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Réformer l'Eglise?

Un lumineux discours du cardinal Ratzinger prononcé lors du meeting de Rimini en août 1990. A méditer alors que le l'élection d'un nouveau Pontife fait espérer à certains une réforme des structures de l'Eglise qui résoudrait comme par miracle tous les problèmes (10/4/2013).

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La communion de la foi

     



Le texte est traduit de l'italien par Anne-Marie Picard, et figure dans l'ouvrage paru aux éditions "Parole et silence":
Joseph Ratzinger.
La communion de la foi.
Croire et célébrer


L'ouvrage en propose, dans la table des matières, une synthèse à laquelle je n'ai rien à ajouter:

Ce n'est pas d'une Eglise plus humaine, que nous avons besoin, mais d'une Eglise plus divine. Plus nous échafaudons des structures, moins il y a d'espace pour l'Esprit et le Seigneur.... La véritable réforme doit être une ablation: retrancher les scories qui voilent en nous l'image de Dieu.

Merci à Raffaella, qui m'a donné l'idée d'acheter le livre, en publiant un autre extrait (sur lequel nous reviendrons peut-être: une réflexion sur la Conscience), et à Monique T. qui m'a obligeamment fourni la référence.

Comme il est relativement long, pour la mesure d'un site internet (j'utilise l'OCR, et je n'ai pas fini de "corriger" les coquilles) je le propose en deux parties... histoire aussi de faire durer le plaisir!

     

Une société à réformer sans cesse


Le mécontentement vis-à-vis de l'Église
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Point n'est besoin de beaucoup d'imagination pour deviner que la « société » dont je veux parler, c'est l'Eglise. Peut-être, dans le titre, le terme « Église » a-t-il été évité uniquement pour cette raison qu'il provoque immédiatement des réactions de défense chez la plupart de nos contemporains. Ils pensent: « L'Église, nous en avons déjà par trop entendu parler, et, le plus souvent, il s'agissait plutôt de quelque chose de désagréable. » La voix de 1'Église, sa réalité, sont tombées en discrédit. Aussi une réforme permanente paraît-elle ne rien pouvoir changer. Ou peut-être le problème vient-il seulement de ce que l'on n'a pas découvert jusqu'ici le type de réforme qui pourrait faire de l'Église une société qui en vaille véritablement la peine.
Interrogeons-nous d'emblée : pourquoi l'Église apparait-elle importune à tant de gens, et même à des croyants, des personnes que l'on pouvait récemment encore compter parmi les plus fidèles, ou qui le sont aujourd'hui encore d'une certaine façon, quoique dans la souffrance? Les raisons en sont fort diverses, opposées même, selon les cas : d'aucuns souffrent de ce que l'Église se soit par trop conformée aux paramètres de ce monde, d'autres sont contrariés de l'en voir toujours aussi étrangère.
Pour la majorité, le mécontentement vis-à-vis de l'Église provient du fait qu'étant une institution comme beaucoup d'autres, elle aussi limite leur liberté. La soif de liberté est la forme dans laquelle s'exprime aujourd'hui le désir de libération et le sentiment d'aliénation. L'invocation de la liberté montre que j'aspire à une existence qui ne soit pas limitée par ce qui est déjà donné, par ce qui vient faire obstacle à mon plein épanouissement, en me présentant de l'extérieur la route que je devrais suivre. Mais surtout, je me heurte à des barrières, à des barrages routiers qui m'arrêtent et m'empêchent de passer outre. Ces barrages élevés par l'Église apparaissent par conséquent comme doublement pénibles parce qu'ils pénètrent jusque dans ma sphère la plus personnelle et la plus intime. De fait, les règles de vie de l'Église sont bien plus qu'une espèce de code de la route permettant à la société d'éviter autant que possible les collisions. Elles concernent mon cheminement intérieur, me disent comment je dois comprendre et former ma liberté. Elles exigent de ma part des décisions qui ne peuvent être prises sans la souffrance du renoncement. Peut-être veut-on me refuser les plus beaux fruits du jardin de la vie? Peut-être est-il vrai que l'étroitesse de tous ces commandements et de toutes ces interdictions me barre la route d'un grand horizon ? Ma pensée n'est-elle pas entravée, de même que ma volonté? La libération ne doit-elle pas nécessairement être la sortie d'une pareille tutelle spirituelle? Enfin l'unique véritable réforme ne consisterait-elle pas à refuser tout cela? Mais alors, que subsisterait-il encore de cette « société » ?
L'amertume ressentie envers l'Église a cependant aussi une raison particulière. De fait, au sein d'un monde gouverné par des règles dures et des contraintes inexorables, s'élève encore et toujours vers elle une muette espérance : au milieu de cela, elle pourrait apparaître comme une petite île de vie meilleure, une petite oasis de liberté, où l'on pourrait se retirer de temps à autre. L'irritation contre l'Église, la déception à son égard, ont donc un caractère spécifique, puisque l'on attend d'elle plus que des autres institutions terrestres. En elle devrait se réaliser le rêve d'un monde meilleur. L'on voudrait du moins savourer en elle le goût de la liberté, le sentiment d'être libéré, d'être sorti de la caverne dont parle Grégoire le Grand en se référant à Platon.
Toutefois, à partir du moment où, dans son aspect concret, l'Église s'est tellement éloignée de semblables rêves, adoptant elle aussi l'allure d'une institution et de tout ce qui est humain, il s'élève contre elle une colère particulièrement amère. Et cette colère ne pourra s'éteindre, précisément parce que ne peut s'éteindre le rêve que nous nourrissions, en nous tournant vers elle avec espérance. Puisque 1'Église n'est pas telle qu'elle apparait dans nos rêves, nous cherchons désespérément à la rendre telle que nous la désirons : le lieu où puissent s'exprimer toutes les libertés, l'espace où soient abattues nos limites, et où nous expérimenterions cette utopie qui doit quand même bien exister quelque part. De même que dans le domaine politique l'on voudrait finalement construire un monde meilleur, ainsi pense-t-on que la première étape en serait peut-être l'instauration d'une Église meilleure : une Église pleinement humaine, ayant le sens de la fraternité, de la créativité généreuse, demeure de réconciliation de tout et pour tous.


Une réforme inutile
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Mais comment cela se produirait-il? Comment semblable réforme pourrait-elle réussir? Eh bien, commençons toujours, disons-nous. Et, souvent, c'est dit avec la présomption ingénue de l'esprit éclairé, persuadé que les générations précédentes n'ont pas bien saisi le problème, ou qu'elles se sont montrées trop pusillanimes et bien peu éclairées. Nous, par contre, nous possédons finalement aussi bien le courage que l'intelligence. Quelle que soit la résistance que les réactionnaires et les « fondamentalistes » puissent opposer à cette noble entreprise, elle sera mise en œuvre. Du moins il y a une recette extrêmement éclairante au départ : l'Église n'est pas une démocratie. A ce qu'il paraît, elle n'a pas encore intégré dans sa constitution interne ce patrimoine de droits de la liberté élaboré par le siècle des Lumières, et reconnu depuis lors comme loi fondamentale par les formations sociales politiques. Ainsi semble-t-il être la chose la plus ordinaire du monde que de récupérer une bonne fois tout ce qui avait été laissé de côté, et de commencer à constituer ce patrimoine fondamental de structures de liberté. Comme on dit, ce chemin va d'une Église paternaliste et distributrice de biens à une Église-communauté : personne ne devrait plus se contenter de recevoir passivement les dons qui le font chrétien. Au contraire, chacun doit devenir un acteur de la vie chrétienne. L'Église ne doit plus venir d'en haut. Non ! C'est nous qui « faisons » 1'Église, et nous la faisons toujours neuve. C'est ainsi qu'elle deviendra finalement « notre » Église, et nous, ses sujets actifs et responsables. Son côté passif le cède au côté actif. L'Église surgit à travers les débats, les accords et les décisions. Des discussions émerge ce qui, aujourd'hui encore, peut être exigé, ce qui peut être, aujourd'hui encore, reconnu par tous comme appartenant à la foi, ou comme ligne directrice morale. L'on forge de nouvelles « formules de foi » abrégées.
En Allemagne, à un niveau relativement élevé, on a déclaré que la liturgie non plus ne doit plus correspondre à un schéma déjà donné, mais qu'elle doit au contraire surgir sur place, dans une situation donnée, être l'œuvre de la communauté pour laquelle on célèbre. Elle non plus ne doit plus être préconstituée en rien, elle doit au contraire être quelque chose qui vienne de soi, l'expression de soi-même. Sur ce chemin, la Parole de l'Écriture se révèle être en général un peu un obstacle, car on ne peut quand même y renoncer tout à fait. Il faut alors l'affronter dans une grande liberté de choix. Mais il n'y a pas tellement de textes qui se prêtent ainsi à l'adaptation, sans perturber cette « autoréalisation » que semble aujourd'hui viser la liturgie.

Mais dans cette œuvre de réforme, où, au sein de l'Église même, l'« autogestion » vient se substituer à la direction, surgissent bientôt des questions : qui a ici proprement le droit de prendre les décisions ? Sur quelle base cela se fait-il ? En démocratie politique, cette question est résolue par le système de la représentation : pour les élections, chacun choisit ses représentants et ces derniers prennent les décisions pour lui. Cette charge est limitée dans le temps, son contenu est circonscrit aussi dans ses grandes lignes, par le système des partis, et elle concerne uniquement les domaines d'action politique que la Constitution a assignés aux entités nationales représentatives.
Mais à ce propos aussi subsistent des questions : la minorité doit s'incliner devant la majorité, et cette minorité peut être importante. En outre, il n'est pas toujours garanti que le représentant que j'ai élu agisse et parle vraiment dans mon sens, de sorte que, si l'on y regarde de près, ici encore la majorité victorieuse ne peut absolument pas être considérée intégralement comme le sujet actif de l'action politique. Au contraire, elle doit accepter aussi des « décisions prises par d'autres », afin, tout au moins, de ne pas mettre en danger le système tout entier.

Pour la question qui nous intéresse, il est toutefois un problème général plus important: tout ce que les hommes font risque d'être défait par d'autres. Tout ce qui émane d'une appréciation humaine peut ne pas plaire à d'autres. Tout ce qu'une majorité décide peut être abrogé par une autre majorité. Une Église qui repose sur les décisions d'une majorité devient une Église purement humaine. Elle se voit réduite au niveau du faisable et du plausible, de tout ce qui résulte de l'action, des intuitions et des opinions personnelles. L'opinion vient se substituer à la foi. Et effectivement, dans les formules de foi forgées spontanément que je connais, l'expression « je crois » ne signifie jamais rien d'autre que « nous pensons ». L'Église faite par nous a finalement une saveur de « nous-mêmes », jamais agréable pour les autres « nous-mêmes », et révélant bientôt sa propre étroitesse. Elle s'est cantonnée dans le domaine de l'empirique, et l'idéal qu'elle représentait s'est dissous lui aussi comme un rêve.


L'essence de la véritable réforme
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L'activiste, celui qui veut tout construire par lui-même, est l'opposé de celui qui admire (« l’admirateur »). Il restreint le domaine de sa raison propre et perd ainsi de vue le Mystère.
Dans l'Église, plus on étend le domaine des choses que l'on décide et réalise de soi-même, plus elle devient étroite pour nous tous. Sa dimension de grandeur et de libération n'est pas constituée par ce que nous réalisons nous-mêmes, mais par ce qui nous est donné à tous, ce qui ne vient pas de notre volonté et de notre inventivité, mais au contraire de ce qui « est plus grand que notre cœur », de ce qui nous précède et qui vient à nous, inimaginable. La « reformatio » nécessaire à notre temps, ne consiste pas dans le fait que nous soyons capables de remodeler indéfiniment « notre » Église, à volonté, et de l'inventer, mais bien au contraire dans le fait que nous ne cessions de balayer nos propres échafaudages, afin de laisser place à la lumière très pure qui vient d'en haut et qui est aussi irruption de la pure liberté.
Permettez-moi d'exprimer ce que je veux dire par une image que j'ai trouvée chez Michel Ange et qui, en ce domaine, reprend pour sa part d'antiques conceptions de la mystique et de la philosophie chrétiennes. Avec son regard d'artiste, Michel Ange voyait déjà dans la pierre qu'il avait sous les yeux le modèle attendant secrètement d'être libéré et mis en lumière. Selon lui, la tâche de l'artiste consistait uniquement à ôter ce qui recouvrait encore l'image, et le véritable acte artistique à remettre en lumière et en liberté, et non point à produire.
Or cette même idée, appliquée au domaine anthropologique, se trouvait déjà chez saint Bonaventure, qui explique le chemin par lequel l'homme devient véritablement lui-même, et qui s'appuie sur la comparaison du tailleur d'images, du sculpteur donc. Le sculpteur ne fait pas quelque chose, déclare le grand théologien franciscain; au contraire, il opère une « ablatio », qui consiste è éliminer, à ôter ce qui n'est pas authentique. Ainsi, grâce à l'« ablatio » émerge la « nobilis forma », la forme précieuse. Pareillement, l'homme aussi, pour que resplendisse en lui l'image de Dieu, doit avant tout et par-dessus tout accueillir cette purification par laquelle le sculpteur, c'est-à-dire Dieu, le libère de toutes les scories qui obscurcissent son véritable aspect et le font apparaitre simplement comme un grossier bloc de pierre, alors qu'il est habité par la forme divine.
Si nous avons bien compris cette image, nous pouvons aussi l'utiliser comme guide pour la réforme ecclésiale. Certes, l'Église aura toujours besoin de nouvelles structures humaines pour s'étayer, pour pouvoir parler et œuvrer à chaque époque de l'histoire. Ces institutions ecclésiastiques, - et les aspects juridiques qu'elles comportent, - loin de représenter quelque chose de mauvais, sont au contraire dans une certaine mesure simplement nécessaires et indispensables. Mais en vieillissant, elles risquent d'apparaitre primordiales et de détourner les regards de l'essentiel. C'est la raison pour laquelle elles doivent sans cesse être supprimées, tels des échafaudages devenus superflus. Une réforme, c'est toujours une nouvelle « ablatio »: supprimer, pour qu'apparaisse la « nobilis forma », le visage de l'Épouse, en même temps que celui de 1'Époux, le Seigneur vivant.
Cette « ablatio », cette « théologie négative », est un chemin qui mène au positif absolu. C'est de cette façon seulement que pénètre le Divin et que surgit une « congregatio » : une assemblée, un rassemblement, une purification, cette communauté à laquelle nous aspirons et dans laquelle un « je » ne s'oppose plus à un autre « je », un « soi » à un autre « soi » : communauté où le fait de se donner, de se livrer en toute confiance - ce qui appartient à l'amour - devient plutôt l'accueil réciproque de tout bien et de tout ce qui est pur. C'est alors que vaut pour chacun de nous cette parole du Père « prodigue » rappelant à son fils ainé jaloux le fond de toute liberté et de tout rêve devenu réalité : « Tout ce qui est à moi est à toi... » (Luc 15,31 cf. Jean 17,10).
Une réforme véritable est donc une ablatio qui devient comme telle congregatio.
Tâchons de saisir cette idée de base d'une manière un peu plus concrète. Dans une première approche, nous avions opposé 1'admirateur à l'activiste et nous nous étions exprimés en faveur du premier. Mais quel est le sens d'une telle opposition ? L'activiste, qui toujours veut agir, place sa propre activité au-dessus de tout. Il limite donc son horizon au domaine du faisable, de ce qui peut devenir objet de son action. A proprement parler, il ne voit que des objets. Il n'est nullement en mesure de percevoir ce qui est plus grand que lui, puisque cela mettrait une limite à son activité. Il restreint le monde à ce qui est empirique. L'homme est alors amputé. L'activiste se construit une prison contre laquelle lui-même ensuite proteste à haute voix.
Le véritable étonnement au contraire est un « non » opposé à la limitation au domaine empirique, à ce qui n'est qu'en deçà. Il dispose l'homme à l'acte de foi qui lui ouvre tout grand l'horizon sur 1'Éternel et sur l'Infini. Seul l'Illimité est suffisamment grand pour notre nature, lui seul convient à notre vocation propre. Lorsque disparait cet horizon, tout reliquat de liberté devient insuffisant, et toutes les libérations que l'on pourrait alors proposer, ne sont qu'un insipide succédané toujours insuffisant. L'« ablatio » première et fondamentale, nécessaire à l'Église, c'est l'acte de foi toujours neuf: il fait éclater les limites du fini et ouvre ainsi l'espace qui nous permettra d'atteindre jusqu'à l'Infini. La foi nous conduit « loin, dans des terres illimitées », comme disent les Psaumes. La pensée scientifique moderne n'a cessé de nous emprisonner toujours davantage dans le positivisme, nous condamnant ainsi au pragmatisme. Grâce à elle, on peut atteindre beaucoup de choses, voyager jusque sur la lune, et plus loin encore, dans l'infini du cosmos. Malgré cela, pourtant, on en reste toujours au même point parce que la vraie frontière au sens strict, celle du quantitatif et du faisable, n'est pas franchie. Albert Camus a décrit l'absurdité de cette forme de liberté dans son personnage de l'empereur Caligula : il a tout à sa disposition, mais rien ne lui suffit. Dans son désir fou de posséder toujours plus et plus grand, il s'écrie : je veux la lune, donnez-moi la lune ! Depuis, il nous est devenu pratiquement possible de l'atteindre. Mais tant que la véritable frontière, la frontière entre terre et ciel, entre Dieu et le monde, n'est pas ouverte, la lune elle-même n'est encore qu'un autre petit bout de terre de plus; le fait de l'atteindre ne nous rapproche pas d'un pouce de la liberté et de la plénitude que nous désirons.

La libération fondamentale que l'Église peut nous apporter, c'est de nous placer devant l'horizon de l'Éternel, et de nous faire sortir des limites de notre savoir et de notre pouvoir. La foi elle-même, dans toute sa grandeur et son amplitude, est donc la réforme essentielle sans cesse renouvelée dont nous avons besoin. C'est à partir d'elle que nous devons toujours remettre à l'épreuve les institutions que nous-mêmes avons érigées dans l'Église. Cela signifie que l'Église doit être le pont de la foi et qu'elle ne peut devenir sa propre fin - particulièrement dans sa vie associative d'ici-bas.
Aujourd'hui, çà et là, et même dans des milieux ecclésiastiques de haut niveau, est répandue l'idée que l'on est d'autant plus chrétien que l'on se trouve plus engagé dans des activités d'Eglise. L'on pousse à une sorte de thérapie ecclésiastique qui consiste à agir et à se donner du mal: à chacun on cherche à assigner un comité ou tout au moins un quelconque engagement au sein de l'Église. D'une façon ou de l'autre, pense-t-on, il faut toujours qu'il y ait une activité dans l'Église, il faut parler d'elle, faire quelque chose pour elle ou en elle. Mais un miroir qui ne reflète que lui-même n'est plus un miroir; une fenêtre n'a plus sa raison d'être si, au lieu de libérer le regard vers de lointains horizons, elle vient s'interposer comme un écran entre l'observateur et le monde.
Il se peut qu'une personne exerce à longueur de temps des activités dans des associations ecclésiales, sans être en fait chrétienne. A l'inverse, il peut se trouver qu'une autre personne vive simplement de la Parole et de l'Eucharistie, et pratique la charité qui nait de la foi, sans jamais avoir figuré dans un comité d'Église, sans s'être jamais préoccupée d'innovations en politique ecclésiale, sans avoir fait partie de synodes, ni y avoir voté, et que cette personne soit vraiment chrétienne. Ce n'est pas d'une Église plus humaine dont nous avons besoin, mais d'une Église plus divine au contraire; c'est alors seulement qu'elle sera aussi vraiment humaine. Et c'est pourquoi toutes les réalisations de l'homme au sein de l'Église doivent être considérées comme des services, et laisser passer au premier plan ce qui compte le plus et qui est l'essentiel. La liberté à laquelle nous nous attendons avec raison de la part de l'Église, et en elle, n'est pas réalisée par le fait que nous y introduisons le principe de la majorité. Elle ne dépend pas du fait que la plus grande majorité possible prévaut sur la plus petite minorité possible. Au contraire, elle dépend du fait que personne ne peut imposer sa propre volonté aux autres, mais que tous se reconnaissent liés à la parole et à la volonté de l'Unique, qui est notre Seigneur et notre liberté. Dans l'Église, l'atmosphère devient angoissante et étouffante si les ministres oublient que le sacrement n'est pas un partage de pouvoir, mais au contraire une désappropriation de moi-même en faveur de Celui en la personne de qui je dois parler et agir. Lorsqu'à une responsabilité toujours plus importante correspond une désappropriation personnelle toujours plus grande, alors personne n'est l'esclave de personne; alors c'est le Seigneur qui préside, alors est valable ce principe : « Le Seigneur est l'Esprit même. Et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Corinthiens 3,17).
Plus nous échafaudons de structures, aussi modernes soient elles, et moins il y a de place pour l'Esprit et pour le Seigneur, et donc moins il y a de liberté. A cet égard, je suis d'avis que nous devrions entamer, à tous les niveaux dans l'Église, un examen de conscience sans réserves. A tous les niveaux, cet examen devrait avoir des effets très concrets et entrainer une « ablatio » qui laisserait transparaitre à nouveau le visage authentique de l'Église. Il pourrait nous rendre à tous le sens de la liberté, nous faire sentir chez nous d'une façon totalement renouvelée.

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A suivre.