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Le Fils Prodigue

Deux prédications de Benoît XVI autour de cette parabole de Saint-Luc, "sommet de la spiritualité et de la littérature de tous les temps" (16/7/2013)

Le Retour du fils prodigue

Domenico Maria Viani (1668-1771) Musée du Louvre

     

Le chapitre VII du premier volume de Jésus de Nazareth (Du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration), s'intitule "le Message des paraboles".
La seconde partie du chapitre est consacrée à "Trois grands récits en parabole chez Luc", dans l'ordre:

¤ La parabole du bon samaritain (nous l'avons rencontrée hier, et je me suis dépêchée de me procurer une version en "poche": Le Bon Samaritain )
¤ La parabole des deux frères, (ou du fils prodigue) et du Père miséricordieeux.
¤ La parabole du riche et du pauvre Lazare.

* * *

De la deuxième, Benoît XVI écrit:

Cette parabole, peut-être la plus belle de Jésus est connue sous le nom de "la parabole du fils prodigue". Effectivement le fils prodigue est si impressionnant dans le portrait qui en est dressé, son sort, dans le bien comme dans le mal, nous va tellement droit au coeur, qu'il apparaît nécessairement comme le personnage central.

Plutôt que de recopier la dizaine de pages érudites et l'analyse de texte minutieuse qui suit ce préambule (j'invite mes lecteurs à relire ce magnifique passage), je préfère revoir comment le Pape a réussi à faire revivre ce texte dans sa prédication au quotidien, en toute simplicité. Sa prédication de Pasteur.

D'abord, le 18 mars 2007, Benoît XVI se rendait discrètement à la prison pour mineurs de Casal del Marmo (rubrique spéciale: beatriceweb.eu). Il s'adressait donc à un auditoire jeune, humble, très probablement ignorant, et sans aucun doute particulièrement "paumé". Et on verra qu'il sait se mettre à son niveau, sans faire la moindre concession sur le fond..

Puis encore une fois, lors de l'Angelus du 14 mars 2010, où il parle rien moins que de "sommet de la spiritualité et de la littérature de tous les temps" (benoit-et-moi.fr/2010-I). Et cette fois, c'est le thème de la Miséricorde qui est particulièrement présent.

Homélie à Casal del Marmo

Chers frères et sœurs,
chers jeunes garçons et jeunes filles!

C'est avec plaisir que je suis venu vous rendre visite, et le moment le plus important de notre rencontre est la Messe, au cours de laquelle est renouvelé le don de l'amour de Dieu: un amour qui nous réconforte et nous donne la paix, en particulier dans les moments difficiles de la vie. Dans ce climat de prière, je voudrais adresser mes salutations à chacun de vous (...)

Dans la Célébration eucharistique, c'est le Christ lui-même qui est présent au milieu de nous; je dirais même plus: Il vient nous éclairer à travers son enseignement - dans la Liturgie de la Parole - et nous nourrir avec son Corps et son Sang - dans la Liturgie eucharistique et dans la Communion. Il vient ainsi nous enseigner à aimer, il vient nous rendre aptes à aimer et ainsi capables de vivre. Mais, direz-vous peut-être, qu'il est difficile d'aimer pour de bon, de bien vivre! Quel est le secret de l'amour, le secret de la vie?
Revenons à l'Evangile.
Dans cet Evangile apparaissent trois personnes: le père et ses deux fils. Mais derrière les personnes apparaissent deux projets de vie assez différents. Les deux fils vivent en paix, ce sont des agriculteurs très aisés, ils ont de quoi vivre, ils vendent bien leurs produits, la vie semble être bonne.

Et toutefois, le fils le plus jeune trouve peu à peu cette vie ennuyeuse, insatisfaisante: ce ne peut pas être cela - pense-t-il - toute la vie: chaque jour se lever, que sais-je, à six heures du matin, puis selon les traditions d'Israël, une prière, une lecture de la Sainte Bible, puis on va travailler, et à la fin encore une prière. Ainsi, jour après jour, il pense: mais non, la vie c'est plus que cela, je dois trouver une autre vie où je sois véritablement libre, où je puisse faire ce qu'il me plaît; une vie libre de cette discipline et de ces normes des commandements de Dieu, des ordres de mon père; je voudrais être tout seul et avoir la vie totalement pour moi, avec toutes ses beautés. Maintenant, au contraire, il n'y a que le travail...

Et il décide ainsi de prendre tout son patrimoine et de s'en aller. Le père est très respectueux et généreux, et il respecte la liberté de son fils: c'est lui qui doit trouver son projet de vie. Et il s'en va, come dit l'Evangile, dans un pays très lointain. Lointain probablement au sens géographique, parce qu'il veut un changement, mais aussi intérieurement, parce qu'il veut une vie totalement différente. A présent, son idée est: liberté, faire ce que j'ai envie de faire, ne pas connaître ces normes d'un Dieu qui est lointain, ne pas être dans la prison de cette discipline de la maison, faire ce qui est beau, ce qui me plaît, profiter de la vie avec toute sa beauté et sa plénitude.

Et dans un premier temps - nous pourrions penser peut-être pendant quelques mois - tout se passe bien: il est content d'avoir atteint enfin la vie, il se sent heureux. Mais ensuite, peu à peu, il ressent là aussi de l'ennui, là aussi c'est toujours la même chose. Et en fin de compte, il reste un vide toujours plus inquiétant; le sentiment que cela n'est pas encore la vie devient de plus en plus vif; plus encore, en allant de l'avant avec toutes ces choses-là, la vie s'éloigne de plus en plus. Tout devient vide: à présent également réapparaît l'esclavage de faire toujours les mêmes choses. Et à la fin, l'argent aussi finit, et le jeune homme trouve que son niveau de vie est inférieur à celui des porcs.

Alors, il commence à réfléchir et il se demande si cela était réellement le chemin de la vie: une liberté interprétée dans le sens de faire ce que je veux, vivre, avoir la vie uniquement pour moi ou si en revanche, la vie ne serait pas plutôt de vivre pour les autres, de contribuer à la construction du monde, à la croissance de la communauté humaine... Ainsi commence le nouveau chemin, un chemin intérieur. Le jeune homme réfléchit et considère tous ces nouveaux aspects du problème et il commence à voir qu'il était bien plus libre chez lui, en étant propriétaire lui aussi, en contribuant à la construction de la maison et de la société en communion avec le Créateur, en connaissant le but de sa vie, en devinant le projet que Dieu avait pour lui. Dans ce chemin intérieur, dans cette maturation d'un nouveau projet de vie, en vivant également le chemin extérieur, le fils le plus jeune se met en marche pour revenir, pour recommencer avec sa vie, parce que désormais, il a compris que le chemin qu'il avait pris était le mauvais. Je dois repartir avec une autre idée, se dit-il, je dois recommencer.

Et il arrive à la maison du père qui lui a laissé sa liberté pour lui donner la possibilité de comprendre intérieurement ce que signifie vivre, ce que signifie ne pas vivre. Le père avec tout son amour l'embrasse, lui offre une fête et la vie peut commencer à nouveau en partant de cette fête. Le fils comprend que c'est précisément le travail, l'humilité, la discipline de chaque jour qui crée la véritable fête et la véritable liberté. Il retourne ainsi chez lui en ayant mûri et en s'étant purifié intérieurement: il a compris ce que signifie vivre. Assurément, à l'avenir également, sa vie ne sera pas facile, les tentations reviendront, mais il est désormais pleinement conscient qu'une vie sans Dieu ne fonctionne pas: il manque l'essentiel, il manque la lumière, il manque la raison, il manque le grand sens d'être homme. Il a compris que nous ne pouvons connaître Dieu que sur la base de sa Parole. (Nous chrétiens nous pouvons ajouter que nous savons qui est Dieu par Jésus, en qui nous a réellement été montré le visage de Dieu). Le jeune homme comprend que les commandements de Dieu ne sont pas des obstacles à la liberté et pour une vie belle, mais qu'ils sont les indicateurs de la route sur laquelle marcher pour trouver la vie. Il comprend que le travail également, la discipline, l'engagement non pour soi-même, mais pour les autres élargit la vie. Et c'est précisément cet effort de s'engager dans le travail qui donne sa profondeur à la vie, parce que l'on expérimente la satisfaction d'avoir en fin de compte contribué à faire grandir ce monde qui devient plus libre et plus beau.

Je ne voudrais pas à présent parler de l'autre fils qui est resté à la maison, mais devant sa réaction de jalousie, nous voyons qu'intérieurement, lui aussi rêvait qu'il aurait peut-être été beaucoup mieux de se permettre toutes les libertés. Lui aussi, intérieurement, doit "rentrer à la maison" et comprendre à nouveau ce qu'est la vie, comprendre que l'on ne vit vraiment qu'avec Dieu, avec sa Parole, dans la communion de sa propre famille, du travail; dans la communion de la grande famille de Dieu. Je ne voudrais pas à présent entrer dans ces détails: laissons chacun de nous trouver la manière d'appliquer cet Evangile à lui-même. Nos situations sont différentes et chacun a son monde. Cela n'ôte rien au fait que nous sommes tous touchés et que nous pouvons tous entrer avec nos chemins intérieurs dans la profondeur de l'Evangile.
Je ne ferais encore que quelques petites remarques. L'Evangile nous aide à comprendre qui est vraiment Dieu: il est le Père miséricordieux qui, en Jésus, nous aime au-delà de toute mesure. Les erreurs que nous commettons, même si elles sont grandes, n'entament pas la fidélité de son amour. Dans le sacrement de la confession, nous pouvons toujours à nouveau repartir avec la vie: il nous accueille, nous rend la dignité d'être ses fils. Redécouvrons donc ce sacrement du pardon qui fait jaillir la joie dans un cœur né à nouveau à la vie véritable.

Par ailleurs, cette parabole nous aide à comprendre qui est l'homme: il n'est pas une "monade", une entité isolée qui ne vit que pour elle-même et doit avoir la vie seulement pour elle-même. Au contraire, nous vivons avec les autres et nous sommes créés avec les autres, et uniquement en étant avec les autres, en nous donnant aux autres, nous trouvons la vie. L'homme est une créature dans laquelle Dieu a imprimé son image, une créature qui est attirée dans l'horizon de sa Grâce, mais qui est aussi une créature fragile, exposée au mal; mais cependant capable de bien. Et finalement, l'homme est une personne libre. Nous devons comprendre ce qu'est la liberté et ce qui n'est que l'apparence de la liberté. La liberté, pourrions-nous dire, est un tremplin pour plonger dans la mer infinie de la bonté divine, mais elle peut devenir aussi une pente sur laquelle glisser vers l'abîme du péché et du mal et perdre ainsi également la liberté et notre dignité.

Chers amis, nous sommes dans le temps de Carême, des quarante jours avant Pâques. En ce temps de Carême, l'Eglise nous aide à accomplir ce chemin intérieur et nous invite à la conversion qui, avant d'être un effort toujours important pour changer nos comportements, est une opportunité pour décider de se lever et de repartir, c'est-à-dire d'abandonner le péché et de choisir de revenir à Dieu. Parcourons - tel est l'impératif du Carême -, parcourons ensemble ce chemin de libération intérieure. Chaque fois que, comme aujourd'hui, nous participons à l'Eucharistie, source et école de l'amour, nous devenons capables de vivre cet amour, de l'annoncer et de le témoigner avec notre vie. il faut toutefois que nous décidions d'aller vers Jésus, comme l'a fait le fils prodigue, en revenant intérieurement et extérieurement auprès de son père. Dans le même temps, nous devons abandonner l'attitude égoïste du fils aîné sûr de lui, qui condamne facilement les autres, ferme son cœur à la compréhension, à l'accueil et au pardon de ses frères et oublie lui aussi qu'il a besoin du pardon. Puissent nous obtenir ce don la Vierge Marie et saint Joseph, mon Patron, dont c'est demain la fête, et que j'invoque à présent de façon particulière pour chacun de vous et pour les personnes qui vous sont chères.

(http://www.vatican.va )

     

Méditation d'Angelus, 14 mars 2010

L'Évangile proclamé en ce quatrième dimanche de Carême est celui du père et des deux fils, plus connu comme la parabole du "fils prodigue" (Lc 15,11-32) .

Cette page de Saint Luc est un sommet de la spiritualité et la littérature de tous les temps.
En effet, que serait notre culture, l'art, et plus généralement notre civilisation sans cette révélation du Dieu Père plein de miséricorde?
Elle ne cesse pas de nous émouvoir, et chaque fois que nous l'écoutons, ou la lisons, elle parvient à nous suggérer de nouvelles significations.
Surtout, ce texte de l'Évangile a le pouvoir de nous parler de Dieu, de nous laisser entrevoir son visage, mieux encore, son cœur.
Après que Jésus nous ait parlé de l'amour miséricordieux du Père, les choses ne sont plus comme avant; à présent, nous connaissons Dieu: Il est notre Père qui par amour nous a créés libres et doté de conscience, qui souffre, si nous nous égarons et qui fait la fête quand nous somme de retour.
Pour cela, la relation avec Dieu se construit à travers une histoire, semblable à ce qui se passe pour chaque enfant avec ses parents: au début, il dépend d'eux; puis il revendique son autonomie et, enfin, - s'il y a une évolution positive - il parvient à une relation mûre, basée sur la reconnaissance et sur l'amour authentique.

Dans ces étape, nous pouvons aussi lire les moments du chemin de l'homme dans sa relation avec Dieu. Il peut y avoir une phase qui est comme l'enfance: une religion mue par le besoin et la dépendance. Au fur et à mesure que l'homme croît et s'émancipe il veut se libérer de cette soumission et devenir libre, adulte, capable de se débrouiller tout seul et de faire ses propres choix de manière autonome, pensant même pouvoir se passer de Dieu. Cette phase, précisément, est délicate, elle peut déboucher sur l'athéisme, mais cela dissimule trop souvent le besoin de découvrir le vrai visage de Dieu

Heureusement pour nous, Dieu ne manque jamais à sa loyauté, et même si nous nous éloignons et nous perdons, il continue à nous suivre avec son amour, pardonnant nos fautes et parlant à notre conscience, pour nous ramener à lui.

Dans la parabole, les deux enfants se comportent d'une manière inverse: le cadet s'en va et tombe toujours plus bas, tandis que l'aîné reste à la maison, mais il a lui aussi un rapport immature avec le Père; en effet, lorsque son frère revient, l'aîné n'est pas heureux comme l'est, en revanche, le père, et même, il se met en colère et ne veut pas rentrer à la maison.
Les deux fils représentent deux façons immatures de se mettre en en rapport avec Dieu: la rébellion et l'hypocrisie. Ces deux formes sont surmontées grâce à l'expérience de la miséricorde. Ce n'est qu'en faisant l'expérience du pardon, en se reconnaissant aimé d'un amour gratuit, plus grand que notre misère, mais aussi que notre justice, que nous entrons enfin dans une relation vraiment filiale et libre avec Dieu.

Chers amis, méditons sur cette parabole. Reflètons-nous dans les deux fils, et surtout, contemplons le cœur du Père. Jetons-nous dans ses bras et laissons-nous régénérer par son amour miséricordieux. Que la Vierge Marie, Mère de Miséricorde, nous y aide.

     

La parabole du Fils Prodigue

(Luc, 15)
Un homme avait deux fils.

12 Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien.
13 Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche.
14 Lorsqu'il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.
15 Il alla se mettre au service d'un des habitants du pays, qui l'envoya dans ses champs garder les pourceaux.
16 Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait.
17 Étant rentré en lui-même, il se dit : Combien de mercenaires chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !
18 Je me lèverai, j'irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi,
19 je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes mercenaires.
20 Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa.
21 Le fils lui dit : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d'être appelé ton fils.
22 Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez vite la plus belle robe, et l'en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds.
23 Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ;
24 car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir.
25 Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu'il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses.
26 Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c'était.
27 Ce serviteur lui dit : Ton frère est de retour, et, parce qu'il l'a retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras.
28 Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d'entrer.
29 Mais il répondit à son père : Voici, il y a tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis.
30 Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c'est pour lui que tu as tué le veau gras !
31 Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi ;
32 mais il fallait bien s'égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu'il est revenu à la vie, parce qu'il était perdu et qu'il est retrouvé.
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