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Des rencontres qui laissent une marque (III)

Dernière partie du témoignage de Hanna-Barbara Gerl-Falkovitz dans "Benedik XVI: Prominente über den Papst" (3/7/2013)

>>> Des rencontres qui laissent une marque (I)
>>> Des rencontres qui laissent une marque (II)

     
Des rencontres qui laissent une marque (III)

En reliant ces rencontres avec la première, à Rothenfels, je trouve un élément en commun: la délicatesse, la profonde gentillesse, le recueillement. Parmi les dernières impressions, il en émergeait une autre: l'humilité. Et cette attitude de la part d'un Pape, est la chose la plus étonnante. Il peut sembler étrange de souligner cette impression en faisant référence à Goethe: «Les plus grands hommes que j'ai connus et avec le regard libre sur le ciel et la terre étaient humbles et savaient ce qu’ils devaient apprécier graduellement ».
« Graduellement» signifie évidemment connaître une hiérarchie des biens, avoir développé la capacité de reconnaître parmi de nombreux biens entre ce qui est important. Et encore, en d'autres termes: «Tous les hommes, naturellement forts dans le corps et l'esprit, en règle générale sont modestes ».
Le Pape n'a pas besoin de jugements de ce type, mais il est à noter que cette impression immédiate d'humilité réservée est souvent ignorée, peut-être même prise à la légère ou intentionnellement renversée.

Cette allusion vaut pour les noms idiots qui lui été attribués par les médias, de « Panzer-Cardinal » à « rottweiler de Dieu » (en fait, on ressent une réticence à répéter ces insanités). Des distorsions de ce type sont une nouvelle confirmation que la bêtise est souvent méchante, ou que la méchanceté est stupide (ou même simplement désespérée). Mais elles sont aussi l'indice que chez cet homme et dans son ministère, on perçoit quelque chose d’invincible et donc, on veut intervenir, avec l'instinct de déformer, avec la volonté de tromper, qui, justement pour cela, fait mal.

Bien sûr, l'homme et sa mission sont étroitement liés. Ce lien apparaît chaque fois qu’entrent en collision le consensus et la protestation.
[Hans Urs von Balthasar, avec une acuité impressionnante, a écrit à propos du premier pape: «Pierre a certainement dû apparaître grotesque quand il a été crucifié avec les pieds en haut ; ce fut juste une bonne blague (...) et avec la morve qui continuait à couler de son nez. (...) C'est une très bonne chose que la crucifixion se soit produite à l’envers, comme l'image d'un miroir ; cela évite le risque de confusion et pourtant il en résulte une image qui réfléchit ce qui est unique, pur, juste, dans les eaux troubles d'un christianisme exaspéré. On fait pénitence pour une dette très ancienne, accumulée jusqu'à ce que le système s'écroule »].

Et Hans Urs von Balthasar exprime la terrible pensée selon laquelle la mission dans l'Église, depuis son premier représentant, a quelque chose à voir avec la prise en charge de la faute "en remplacement".

[«Malheur s'il n'y avait plus le moment où le péché de chacun de nous se concentre et devient visible, ainsi que le pus qui circule dans le corps est concentré en un point sous la forme d'un abcès. Béni soit, par conséquent, l’office qui se prête à cette fonction, celle d'être le centre de la maladie, que ceux qui savent résister soient le pape ou les évêques ou les simples prêtres ou tout autre qui s'expose quand l’on dit que ’’l'Église devrait’’ »].

Pour ceux qui trouveraient ces expressions trop amères, là, tout près, il y a les fruits de tant d'amertume. Ils naissent de la lutte éternelle de Jacob (ndt: cf. catéchèse du 25/5/2011), sans laquelle l'ancien et le nouvel Israël seraient impensables. Cette alternance de défi et de bénédiction, de résistance et de victoire, de nuit et d’aube définitive est une annonce de la nature de Dieu et de la nature de l’Elu. Le pouvoir de Dieu ne vient pas détruire. Il nécessite une force extraordinaire, une optimum virtutis, mais elle n’est pas insupportable. Dans la forme de l'opposition, il veut même être perçu comme de l'amour. Ce qui se présente comme résistance, comme apparente force contraire, si l’on combat le bon combat devient une bénédiction.
Ainsi, dans la figure délicate et vulnérable du pape, il y a quelque chose de cuirassé, d’inaccessible. Jusque ses voyages à l'étranger, marqués comme des échecs avant qu'ils n’aient lieu, par exemple celui en Grande-Bretagne, mais aussi celui dans la difficile Allemagne, se sont révélés au contraire comme des victoires considérables. Récemment, un chanteur de rock italien l'a trouvé « cool ». Il s'agit en fait d'une expression à la mode, imprécise, mais elle appuie précisément sur la bonne touche.
Pardonnez-moi de citer Goethe pour la troisième fois, non pas pour une syntonie superficielle, qui ne peut être, mais pour un substrat profond qui peut lier ces deux Allemands. La citation est tirée du grand essai géologique de Goethe sur les rochers granitiques dans l’image desquels - à mon avis –on cueille aussi quelque chose de symbolique de la nature de Joseph Ratzinger: «Ainsi, tout aussi seul se sentira celui qui ouvrira son âme aux tout premiers, aux plus profonds, aux plus anciens sentiments de la Vérité ».

Ainsi, la dernière pensée doit être adressée à la vérité qui est au-dessus de ce pontificat.
Quand, dans ces derniers temps, la loi de la raison a-t-elle été défendue de manière aussi inexorable et pourtant aussi convaincante par un pape? Et en même temps, cette rationalité de la foi, cet œcumene de la raison qui existe déjà dans l’antiquité grecque, et qui peut rassembler philosophie, théologie et science? Le chant de louange du Pape pour le Logos éclate précisément dans le «Parvis des Gentils» et a déclenché un discours qui mène hors de la stagnation du vide de sens de l'ère postmoderne.
Jérusalem a à voir avec Athènes, contrairement à ce qu’affirme une orthodoxie sectaire d'une part et une science sectaire de l’autre. « On ne peut pas étirer une corde si on ne la tient que par un bout». Ainsi parle le dramaturge de l'ex-RDA Heiner Müller, en vue de l'au-delà (apparemment perdu).
Ainsi, avec Joseph Ratzinger, la Patristique qui doit au Logos le discernement des esprits, naît à nouveau, vie inattendue pour implanter dans le jeune christianisme la sagesse du monde antique. De cette façon, non seulement l'antiquité et l'Eglise primitive sont «sauvées» dans le temps nouveau, mais aussi le présent est sauvé de ce « haussement d’épaules » devant la vérité qui est en fait en contradiction avec lui-même. Il y a une religiosité de la pensée qui est à la fois conversion à la réalité.
Cette capacité (chez Ratzinger) à clarifier ce qui est confus et controversé, dans la confiance que la possibilité de la vérité existe, est née très tôt, et très vite est devenue visible.

Rappelons encore une fois Ida Friederike Gorres, l'incorruptible (ndt: dont Mme Gerl-Falkovitz est curatrice de l'oeuvre, cf. Des rencontres qui laissent une marque (II)).
Dans une lettre de l'été 1968, elle écrit sur la préoccupation de l'Eglise, face à l'effondrement rapide d'un certain catholicisme provincial, qu’à la suite de la propagande de 68, on pouvait voir partout. Mais, elle ajoute: ecce, unus propheta in Israel; elle avait entendu parler d'un jeune professeur qu’elle ne connaissait pas, Joseph Ratzinger, comme d’un contrepoids.

Ecce, unus propheta in Israel.

Que ces quelques notes soient l'expression d'un grande et sincère gratitude pour cela.