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Quand Benoît XVI explique son encyclique

La lettre de Benoît XVI aux lecteurs de l'hebdomadaire Famiglia Cristiana pour présenter sa première encyclique "Deus Caritas est" mérite un article pour elle seule! (26/05/2013)

J'en parlais hier: (cf. Encyclique, et herméneutique de la continuité ): le n°6/2006, du 1er février 2006, contenait en encart la première encyclique.
Et le pape lui-même l'expliquait aux lecteurs de la revue dans une lettre splendide que je reproduis ici (ma traduction) en format texte

     

Chers lectrices et lecteurs de Famiglia Cristiana,

Je suis heureux que Famiglia Cristiana vous envoie à la maison le texte de ma première encyclique, et me donne à moi l'opportunité de l'accompagner de quelques mots qui veulent en faciliter la lecture.
Au début, en fait, le texte peut paraître un peu difficile et théorique. Pourtant, quand on se plonge dans sa lecture, il devient évident que j'ai seulement voulu répondre à quelques questions très concrètes de la vie chrétienne.

La première question est la suivante: peut-on vraiment aimer Dieu? Et aussi: l'amour peut-il être imposé? N'est-ce pas un sentiment que l'on a ou que l'on n'a pas?
La réponse à la première question est: oui, nous pouvons aimer Dieu, étant donné que lui même n'est pas resté à une distance innaccessible, mais il est entré, et il entre encore dans notre vie. Il vient vers nous, vers chacun de nous, par les sacrement, à travers lesquels il opère dans notre vie; avec la foi de l'Eglise, à travers laquelle il se tourne vers nous; en nous faisant rencontrer des gens qui ont été touchés par lui, et qui transmettent sa lumière; avec les dispositions à travers lesquelles il intervient dans notre vie; avec les signes de la Création, qu'il nous a donnée.
Il ne nous a pas seulement offert l'amour, mais il l'a d'abord vécu, et il frappe à la porte de notre coeur de plusieurs façons, pour susciter notre amour en réponse. L'amour n'est pas seulement un sentiment, la volonté et l'intelligence en font aussi partie. Avec Sa parole, Dieu s'adresse à notre intelligence, à notre volonté, et à nos sentiments, de telle sorte que nous puissions apprendre à l'aimer "de tout notre coeur et de toute notre âme".
L'amour, en fait, nous ne le trouvons pas déjà tout fait, tout prêt, mais il croît; pour ainsi dire, nous pouvons en faire lentement l'apprentissage, de telle sorte qu'il embrasse toujours plus toutes nos forces, et nous ouvre la voie d'une vie de droiture.

La deuxième question est la suivante: pouvons-nous vraiment aimer notre prochain, qui nous est étranger, ou même antipathique? Oui, nous le pouvons, si nous sommes les amis de Dieu. Si nous sommes les amis du Christ, de cette façon, il nous devient toujours plus clair que lui nous a aimés, et nous aime, bien que, souvent, nous détournions de lui notre regard, et vivions selon d'autres orientations. Si au contraire l'amitié avec lui devient pour nous, petit à petit, importante et incisive, alors nous commencerons à aimer ceux que lui aime, et qui ont besoin de mon aide. Lui désire que nous devenions les amis de ses amis, et nous le pouvons, si nous lui sommes proches intérieurement.

En dernier lieu, il y a cette question: avec ses commandements et ses interdits, l'Eglise ne nous rend-elle pas amère la joie de l'éros, d'être aimé, qui nous lie à l'autre et cherche à devenir union?
Dans l'encyclique, j'ai voulu démontrer que la promesse la plus profonde de l'éros peut mûrir seulement quand nous ne cherchons pas seulement à saisir le bonheur immédiat. Au contraire, nous trouvons ensemble la patience de découvrir l'Autre toujours plus en profondeur, dans la totalité de son corps et de son âme, de manière à ce que, en fin de compte, le bonheur de l'autre devienne plus important que le mien propre. Alors, on ne veut plus seulement prendre, mais donner, et c'est seulement dans cette libération de son "moi" que l'homme se trouve lui-même et devient rempli de joie. Dans l'encyclique, je parle d'un parcours de purification et de maturation nécessaire afin que la véritable promesse de l'éros s'accomplisse. Le langage de la tradition appelle cela "éducation à la chasteté", qui, en fin de compte, ne signifie rien d'autre que l'approfondissement de l'amour entier dans la patience de la croissance et de la maturation.

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Dans la seconde partie, il est question de la charité, le service d'amour communautaire de l'Eglise vers tous ceux qui souffrent dans leur coeur et dans leur âme, et qui ont besoin du don de l'amour.
Là se posent avant tout deux questions: l'Eglise ne peut-elle laisser ce service aux autres organisations philantropiques qui se constituent de plusieurs façons?
Voici la réponse: non, l'Eglise ne peut pas faire cela. Elle doit pratiquer l'amour du prochain aussi en tant que communauté, sinon, elle annonce le Dieu de l'amour de façon incomplète et insuffisante.

La seconde question est: ne faudrait-il pas plutôt tendre vers un ordre de justice où il n'y a plus de nécessiteux, et où, dès lors, la charité devient superflue?
Voici la réponse: indubitablement, le but ultime de la politique est de créer un ordre juste, dans lequel chacun est reconnu, et où nul ne souffre de la misère. En ce sens, la justice est le but réel de la politique, tout comme la paix, qui ne peut exister sans la justice. De par sa nature, l'Eglise ne fait pas de politique en son nom propre, mais elle respecte l'autonomie de l'Etat, et son ordre. La recherche de cet ordre de justice dû à la raison commune, de même que la politique, est l'affaire de tous les citoyens. Souvent pourtant, la raison est aveuglée par les intérêts et la soif de pouvoir. La foi sert à purifier la raison, parce qu'elle permet de voir et de décider correctement. C'est alors le devoir de l'Eglise de guérir la raison, et de renforcer la volonté de faire le bien. Dans ce sens - et sans faire elle-même de politique - l'Eglise participe avec passion à la lutte pour la justice. Aux chrétiens engagés dans des fonctions publiques, il appartient d'agir politiquement pour ouvrir toujours de nouveaux chemins vers la justice.
Ceci n'est pourtant que la première moitié de la réponse à notre question.

La seconde moitié, qui me tient particulièrement à coeur dans l'encyclique, dit: la justice ne pourra jamais rendre l'amour superflu. Au-delà de la justice, l'homme aura toujours besoin d'amour, qui seul peut donner une âme à la justice. Dans le monde blessé dont nous faisons l'expérience chaque jour, il n'est pas vraiment nécessaire d'insister pour le montrer. Le monde attend le témoignage de l'amour chrétien qui nous est donné par la foi. Dans notre monde, souvent si sombre, avec cet amour, c'est la lumière de Dieu qui brille.