliers, comme dans un cours universitaire.
Le lendemain matin, il y eut une seconde conférence, puis une longue discussion, large, ouverte, et enfin un tour à travers les salles les plus importantes et dans la chapelle où sont encore reconnaissables aujourd'hui les signatures de l'architecte Rudolf Schwarz et de Romano Guardini.
Et puis un congé amical, sans accepter d’honoraires.

Avec le recul : si j'avais su ...

* * *

A suivre...

Note

(1) Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz est docteur en philosophie. Ancienne directrice d’études au Château Rothenfels, elle a enseigné aux universités de Munich, Bayreuth, Tübingen et Eichstätt. De 1993 à 2011 elle était titulaire de la Chaire de philosophie de la religion et de religion comparative à l’université de Dresde. Depuis lors, elle dirige l’Institut européen pour la philosophie et la religion à la Philosophisch-Theologische Hochschule Benedikt XVI à Heiligenkreuz, près de Vienne. Elle est coéditrice de l’édition italienne des OEuvres complètes de Romano Guardini et des OEuvres d’Edith Stein. Plusieurs de ses articles ont été publiés dans COMMUNIO.
(http://www.communio.fr )