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Quand Benoît XVI parle aux parents et éducateurs

Lettre au diocèse de Rome sur le devoir d'éducation, du 21 janvier 2008 (12/6/2013).

Ma traduction de l'époque (c'est le texte cité par Nadal dans sa contibution au livre « En parlant avec le Pape » (cf. « Ami Nadal » )

Sur un ton bienveillant et familier, il s'adresse aux parents et aux enseignants, et il répond très simplement, avec des mots et des arguments de la vie courante, aux questions que nous nous posons, même celle-là, si convenue, et si souvent entendue: "les enfants d'aujourd'hui seraient-ils différents de ceux qui naissaient autrefois?"

Il n'élude pas le problème fondamental de l'autorité.

Avec la grande délicatesse qui le caractérise, on voit bien qu'il prend soin de s'adresser à tous, y compris les non-croyants, puisque nous somme tous concernés par la nécessité de rendre supportable la "maison" où la "famille humaine" vit ensemble: il n'assène pas la foi comme une obligation, mais il ne manque pas de rappeler à touches légères qu'elle apporte ce quelque-chose en plus, cette lumière qui seule nous permet d'envisager l'avenir avec confiance.

A l'exact opposé du laxisme irresponsable issu des années post-68, qui gangrène encore l'ensemble du système éducatif, et dont les medias et le cinéma continuent de faire la promotion, c'est un véritable vadémécum à l'usage des parents et des professeurs, la "leçon" irremplaçable, et pour moi très émouvante, d'un grand sage, que chacun devrait lire et méditer.

Le Professeur

JMJ de Cologne, août 2005

Chers fidèles de Rome,

J'ai pensé m'adresser à vous avec cette lettre pour vous parler d'un problème que vous-mêmes ressentez et sur lequel les différentes composantes de notre Église s'engagent: le problème de l'éducation. Nous avons tous à coeur le bien des personnes que nous aimons, en particulier de nos enfants, adolescents et jeunes. Nous savons en effet que d'eux dépend l'avenir de notre ville. Nous ne pouvons donc pas ne pas être sollicités par la formation des nouvelles générations, par leur capacité à s'orienter dans la vie et à discerner le bien du mal, pour leur santé pas seulement physique mais aussi morale.

Éduquer, cependant, n'a jamais été facile, et aujourd'hui cela semble devenir toujours plus difficile.
Les parents, les enseignants, les prêtres et tous ceux qui ont dirigé des responsabilités éducatives le savent bien.
On parle donc d'une grande "urgence éducative", confirmée par les échecs que nous rencontrons trop souvent dans nos efforts pour former des personnes solides, capables de collaborer avec les autres et de donner un sens à leur vie.
On en vient alors spontanément à attribuer la faute aux nouvelles générations, comme si les enfants qui naissent aujourd'hui étaient différents de ceux qui naissaient dans le passé. On parle en outre d'une "fracture entre les générations", qui certainement existe, et pèse, mais qui est l'effet, plutôt que la cause, de l'échec dans la transmission de certitudes et de valeurs.

Devons-nous donc attribuer la faute aux adultes d'aujourd'hui, qui ne seraient plus capables d'éduquer ? La tentation de renoncer est forte, certainement, tant parmi les parents que parmi les enseignants et d'une manière générale parmi les éducateurs, plus encore le risque de ne même plus comprendre quel est leur rôle, ou mieux la mission qui leur est confiée.
En réalité, ce qui est en question, ce n'est pas seulement la responsabilité personnelle des adultes ou des jeunes, qui existe aussi et ne doit pas être cachée, mais aussi une atmosphère diffuse, une mentalité et une forme de culture qui portent à douter de la valeur de la personne humaine, du sens même de la vérité et du bien, et en dernière analyse de la bonté de la vie. Il devient difficile, alors, de transmettre d'une génération à l'autre quelque chose de valide et de certain, des règles de comportement, des objectifs crédibles autour desquels construire sa vie.

Chers frères et soeurs de Rome, à ce point je voudrais vous dire un mot très simple: ne craignez rien!
Toutes ces difficultés, en effet, ne sont pas insurmontables. Elles sont plutôt, pour ainsi dire, le revers de la médaille de ce don grand et précieux qui est notre liberté, avec la responsabilité qui justement l'accompagne. Contrairement à ce qui se produit dans le domaine technique ou économique, où les progrès d'aujourd'hui peuvent s'additionner à ceux du passé, dans le domaine de la formation et de la croissance morale des personnes, il n'existe pas une semblable possibilité d'accumulation, parce que la liberté de l'homme est toujours nouvelle et donc chaque personne et chaque génération doit prendre de nouveau, et en propre, ses décisions. Même les plus grandes valeurs du passé ne peuvent pas simplement être héritées, elle doivent devenir nôtres et être rénovées à travers un choix personnel, souvent douloureux.
Quand cependant sont ébranlées les fondements et viennent à manquer les certitudes essentielles, le besoin de ces valeurs en arrive à se faire sentir de manière pressante : ainsi, concrètement, la question d'une éducation qui soit vraiment éducation augmente aujourd'hui.
Les parents la demandent, préoccupés et souvent angoissés pour l'avenir de leurs enfants ; beaucoup d'enseignants la demandent, qui vivent la triste expérience de la dégradation de leurs écoles ; la societé dans sa complexité la demande, qui voit mises en doute les bases mêmes de la cohabitation ; au fond d'eux-mêmes, les enfants et les jeunes le demandent aussi, qui ne veulent pas être laissés seuls face aux défis de la vie. Celui qui croit en Jésus Christ a par la suite un autre et un plus fort motif pour ne pas avoir peur: il sait en effet que Dieu ne nous abandonne pas, que son amour nous rejoint là où nous sommes, et comme nous sommes, avec nos misères et nos faiblesses, pour nous offrir une nouvelle possibilité de bien.

Chers frères et soeurs, pour rendre plus concrètes mes réflexions, il peut être utile de déterminer quelques exigences communes d'une authentique éducation.
Elle a besoin d'abord de cette proximité et de cette confiance qui naissent de l'amour : je pense à cette première et fondamentale expérience de l'amour que les enfants font, ou au moins devraient faire, avec leurs parents. Mais chaque vrai éducateur sait que pour éduquer il doit offrir quelque chose de lui-même et que seulement ainsi il peut aider ses élèves à dépasser les égoïsmes et à devenir à leur tour capables d'un amour authentique.

Déjà chez un petit enfant, il y a un grand désir de savoir et de comprendre, qui se manifeste dans ses questions continuelles et ses demandes d'explications. Ce serait donc une bien pauvre éducation, celle qui se limiterait à donner des notions et des informations, mais laisserait de côté la grande question qui concerne la vérité, surtout cette vérité qui peut servir de guide dans la vie.

La souffrance aussi fait partie de la vérité de notre vie. Donc, en cherchant à épargner aux plus jeunes chaque difficulté et chaque expérience de la douleur, nous risquons de faire croître, malgré nos bonnes intentions, des personnes fragiles et peu généreuses : la capacité d'aimer correspond en effet à la capacité de souffrir, et de souffrir ensemble.

Nous en arrivons ainsi, chers amis de Rome, à l'aspect peut-être le plus délicat de l'oeuvre éducative: trouver un juste équilibre entre la liberté et la discipline.
Sans règles de comportement et de vie, mises en évidence jour apès jour, jusque dans les petites choses, on ne forme pas le caractère et il ne le prépare pas à affronter les épreuves qui ne manqueront pas dans futur.
Le rapport éducatif est cependant avant tout la rencontre de deux libertés et l'éducation bien réussie est la formation à l'usage droit de la liberté. Au fur et à mesure que l'enfant croît, il devient un adolescent et ensuite un jeune ; nous devons donc accepter le risque de la liberté, en restant toujours attentifs à l'aider à corriger des idées et des choix erronés. Ce que nous ne devons par contre jamais faire est de l'encourager dans les erreurs, feindre de ne pas les voir, ou pire les partager, comme si elles étaient les nouvelles frontières du progrès humain.

L'éducation ne peut donc pas se passer de cette autorité, qui rend crédible l'exercice de l'autorité. Elle est le fruit de l'expérience et de la compétence, mais elle s'acquiert surtout avec la cohérence de sa propre vie et avec l'implication personnelle, expression de l'amour vrai. L'éducateur est donc un témoin de la vérité et du bien: certes, lui aussi est fragile et peut faillir, mais il cherchera toujours de nouveau à se mettre en accord avec sa mission.

Très chers fidèles de Rome, de ces simples considérations il ressort combien dans l'éducation, le sens des responsabilités est décisif : responsabilité de l'éducateur, certainement, mais aussi, et d'une manière qui croît avec l'âge, responsabilité du fils, de l'élève, du jeune qui entre dans le monde du travail. Est responsable celui qui sait répondre à lui-même et aux autres. Celui qui croit recherche en outre, et d'abord, à répondre à Dieu qui l'a aimé en premier.

La responsabilité est avant tout personnelle, mais il y a aussi une responsabilité que nous partageons ensemble, comme citoyens d'une même ville et d'un même pays, comme membres de la famille humaine et, si nous sommes des croyants, comme fils d'un unique Dieu et membres de l'Église.
De fait les idées, les styles de vie, les lois, les orientations globales de la societé dans laquelle nous vivons, et l'image qu'elle donne d'elle-même à travers les moyens de communication, exercent une grande influence sur la formation des nouvelles générations, en bien mais souvent également en mal. La societé cependant n'est pas une abstraction ; en fin de compte, nous sommes nous-mêmes et tous ensemble, avec les orientations, les règles et les représentants que nous nous donnons, bien que les rôles et les responsabilités de chacun soient différents. Il y a donc besoin de la contribution de chacun de nous, de chaque personne, famille ou groupe social, afin que la societé, à commencer par notre ville de Rome, devienne un milieu plus favorable à l'éducation.

Je voudrais pour finir vous proposer une pensée que j'ai développée dans la récente Lettre encyclique Spe Salvi sur l'espérance chrétienne : seule l'espérance en quelque chose de fiable peut être l'âme de l'éducation, comme d'une vie entière.
Aujourd'hui notre espérance est attaquée de toutes parts, et nous risquons de redevenir nous-mêmes , comme les anciens païens, des hommes "sans espérance et sans Dieu dans ce monde", comme l'écrivait l'apôtre Paul aux chrétiens d'Ephèse. C'est justement de là que naît la difficulté peut-être la plus profonde d'une véritable oeuvre educative : à la racine de la crise de l'éducation il y a en effet une crise de confiance dans la vie.

Je ne peux donc pas terminer cette lettre sans une chaleureuse invitation à placer en Dieu notre espérance. Lui seul est l'espérance qui résiste à toutes les déceptions; son amour seul ne peut pas être détruit par la mort ; seules sa justice et sa miséricorde peuvent guérir l'injustice et récompenser des souffrances subies. L'espérance qui s'adresse à Dieu n'est jamais espérance seulement pour moi, c'est toujours aussi une espérance pour les autres : elle ne nous isole pas, mais elle nous rend solidaires dans le bien, elle nous stimule à nous éduquer réciproquement à la vérité et à l'amour.

Je vous salue avec affection et je vous assure un spécial souvenir dans la prière, tandis qu'à tous j'adresse ma Bénédiction.

Du Vatican, 21 janvier 2008