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Pour Benoît, la beauté est une catégorie morale

... elle est la marque de la vérité. Un splendide article de 2006, à redécouvrir (7/4/2013)

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Image ci-dessous: Messe de canonisation de Frei Galvao, au Campo di Marte de Sao Paolo (voyage au Brésil, 9-13 mai 2007).
Une lectrice m'écrivait:
J'ai vu cette photo, que je trouve sublime - dans ce profil il me semble que nous voyons notre Saint Père au fils des ans de sa vie... du jeune garçon, le prêtre, le professeur, l'évêque, le cardinal préfet, et le Successeur de Pierre - ils sont tous gravés dans ce profil à la foi serein et sérieux...

Explication

J'ai retrouvé cet article dont j'avais publié une version tronquée sur mon site (avec en illustration une animation "flash" qui a malheureusement disparu du serveur: on pourrait la replacer par cette video déjà reproduite dans des pages antérieures: http://youtu.be/l5Ta0hNVH4A ).
Heureusement, le site ESM l'avait publié in extenso. Il était issu du site Pro Liturgia - qui ne conserve pas ses archives.
Je le repropose aujourd'hui, car en plus d'être un bel hommage au Pape Benoît, c'est aussi une illustration d'un des enjeux de ce début de pontificat: la place de la liturgie.
L'article date de septembre 2006, soit près d'un an avant la promulgation du motu proprio Summorum Pontificum (le 7 juillet 2007).
Je ne connais pas l'auteur, Alexandre Kissler. Monsieur Denis Crouan me dit que l'article original, en allemand, avait été (?) publié sur le site kath.net.

     

LA BEAUTÉ DE LA LITURGIE MANIFESTE LA FORCE DE NOTRE FOI.
Alexandre KISSLER
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Pour Benoît XVI, la beauté est une catégorie morale: elle est la marque de la vérité. Et elle peut être la voie royale conduisant à mener une vie qui plaît à Dieu. Or la foi tire sa force de la liturgie comme source de toute beauté qui offre sa consolation à celui qui la contemple.

«L'amour suffit: il sauve l'homme. Qui aime, est chrétien».
Ici, c'est Joseph Ratzinger qui parle, à la cathédrale de Münster (Westphalie) en 1964. S'il fallait une preuve de la continuité de la pensée théologique de notre pape à travers le temps, on pourrait faire appel à ses homélies pour le temps de l'Avent, données à Munster. Le coeur de l'encyclique "Deus Caritas Est", de décembre 2005, se trouve déjà exprimé en de nombreux endroits des écrits de Ratzinger datant des années cinquante et soixante. Et il en est de même avec la deuxième notion clé de son Pontificat: la vérité. Les deux notions pourtant - amour et vérité - se trouvent englobées dans une troisième idées fondamentale pour Benoît XVI, la plus éclatante mais aussi la plus fragile des trois: la beauté.

Un vrai chemin de la connaissance.
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Très peu de gens s'étaient attendus à ce que Joseph Ratzinger se rallie facilement au style papal de son prédécesseur. Il sait, comme l'a su Jean-Paul II, que l'Eglise est productrice d'images, et que le pape lui-même est la première image que l'Eglise donne d'elle-même - nolens volens -. En ce troisième millénaire, l'homme s'efforce autant que faire se peut de ressembler à l'image idéale qu'il se fait de lui-même, jusqu'à en devenir l'esclave: il adopte une image plus rêvée que réelle. En opposition à cette tendance actuelle, Benoît XVI propose l'option beauté: et la beauté est pour lui une catégorie morale. Elle est le sceau de la vérité, le diadème de l'amour.

Le rôle de producteur d'image était, parmi les tâches qui se présentaient à l'ancien Cardinal de Curie, celle qui lui semblait la plus délicate. Du jour au lendemain, cet intellectuel timide est devenu la personnalité la plus photographiée de tous les temps. Ce théoricien de l'esthétique devait à présent se confronter à la mise en pratique de sa propre théorie. Or qui n'avait vu jusqu'ici en la personne de Joseph Ratzinger que la sévérité et la puissance du maître en dogmatique, n'en croyait ses yeux! On a pu voir Benoît XVI se laisser coiffer du casque rutilant des pompiers, se faire photographier dans un cabriolet alors qu'il portait des lunettes de soleil dernier cri et lançait des regards amusés; on l'a vu ressortir du vestiaire du Vatican, le camauro, ce bonnet d'hiver écarlate bordé de fourrure blanche...
(cf.
http://youtu.be/l5Ta0hNVH4A )
Les photos ont fait le tour du monde à la vitesse grand V. Leur point commun à toutes: un condensé de gaieté et de simplicité. L'esthétique qu'elles véhiculent, par contre, n'a rien en commun avec les canons habituels de la beauté vantée par les médias: avec le pape aucune dissonance, aucune marque d' «hystérie».

Dans la pensée théologique de Benoît XVI, la notion de beauté marque le point de rencontre entre l'immanence et la transcendance. Tout en étant tissée avec les fils du temps présent et restant dans le domaine de l'image, elle montre le chemin du bonheur réel et définitif d'un autre monde: elle est comme l'habit terrestre que revêt ce bonheur-là pour se présenter à nous. En tant que platonicien - ce qu'il fut et ce qu'il est resté - Joseph Ratzinger considère que le «vrai chemin de la connaissance» est dans ce «choc que ressent le coeur lorsqu'il rencontre la beauté». Il est rarement question, de façon explicite, de ce thème de la beauté dans les homélies et les discours de Benoît XVI. Mais très souvent, cette notion est sous-jacente à l'organisation des arguments exposés: elle permet de comprendre ce qui caractérise fondamentalement la vie chrétienne, c'est à dire une vie transformée par le Christ.

La grandeur de la vie humaine
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Au cours de ces derniers mois, Benoît XVI a beaucoup parlé de la beauté de l'âme, qu'il convient de préserver par la confession, de la beauté du baptême et de la beauté d'une vie simple et laborieuse, de la beauté de «la famille fondée sur le sacrement du mariage», de «la vie elle-même dans sa beauté et sa grandeur», et aussi, - sur un ton sévère face aux évêques autrichiens - de «la pureté et de la beauté de la foi catholique, qui éclaire encore aujourd'hui la vie des hommes». Le Conseil Pontifical pour la Culture a travaillé fin mars, au cours de son assemblée générale, sur le thème de la beauté, la décrivant comme une valeur fondamentale de la foi et de la vie chrétienne. Fin mai, le Congrès des Communautés Nouvelles, à son tour, s'est placé sous ce signe de la beauté, en proposant ce slogan certes un peu lourd à manier: «La beauté de l'identité chrétienne, la joie de la partager avec les autres". Et finalement, le voyage pastoral de Benoît XVI en Bavière se propose de montrer qu'il "est beau de croire».

L'océan de la beauté ne semble pas connaître de rivage. La beauté peut ainsi, selon les cas, être aussi bien une expérience spirituelle qu'un comportement éthique précis ou une certaine pratique rituelle. Tout peut être beau: aussi bien le quotidien que le jour de fête, aussi bien le moment exceptionnel que la vie tout entière. Mais dans ce cas, la notion de beauté ne perd elle pas de sa force? Ne se trouve-t- elle pas réduite à une simple étiquette attribuée indifféremment à telle ou telle façon de se comporter? Benoît XVI nous donne une réponse capitale à ces questions, et ce, à un moment qui ne peut laisser indifférent. Le 3 avril 2006, en effet, le jour anniversaire de la mort de Jean-Paul II, lors de la prière des Vigiles, il nous a dit pourquoi son prédécesseur était devenu un «compagnon pour chacun d'entre nous»: c'est parce qu'il «s'était rapproché insensiblement de Dieu par la prière et l'amour de la vérité et de la beauté».

La beauté peut ainsi devenir la voie royale pour une vie qui plaise à Dieu, comme l'on disait autrefois. Elle représente, en effet, de manière idéale, le résultat d'un effort pour atteindre l'amour et la vérité. Elle est là, à l'affût, dans ce qui est petit et caché, même dans ce qui peut nous sembler laid ou d'une harmonie toute conventionnelle: il faut, pour la découvrir, donner une certaine profondeur à ces apparences, les appréhender avec un certain esprit. La beauté, pourrait-on dire, se trouve dans l'oeil de l'observateur - si celui-ci possède un coeur sensible et une main compatissante -. Alors il devient lui-même un témoin de la beauté.

Malgré tous les efforts, le monde restera toujours le lieu où s'affrontent le bien et le mal. Dans le monde d'ici-bas, nul paradis: c'est la conviction profonde de Benoît XVI. Au début du Carême de cette année il disait: «Le chrétien est appelé à mener chaque jour un nouveau combat, comme l'a fait le Christ au désert. Il s'agit d'un combat spirituel, au cours duquel il s'oppose au péché, c'est à dire en fin de compte à Satan. C'est un combat qui mobilise toute sa personne et requiert une conscience éveillée, attentive et durable. () Chaque disciple de Jésus est appelé à lutter contre le mal, contre toute forme d'égoïsme et de haine: c'est un chemin d'ascèse, un chemin d'humilité et de patience, de générosité et de persévérance qui le mènera à mourir à lui-même pour vivre en Dieu».
Dans ce sens, la beauté, la «grandeur» de la vie humaine, ne pourront jamais parvenir qu'à des moments de triomphes éphémères. La souffrance ne sera pas vaincue dans ce monde-ci. «L'existence d'une société définitivement débarrassée du mal signifierait la fin de la notion de liberté», écrivait Joseph Ratzinger en 2002. Et pourtant, «le monde appartient à Dieu et non au Mal, quels que puissent être ses méfaits», dit encore Ratzinger en 2004. Comment accepter et supporter cette tension entre l'assurance d'être sauvé d'une part, et d'autre part la permanence de la présence du mal? D'où l'homme - toujours en route, toujours confronté à la finitude - peut-il tirer la force nécessaire au combat spirituel?
Ecoutons la réponse de Ratzinger et de Benoît XVI: l'homme tire sa force de la beauté, et particulièrement de la beauté de la liturgie. La liturgie est ce foyer brûlant où se rencontrent les rayons de la beauté à la fois immanente et transcendante.

La consolation, une ressource qui se fait rare.
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«Si nous voulons véritablement comprendre ce qu'est l'Eglise, il faut la regarder sous l'angle de la liturgie»: cette remarque du Préfet de la Congrégation pour la foi n'a pas été reprise telle quelle par le Souverain Pontife. Jusqu'ici, il s'était d'ailleurs montré remarquablement discret sur sa propre expérience, ou sur la façon dont les chrétiens vivent la présence de Jésus. C'est avec d'autant plus de force qu'il révélait, début avril, que sa propre vocation aurait été impensable sans l'expérience de la beauté liturgique: «J'ai ressenti en effet que dans la liturgie, la beauté de Dieu nous rend éclatants, et capables de nous ouvrir au ciel». Une façon de mettre la barre très haut!
Les actes de l'homme, son espérance et sa prière, doivent le rendre capable d'accueillir Dieu. «L'incomparable beauté du Créateur du monde» - que Benoît XVI devait sentir un peu plus tard dans l'Ave Verum de Mozart, souvent chanté au cours des célébrations liturgiques -, une telle beauté se doit de trouver un écho dans les célébrations eucharistiques de nos communautés. Mais Joseph Ratzinger, dans son rôle de théologien et d'évêque, n'en fait aucun mystère: cette beauté-là est bien mal en point. La mise en oeuvre de la liturgie lui semble être à bout de souffle, épuisée, marquée par le manque de respect et la possibilité de toutes sortes de manipulations.
Chaque domaine esthétique porte en lui-même une éthique: cela est vrai aussi, et dans une tout autre proportion, pour l'acte cultuel, que certains décrivent comme un «jeu divin». La liturgie constitue une urgence pour la foi. C'est en effet dans la façon dont les croyants célèbrent la liturgie qu'on peut estimer le sérieux de la démarche devant les mener à «mourir à soi-même».
Si l'on en croit la longue liste des manipulations arbitraires auxquelles est soumise actuellement la liturgie, liste établie par le Cardinal Ratzinger, on en vient à douter de ce sérieux. Selon lui, l'acte de communier, est devenu «une sorte de rituel social»; le fait de s'agenouiller compris comme «attitude corporelle signifiant de la meilleure façon possible la piété chrétienne» a été banni de nos célébrations, tout comme l'usage du latin; la réforme liturgique a été mise en oeuvre de façon «trop intellectualisée, comme une forme d'enseignement religieux»; le célébrant se prend trop souvent pour un showmaster, qui dans un langage qui se veut proche des gens ne fait que ressasser l'esprit du temps.
Dans la bouche d'un pape, cette liste serait perçue comme un affront. C'est pourquoi Benoît XVI se tient ici en retrait. Mais les célébrations qu'il préside lui-même donnent à voir une noble simplicité liturgique, et préconisent nettement une renaissance de l'usage du latin.

A peine dix ans se sont passés depuis que Joseph Ratzinger a fustigé l' «excommunication» de l'ancien missel romain. Il a prôné la nécessité «d'une présence plus marquée d'éléments latin, afin de souligner la dimension universelle de la liturgie». Il a proposé que la forme préconciliaire du rite romain, qui n'est aujourd'hui ni interdit ni dépassé, soit «accordé plus généreusement». Il a estimé que l'interdiction de fait qui affecte la forme liturgique en vigueur jusque en 1970 doit cesser. Il ne comprend pas pourquoi «de nombreux évêques, mes confrères, se soumettent à ce diktat intolérant».

La question reste pourtant ouverte: l'ancienne forme de la messe, sans autel face au peuple, avec des prières latines et sans communion dans la main, présentait-elle davantage de facettes de la beauté que le nouveau rite - d'ailleurs plus si nouveau que cela -?

Peut-être faudrait-il poser sur la balance un autre critère, une ultime dimension de la beauté. On reconnaît aussi la beauté dans sa capacité à apporter la consolation, le réconfort. Qui regarde la beauté face à face retourne chez lui apaisé, consolé. La ressource dont la société du troisième millénaire manquera le plus, sera sans nul doute la consolation et le réconfort.

Et l'on doit alors dès aujourd'hui poser cette question: la façon avec laquelle est trop souvent célébrée, dans nos paroisses, la liturgie actuelle, apporte-t-elle consolation et réconfort, ou ne se limite-t-elle qu'à proposer un amusement fugace?