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Joseph Ratzinger, un amoureux de la France

Le 11 mai 1998, M. Jean-Louis Lucet, alors ambassadeur de France près le Saint-Siège, remettait les insignes de Commandeur de l'Ordre de la Légion d'Honneur au Préfet de la CDF. Discours (reprise, 18/6/2013)

     

Le discours de JL Lucet (extrait)

(transmis par mon amie Anne, cf. benoit-et-moi.fr/2011-II)
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« Monsieur le cardinal, vous aimez l'Église avec passion et vous la servez magnifiquement grâce aux dons et aux talents dont Dieu vous a comblés. Avec une souveraine liberté, avec franchise et avec courage, sans fébrilité mais aussi sans complaisance, vous dénoncez les fausses idéologies, vous défendez la pensée du Pape, mais, surtout, vous témoignez, dans le cadre de votre mission, de la grandeur, de la beauté, de l'universalité du message évangélique, sans chercher à plaire, mais en professant toujours un immense respect des personnes

En 1977, le Pape Paul VI vous nomme archevêque de Munich et il vous crée cardinal un mois après votre ordination épiscopale. Pasteur d'un Siège prestigieux, vous mettez au service du Peuple de Dieu votre immense savoir et vous vous acquitterez avec éclat de la mission de Docteur qui est le rôle premier de tout évêque. Pendant quatre années, vos catéchèses attireront les foules comme jadis vos cours à l'université de Ratisbonne. Mais en 1982, le Pape Jean-Paul II vous appelle à Rome pour être Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, fonction à laquelle il faut ajouter la présidence de la Commission biblique et de la Commission théologique internationale.
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Sous votre impulsion, la Congrégation pour la Doctrine de la foi n'a cessé d'élaborer et de publier des documents de grande envergure sur toutes les questions essentielles, qui, touchant à Dieu, touchent à l'homme : grandes questions théologiques, problèmes éthiques et moraux, philosophie, questions oecuméniques, interprétation des Écritures... Quel domaine a échappé à votre réflexion et à votre science ?

La quantité et la puissance de votre oeuvre théologique sont exceptionnelles : il y a dix ans, une bibliographie vous créditait de 60 ouvrages et de plus de 300 articles... J'ose à peine imaginer ce qu'il doit en être aujourd'hui !
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Ne vous limitant pas à un public de spécialistes, vous avez, à plusieurs reprises, participé à l'élaboration de livres-entretiens, grâce auxquels vous allez au devant des fidèles et des non-croyants pour aborder, dans un langage accessible à tous, les grands problèmes de l'homme contemporain.

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Cette amitié pour notre pays, vous la manifestez en usant volontiers de notre langue, que vous maniez avec une parfaite aisance et une grande élégance. Il n'est pas rare que vous publiiez en français certaines de vos contributions à des revues internationales ou que vous utilisiez notre langue comme une langue de travail.

     

Le discours du Cardinal

En cette heure où les mots me manquent, je ne puis que dire du fond du coeur merci, merci au Président de la République française, qui m'a nommé Commandeur de la Légion d'honneur;
merci à vous, Monsieur l'Ambassadeur et à vous, Madame, pour votre amitié et pour votre engagement.
Je n'aurais jamais rêvé de l'honneur et du bonheur de me trouver lié d'une manière si réelle et si profonde à la grande tradition culturelle et spirituelle française.
J'ai toujours été, dès ma jeunesse, un admirateur zélé de la Douce France.
Dans une Allemagne détruite et humiliée par suite de la Guerre, le premier drame que j'ai vu était Le Soulier de satin de Paul Claudel.
C'était à un tournant important de ma vie. Le symbolisme de l'amour et du renoncement, de la fécondité du renoncement, de la grâce divine dans la faiblesse humaine s'était transformé pour moi en un message très personnel, en une indication fondamentale du chemin de vie que je devais prendre.
Nous avions alors commencé à lire les grands écrivains français contemporains : Bernanos, Mauriac, Péguy, mais aussi des laïques comme Anouilh et Sartre.
En ce temps-là, les frontières de l'Allemagne étaient encore fermées, mais en 1948, il nous a été donné de connaître le livre Surnaturel du Père Henri de Lubac : ce livre, avec sa nouvelle anthropologie, avec sa profonde sensibilité pour l'homme moderne et sa profonde fidélité au vrai message de la foi chrétienne était pour nous un événement. Il nous ouvrait une nouvelle vision du monde et présentait une nouvelle synthèse entre modernité et tradition.
Un peu plus tard, j'ai découvert aussi d'autres théologiens français comme Congar, Daniélou, Chenu ma pensée s'est charpentée au contact de ces maîtres en qui je trouvais une synthèse exemplaire entre spiritualité et sciences, entre intuition et rigueur méthodologique.

Henri de Lubac: homme de paix et de fraternité
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Pour moi, le grand moment, c'est celui où il m'a été donné, pour la première fois, au Concile, en 1962, de saluer le vénéré Père de Lubac, et j'ai été stupéfié par l'humilité et la cordialité avec laquelle ce grand homme saluait le jeune théologien allemand obscur que j'étais. Le Père de Lubac était un des inspirateurs courageux de la résistance en France pendant la Guerre. Il avait lutté contre une idéologie du mensonge et de la violence, mais pas contre un peuple. Cette résistance portait en soi la vraie force de la réconciliation : l'humanisme chrétien, basé sur l'universalité et la force unifiante de la vérité. La vérité est aussi un glaive contre le mensonge, et le Père de Lubac n'a pas eu peur de diriger ce glaive contre le mensonge dans l'Église et hors de l'Église, avant et après le Concile. Mais il était surtout l'homme de la paix et de la fraternité dans l'amour du Christ. Pour moi, l'amitié avec le Père et le cardinal de Lubac, mûrie pendant le Concile et à l'occasion des temps de travaux communs au sein de la Commission théologique internationale est un des plus grands dons que j'aie reçu dans ma vie. Ce grand chrétien était pour moi l'incarnation de l'humanisme chrétien authentique capable de fonder une Europe dans la communion fraternelle avec tous les continents. Le cardinal de Lubac s'imposait à moi comme l'incarnation de la noble France et un modèle parfait de savoir vivre évangélique. Je félicite la France pour ces grandes personnalités, je remercie la France pour le don de sa culture humaniste.
J'espère que, nous tous, nous pouvons contribuer à former une Europe pétrie des grandes valeurs de sa tradition chrétienne, pour barrer la route aux tentations idéologiques de tout genre.
Merci encore une fois pour l'honneur d'appartenir à la Légion d'honneur. Vive l'amitié entre la France et l'Allemagne, Vive la France !

("Documentation Catholique", Hors-série n°1, "Cardinal Joseph Ratzinger, discours et conférences de Vatican II à 2005")