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Le contenu éthique du travail quotidien

A Castelgandolfo, du 24 au 31 Juillet 1991, le cardinal Ratzinger participait à un séminaire de l'Opus Dei, sur le thème "Le temps du travail. Profession et culture pour une paix possible", et il répondait "a braccio" aux questions des invités. (19/6/2013)

     

Rencontre informelle du cardinal Ratzinger avec des étudiantes participant à ce séminaire de l'Opus Dei, sous forme de questions-réponses sur les thèmes sollicitées par les participantes elles-mêmes : le rôle du chrétien dans la societé contemporaine, sa responsabilité de transmettre les valeurs de la foi, la publication du nouveau cathéchisme, et - dans la ligne du thème spécifique de la rencontre - redécouverte d'une spiritualité du travail qui ouvre au laïcat un espace fondamental à l'intérieur de l'Église.
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Ma traduction (en 2007), d'après le texte original en italien sur le blog, déjà irremplaçable de Raffaella.
Les sous-titres sont de moi.

     

Le chrétien et le travail

Question:
Le thème de la rencontre, intitulée "le temps du travail", nous porte à affronter un des thémes-clés de la spiritualité de l'Opus Dei, qui est justement cette sanctification de son travail en l'accomplissant dans un souci de perfection, en se sanctifiant à travers le travail, et sanctifiant les autres en prenant l'occasion du travail. J'ai toujours été frappée de voir à quel point le fondateur de l'Opus Dei insistait sur la nécessité d'être des personnes compétentes professionnellement et qui ensuite mettent la même application dans l'acquisition d'une formation doctrinale et religieuse. Je vous demande si vous pouvez nous expliquer l'importance, surtout pour nous les femmes, qui avons souvent tendance à vivre la foi de manière peut-être trop sentimentale, de savoir expliquer toujours, dans chaque situation, les raisons de notre foi.

Cardinal Ratzinger:
Justement le Christianisme a donné cette grande importance au travail. Dans le monde antique, ce sont les esclaves qui travaillaient, ceux qui étaient libres s'occupaient d'autres choses. La dimension chrétienne se voit surtout dans une parole du Seigneur, lorsqu'il dit "Mon Père travaille toujours et je travaille". Il fait référence au Créateur du Monde, qui est toujours Créateur, qui ne s'est pas retiré du monde mais il continue à travailler avec nos coeurs, avec l'intelligence humaine pour construire un monde qui devrait devenir une cité de Dieu. Le Christianisme est entré dans le monde avec un nouveau concept de travail: le travail appartient à notre ressemblance avec Dieu, et en travaillant nous pouvons réaliser notre "être" image de Dieu. Mais pour que cela se produise, l'"agir" humain doit être éclairé par la parole de Dieu, qui enrichit le travail d'un contenu éthique : ainsi naît la déontologie, qui éclaire chaque parcours professionnel. Chaque travail humain porte toujours en lui une portée éthique. C'est pour cela qu'il faut combiner une formation professionnelle bonne et concrète, qui doit être vue comme relation et respect envers notre Créateur, et donc comme un devoir religieux, et une formation religieuse adéquate qui éclaire les différents aspects du travail de chacun.
Et il me semble que les universités d'état d'aujourd'hui n'offrent plus cette formation globale. Peut-être est-ce là la plus grave lacune de l'université moderne: qu'elle n'est plus une vraie université qui forme l'homme dans sa totalité et sa profondeur, mais qu'il s'agit plus plutôt d'un ensemble de spécialisations. Malgré cette situation, il y a des réalités comme l'Opus Dei, et aussi des réunions comme celle-ci, adaptées et même nécessaires pour combiner la formation professionnelle avec la formation religieuse, et montrer au monde les raisons de la foi.

La force de la foi

Q. En vous, j'ai toujours été frappée, en vous voyant à la télévision, en lisant des choses que vous avez écrites sur les droits de l'homme et sur la dignité de la personne, par votre optimisme et votre force. D'un coté il y a en vous une grande fermeté dans la défense les principes, de l'autre une gaîté, un enthousiasme que je voudrais avoir aussi pour mener à terme de mon mieux tout ce que j'ai l'intention de faire. Je voudrais savoir comment vous faites.

R. C'est la puissance du don de la foi. Il ne naît pas de nous mais, si nous sommes disponibles, le Seigneur nous donne la foi avec toutes ses certitudes. Il ne s'agit pas d'une invention humaine, parce que les idées que nous pouvons développer par nous-mêmes peuvent être plus ou moins vraies, elles sont toujours dans un certain sens hypothétiques ; la foi par contre nous donne une lumière divine, la certitude que Dieu est, qu'il nous a parlé, s'est révélé dans l'Église et reste présent jusqu'à la fin du monde. Beaucoup ont peur que la foi emprisonne l'homme, quelle lui enlève la liberté, et veulent donc un chemin totalement libre : en réalité la route choisie par eux n'a pas de fondation et donc ne mène nulle part. La foi nous ouvre l'esprit à l'immensité du monde, à l'immensité des possibilités humaines ; la Vérité n'est pas fermée, mais se développe toujours, et doit être approfondie justement parce qu'elle donne la lumière aux problèmes du monde. Croire ne veut pas dire limiter la possibilité de la pensée ; au contraire, ce don donne le "feu vert", pour ainsi dire, pour affronter l'aventure intellectuelle et spirituelle, et ceci indubitablement donne de la gaîté. Je dirais au contraire que, privé de cette certitude fondamentale sur les origines et sur le but de notre vie, l'homme tombe nécessairement dans une certaine mélancolie, parce que cette vie lui apparaît comme une chose ennuyeuse : on ne sait plus s'il vaut la peine de vivre ou s'il serait préférable de ne pas vivre; la vie devient ainsi une grande énigme et la réponse est oui ou non, au gré des circonstances.
Avec la certitude d'un amour fondamental qui nous soutient, qui nous aide, qui nous guide, en nous indiquant les grandes lignes des représentations du monde et en nous ouvrant ainsi toutes les routes, on ne peut pas ne pas ressentir une gaîté fondamentale. Certes, ils peut se passer plein de choses négatives dans ma vie, mais peu importe, si fondamentalement je suis entre les mains de l'Amour et sur la route de la Vérité. Pour conclure je dirais : croire avec confiance, avec la foi de l'Église, et marcher avec l'Église, est un événement libérateur et aide à trouver la route de la vie.

Catéchisme et catéchèse

Q. Le Saint-Siège, et en particulier la Congrégation que vous dirigez, travaillent à l'élaboration du Nouveau Cathéchisme Universel. C'est un sujet qui me touche beaucoup parce que je suis catéchiste. Nous nous sommes aperçus que dans notre travail de catéchèse, il était très important d'avoir un point de référence sûr pour pouvoir donner aux enfants la juste doctrine. Je voulais donc savoir quels sont les thèmes essentiels de ce Nouveau Catéchisme Universel, et même vous demander si vous pouviez nous donner quelques conseils pour accomplir notre travail de catéchistes.

R. Le Catéchisme est un point de référence et pas un instrument immédiat pour la catéchèse, parce que les situations sont toujours différentes. Le livre veut présenter une approche de la doctrine en tant que telle à la médiation catéchètique; pas seulement un résumé de la doctrine mais déjà une doctrine traduite. Pour ouvrir la doctrine à cette action catéchètique, nous avons choisi principalement deux éléments. À la fin de chaque chapitre, nous avons apporté de brèves réponses, qui présentent un peu la substance du texte et devraient aider à retrouver un langage commun et une mémoire commune de la foi, qui se sont un peu perdus par le fait que les contenus de la foi ont été traduits dans des expressions très différentes. Second élément, nous illustrons la doctrine par les paroles de quelques Saints, qui avec leur expérience montrent la plénitude et la beauté de la Vérité. Dans la rédaction du nouveau Catéchisme nous avons fait référence au catéchisme romain du Concile de Trente, c'est-à-dire aux quatre parties qui, dès le début, ont été essentielles dans la catéchèse : le Symbole, c'est-à-dire le Credo (avant toute chose, il faut connaître le Symbole et bien en comprendre le sens des mots) ; les sept Sacrements ; la morale chrétienne et le Notre-Père. Donc la catéchèse de base est une chose simple et fondamentale en même temps. Celui qui veut être chrétien ne doit pas forcément être un grand érudit, mais il doit connaître les réalités fondamentales : la foi, les sacrements, comment vivre, comment prier. Nous présentons le Symbole non pas sous forme de précepts séparés, mais en offrant une vision organique de la foi, dans laquelle on voit une unique intuition, qui n'est pas une somme de dogmes dont on serait chargés. C'est au contraire un oui : Dieu nous aime, et tous les contenus de cet amour sont les différentes concrétisations du oui fondamental.
Notre intention était de ne donner que des enseignements qui appartenaient à l'héritage de la foi, sans introduire d'idées personnelles qui - aussi bonnes qu'elles soient - ne peuvent pas être imposées à travers le catéchisme. Réaliser cette auto-limitation a été difficile, parce que, pour servir de médiateur à une chose et la rendre compréhensible, il est presque indispensable de la personnaliser. Le risque était de réaliser un texte un peu froid, mais j'espère que ces paroles des Saints que nous avons insérées apportent la chaleur suffisante, et même une certaine personnalisation.
Quant au catécchisme, je dois confesser que cela fait longtemps que je ne fais plus de catéchèses, et donc je n'ai pas le courage de donner des conseils, d'autant plus que les situations sont très différentes de ce qu'elles étaient à l'époque.
Je pourrais dire de toute façon que le grand devoir du catéchiste ressemble un peu à l'expérience que nous avons vécue, et dont nous avons même souffert, dans la préparation du livre: d'une part, il ne faut pas proposer une philosophie personnelle, mais transmettre ce qu'enseigne l'Église ; de l'autre il faut rendre accessible la foi y compris à travers la manière dont nous l'avons intériorisée, et en ce sens je pense que le succès de la catéchèse dépend beaucoup de la façon de faire de chacun : si je me suis approprié la foi, si elle est devenu ma chose, je peux arriver au coeur du catéchumène.
Il est important que, en fonction des différents niveaux, les spécifications doctrinales soient variées : même la personne la plus simple peut comprendre l'essence de la foi ; d'autre part, un théologien doit aussi toujours penser au Seigneur qui a fait l'éloge des simples de coeur parce qu'ils ont la capacité de voir l'essentiel. Dans des catéchèses des simples on peut omettre plusieurs éléments de la réflexion chrétienne, mais l'essentiel est que Dieu nous a créés, nous a appelés, nous connaît, écoute nos prières, nous est proche; ce Dieu qui est trinitaire, c'est-à-dire qui est amour dans son essence avant de s'ouvrir à nous et qui peut s'ouvrir à nous parce qu'Il est dans cet amour ; ce Seigneur qui est Fils de Dieu, qui est notre frère et qui s'unit à nous dans l'Eucharistie.
Ces grands éléments, qui ne sont pas si nombreux, et qui sont en somme très humains, peuvent être très bien traduits dans le langage d'aujourd'hui, même si ils apparaissent éloignés de la pensée moyenne et dominante. Ils contiennent une humanité si profonde qui, s'ils sont correctement présentés et authentiquement vécus, ils transmettent à travers la catéchèse une joie authentique.

Une Eglise ouverte aux autres

Q. Je voudrais vous raconter plusieurs expériences de volontariat réalisées l'année passée.
Nous avons projeté un mois de travail social au Kenya, dans un quartier périphérique de Nairobi, et nous allons faire la même chose à Mexico. Ici en Italie nous avons réalisé des cours de catéchèse et aussi de promotion urbaine dans des quartiers 'difficiles' de plusieurs villes. Justement, pour faire connaître le "projet- Kenya", et en discuter avec nos partenaires, nous avons mis quelques affiches dans les universités et ainsi nous sommes entrées en contact avec plusieurs filles intéressées par le thème de la solidarité. Nous avons eu des réunions avec elles tous les 15 jours pour mieux étudier notre projet, pour trouver les fonds, expédier le matériel, préparer les leçons et même approfondir notre formation doctrinale et spirituelle.
Une fois à Nairobi nous donnerons des leçons d'hygiène alimentaire, de construction, de coupe et de couture, tout en continuant notre formation. Avec ces filles est née une belle amitié et beaucoup d'entre elles se sont rapprochées des Sacrements et de Dieu. Personnellement je dois dire que toutes ces activités m'ont enseigné que je dois réellement témoigner ma foi à travers ces idéaux communs à tant à de jeunes, concrétisés en des projets bien précis, et dans cette optique, j'ai été aidée par les paroles que vous m'aviez adressées il y a un an à Rimini, et que je voudrais relire aujourd'hui:
"Il y a une idée qui est de plus en plus répandue, y compris dans les milieux ecclésiastiques elevés, c'est l'idée qu'une personne est d'autant plus chrétienne qu'elle est plus engagée dans des activités ecclésiales. On cherche ainsi à assigner à chacun un comité, en tout cas au moins un engagement à l'intérieur de l'Église; mais un miroir qui ne réfléchit que lui-même n'est plus un miroir. Une fenêtre qui, au lieu de permettre un regard libre vers l'horizon lointain, se comporte comme un masque entre l'observateur et le monde, a perdu son sens ".
Je voulais vous demander de reprendre ces concepts.

R. Il me semble que cette expérience de volontariat dont vous avez parlé est la meilleure réponse à ce que j'avais critiqué dans mon exposé, c'est-à-dire une auto-occupation de l'Église, de la communauté par elle même, pour se construire et se réfléchir toujours et encore dans son "ecclésialité". En s'ouvrant à l'autre, la foi devient réalité et, éclairés et encouragés par le Seigneur, nous ne parlons pas uniquement de nous-mêmes ; en étant unis avec Lui, nous avons ce courage et cette disponibilité à vivre avec les autres, à travailler avec les autres, de la manière et dans les occasions que LUI nous donne, au contact de ces problèmes mondiaux qui sont un défi pour notre existence chrétienne dans cette époque.
Ceci serait plutôt le sens d'une "réorientation" pour réaliser la foi dans le monde, et non pas cette "autoréflexion" permanente de l'Église - comment mieux reconstruire, comment créer des nouveaux organismes, etc... - dans un état rétrospectif. Toutes les activités de l'Église devraient être examinées avec cette question : sommes-nous réellement les instruments de la réalisation de la parole de Dieu ou sommes seulement des instrumets d'auto-réflexion?
Dans ce que vous avez dit, il me semble que se réalise le vrai projet de la foi : devenir un moyen de concrétiser la Parole, dans le monde. J'ajouterais que précisément en dans ce renoncement à soi- même et dans la disponibilité à aller vers l'autre, la foi continue de croître, on commence à se comprendre mieux soi-même, et par conséquent l'Église même progresse.

Des gouttes d'eau dans un grand océan

Q. J'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit au sujet des droits de l'homme, et en particulier sur le fait que, chaque jour, ils sont proclamés solennellement puis ensuite, dans la pratique, niés entièrement.
De là naît mon exigence, qui est aussi l'exigence de mes contemporains, de chercher un sens à une vie chrétienne, cohérente avec nos idées. C'est pour cela que quelques-unes de nous ont été à l'origine de plusieurs initiatives : à l'Université "la Sapienza" de Rome, par exemple, il y a eu des cours de déontologie politique, tandis qu'à la Polyclinique, toujours à Rome, des cours d'éthique professionnelle pour infirmières. À ces initiatives s'ajoutaient aussi des cours de théologie, qui à première vue pourraient sembler n'être que des gouttes d'eau jetées dans un grand océan. Pouvez-vous nous dire quelques mots pour nous encourager à continuer dans cette direction ?

R. Voir nos efforts comme des gouttes d'eau contre un mur insurmontable, ce serait presque désespérer de l'exigence de la foi dans le monde. Pourtant, c'est bien dans la manière divine d'agir. En imaginant d'un point de vue humain la possibilité d'un Rédempteur du monde, on penserait plutôt à un empereur, à un grand politicien: un homme bon, éclairé, obéissant à la volonté divine, qui rendrait heureux le monde à travers le pouvoir.
Mais l'idée divine est évidemment différente. Se faisant la même réflexion, Saint-Augustin dit: "Je me demande pourquoi Dieu est venu nous racheter sans aucun pouvoir, d'une manière qui semble indigne de Dieu" et il ajoute: "Mais c'est le pouvoir qui détruit l'homme, c'est lui qui était le dessein de la sédition diabolique; par le pouvoir, dans le pouvoir, l'homme est tombé".
La voie divine est celle de l'amour et de la justice, et avec ces gouttes d'eau on peut transformer le monde. Dans la réalité il en a déjà été ainsi, lorsque le Seigneur, en commençant pauvre dans un pays oublié et en finissant crucifié, a donné une nouvelle vie au monde, et la goutte d'eau est devenue un fleuve. Pensons aussi aux grands Saints. Saint-Benoît commence en oubliant le péché, avec un petit groupe de personnes peu fiables. Et des monastères, de petits îlots de survie de culture et d'humanité, naîtront de nouvelles villes, la nouvelle culture, l'Europe elle-même. On peut dire la même chose pour Saint-François. Le courage de commencer de nouvelles choses, d'initiatives humaines inspirées par la lumière divine, est non seulement nécessaire, mais il représente l'espoir authentique du monde. Certes, les grandes entreprises positives sont nécessaires, mais elles s'éteignent, meurent, elles se dessèchent si il n'y a pas cette petite source d'eau vive des initiatives simples et personnelles.
Vu sous cet angle, je dirais : courage ! Ces initiatives ont un sens, ont un avenir.

La communion des Chrétiens et le monde

Q. Dans mes études de Philosophie, j'ai parfois eu à faire avec des enseignements qui ne laissaient pas d'espace à la transcendence ou qui transmettaient des philosophies basées sur le matérialisme et sur le storicisme. Nous nous trouvons dans une societé où des choses qui sont contre l'homme - comme l'avortement, l'euthanasie - ou des idéologies totalement contraires à la doctrine chrétienne, sont vues comme des épisodes où l'homme a la possibilité d'accomplir des actes de plus grande liberté. Tout ceci me fait penser à societé où vivaient les premiers chrétiens, qui par certains aspects devaient trouver dans une situation encore plus difficile que nous, et qui pourtant ont réussi à christianiser le monde. Sans doute est-ce un problème de sainteté de la vie, cependant, à mon avis, l'information doctrinale est aussi très importante, et je vois que le Pape lui-même insiste souvent dans ses discours, et dans tout le magistère qu'il nous communique, sur la défense de la vie, sur la nécessité d'une solide formation doctrinale dans tous les domaines, en somme, qui ont leurs racines dans la foi catholique. Nous, les jeunes, comment pouvons-nous, avec nos contemporains, être en quelque sorte les haut-parleurs du magistère du Pape?

R. Il n'est pas facile de répondre, parce que je ne connais pas vos milieux de vie; je pense de toute façon qu'en vivant cette communion dans la Prélature de l'Opus Dei, avec ses inspirations et son soutien, on a déjà fait un pas important.
Le chrétien isolé ne peut pas réaliser toute sa vocation dans le monde d'aujourd'hui.
La grande communion de l'Église doit se réaliser dans le cadre de communautés concrètes qui nous font percevoir la réalité de la communion des Saints, la grande communion de la foi qui naît et qui arrive jusqu'à la fin du monde. La rencontre de tous les chrétiens conscients de leur vocation, qui ont intention de vivre la foi avec dignité et même avec dynamisme apostolique, offre à mon avis une expérience de la communion qui concrétise la réalité même de l'Église. Naturellement, ces communions croissent et, en partant de la prière, de la liturgie, de la méditation de la Parole divine, elles deviennent communauté d'action. Il est fondamental que dans ces communautés on emploie un langage qui soit en même temps fidèle à la Vérité et pleinement accessible: nous sommes des gens de notre époque et nous en partageons les problèmes avec sincérité de coeur. En cherchant à trouver la Raison et l'expression de la foi, nous pourrons déjà répondre à notre coeur: de cette manière commence aussi la réponse aux autres.
Donc je pense qu'un ensemble, d'une part la communion des croyants, et d'autre part le dynamisme des communions vers le monde d'aujourd'hui, pourrait offrir une réponse à votre question.

Infaillibilité et morale

Q. J'étudie la Théologie à l'Institut Jean-Paul II de l'Université du Latran et je fais ma thèse de doctorat. Récemment, j'ai affronté la discussion actuelle sur la possibilité d'un magistère infaillible concernant les règles concrètes de morale et, sur ce point, dans quelques livres, .... il m'a semblé que les auteurs concevaient la révélation d'une façon plutôt légaliste, c'est-à-dire en restreignant le champ de l'infallibilité uniquement à la révélation de règles explicites. À mon avis, quand l'instruction sur la vocation écclesiale du théologien et aussi la profession de foi affirment que le magistère est infaillible en ce qui concerne le contenu de la révélation, ceci se réfère non seulement aux règles éthiques explicitement révélées, mais aussi à ce qu'est la révélation comme parole de Dieu sur l'homme et sur Dieu, donc également à ces règles éthiques qui, évidemment, ne pouvaient pas être révélée explicitement, comme par exemple celles sur la fécondation in vitro, la contraception, etc... Qu'en pensez-vous?

R. C'est une question qui n'est pas facile, comme comme vous le savez bien.
En premier lieu, je dirais qu'il existe une tendance à exclure un enseignement infaillible, et donc obligatoire, dans le champ de la morale. Ainsi, toutes les indications de l'Écriture Sainte, et aussi de la tradition, seraient des "exemples", toujours connexes à des circonstances historiques.
Je ne peux naturellement pas entrer dans le détail des arguments philosophiques et idéologiques qui sont développés à cet égard, mais ils disent simplement qu'avec cette position, la foi deviendrait théorie pure, alors que la foi est en substance une pratique, c'est un mode de vie.
Une foi qui n'aurait pas la capacité d'apporter une lumière, y compris concrète, sur la manière de vivre, serait dépourvue de son sens. Pensons à l'Église ancienne: c'est l'instant décisif où la foi s'ouvre à la Vérité, mais la Vérité est une chose réelle, enseigne à vivre, en réponse à la question: "Seigneur, enseigne-moi tes voies." C'est là la question fondamentale avec laquelle sont arrivés à l'Église les premiers chrétiens, et elle vaut même pour nous, pour trouver la route de notre vie. Dans le catécuménat, un espace maximum était dédié à l'enseignement moral, en suivant surtout la tradition de l'Ancien Testament : une fois apprise la règle morale, sur la façon de vivre, on en arrivait même à comprendre les mystères de la foi. Les livres des Pères de l'Église soulignent que la foi substantiellement se montre et s'exprime dans une vie droite. C'est donc une donnée absolument certaine de la plus authentique tradition, pas seulement patristique mais biblique, que l'Église nous enseigne surtout comment vivre, nous indique la route de la vie. L'enseignement moral est au coeur de la révélation divine, même si nous devons toujours ajouter que le Christianisme n'est pas un moralisme pur, mais, en nous enseignant il nous guide, et le pardon nous donne la possibilité de continuer et de recommencer. Alors cette mise en évidence de l'aspect moral de la révélation chrétienne ne devrait pas être mal interprété ; l'Ésprit Saint, et la vie selon l'Ésprit, selon la tradition, non seulement ne se contredisent pas, mais sont des réalités inséparables.
Un autre point est celui de l'infallibilité. Je voudrais faire une mise au point. Beaucoup de choses relevant du droit naturel sont aussi révélées dans l'Écriture. Nous voyons dans tous les débats de philosophie morale comment la raison humaine est incapable de trouver une vraie certitude, mais Dieu offre le supplément et le complément à notre capacité, en révélant à nouveau ce qui était depuis les origines. En ce sens l'Écriture nous offre des certitudes, qui pourraient être aussi matière à un enseignement infaillible.
Il me semble en outre que cette tendance à limiter le vrai enseignement de l'Église uniquement aux choses définies comme infaillibles, on fait fausse route. Un de mes amis, plutôt sarcastique, m'a raconté qu'il a entendu autrefois un grand professeur de théologie s'exprimer ainsi : "L'existence de Dieu n'a jamais été définie , nous sommes donc libres sur ce point".
C'est est un "juridisme" absolument inadéquat à l'organicité de la doctrine de l'Église de la limiter à ce qui a été enseigné infailliblement, et il est faux que l'Église ait voulu créer un tissu organique de pouvoir infaillible, parce qu'un tel tissu est le fruit de l'oeuvre de la révélation dans le développement concret de l'histoire.
En tout cas on a un peu oublié le concept d'autorité, c'est-à-dire qu'il existe d'une autorité qui a vraiment un sens pour garantir la capacité de vivre ensemble, et de vivre bien. Et l'autorité écclesiale est une autorité qui a reçu la licence divine : même si elle n'est pas toujours infaillible, elle est autorité dans les grandes proclamations, elle crée le tissu de la vie commune des chrétiens. Je m'oppose donc à cette tendance de réduire le champ de l'infaillibilité.