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Serviteur inutile

Dans un article de 1985, publié par Raffaella, Messori remonte aux origines de la hargne anti-Ratzinger - dont, presque trente ans après, nous pouvons dire qu'elle se poursuit au-delà de sa démission, de façon très insidieuse (25/6/2013)

     

Dans un autre article publié juste après l'élection, et que j'avais traduit (benoit-et-moi.fr/2008-II/), Vittorio Messori révélait qu'au moment de la parution de "Rapport sur la foi", il avait reçu des menaces de mort.

Ratzinger a été considéré comme un cardinal "restaurateur", et moi, le pauvre journaliste qui l'avait interviewé - non seulement sans le contredire, mais en étant en accord avec lui - j'ai été menacé de mort par des prêtres et des théologiens. C'est la fameuse "rage des clercs", qui, lorsqu'elle explose, est terrible. Je vivais à Milan, et pendant quelques mois j'ai eu d'aller me dissimuler, quand ces "théologiens" du dialogue m'ont agressé.*

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Dans cet autre article, écrit 20 ans plus tôt, au moment de la parution du livre, Messori rappelait l'épisode. Et remontait aux origines de la hargne contre Benoît XVI - qui perdure par-delà même sa démission.
On verra confirmé que l'attitude des prétendus "faiseurs d'opinion", journalistes, théologiens, intellectuels, qui en réalité ne représentent qu'eux-même mais s'auto-proclament porte-paroles des simples, n'a absolument pas changé. Les mêmes croient sans doute avoir avancé un pion décisif avec l'élection du Pape François, ce qui explique qu'ils sont (pour le moment) étrangement bienveillants. Nous verrons si l'avenir leur donne raison.

Texte sur le blog de Raffa.
Ma traduction.

     

«C'est une campagne contre Ratzinger, qui vise toutefois le Magistère lui-même»
Vittorio Messori
La Stampa, 07/10/1985
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Une intervention de Hans Kung, le prêtre suisse-allemand, depuis des années réduit de l'état d'enseignant catholique à celui de théologien «privé», vient d'être traduite en italien .
Objet de cette intervention "kilométrique", le Rapport Ratzinger ('Entretiens sur la foi'), le livre-interviewe du cardinal Ratzinger, publié ces dernières semaines également en allemand.
L'agression de Küng contre son ancien collègue de l'Université de Tübingen, avec le relief insolite que lui donne une chaîne internationale de quotidiens, n'est pas que l'un des nombreux épisodes de la campagne qui, au niveau mondial, est en cours contre le préfet de la Congrégation pour la Foi et contre le Pape lui-même qui s'est reconnu dans l'interview de son principal collaborateur.

Une véritable guerre, qui se dit menée contre le Vatican, mais qui en réalité vise au Magistère même de l'Église et qui est réalisée «en tenaille» sur deux fronts.
D'un côté , on voit marcher contre Rome la bruyante armée «de gauche» (pour autant que l'on puisse parler de gauche pour des hommes comme Küng, chouchou des médias de l'Occident opulent et prophète d'une certaine bourgeoisie allemande). Sur le front opposé, les commandos insidieux de l'intégrisme de droite multiplient leurs attaques .
Entre le fracas des couleuvrines (ndt: canon à main utilisé au moyen-âge) et les décharge des arquebuses, quelques balles perdues atteignent l'intervieweur lui-même, coupable d'avoir fait son travail de journaliste en allant écouter le préfet de l'ex-Saint-Office, et pour cela couvert d'injures à la fois par Kung et par Mgr Lefebvre et leurs acolytes.
Il est certain, cependant, que dans le monde entier (une bonne douzaine de traductions sont déjà sorties ou en préparation), le «Rapport sur la Foi» (titre en italien) s'est révélé un test exemplaire au sein de l'Eglise
En parcourant l'impressionnante revue de presse internationale, on est immédiatement frappé par un fait: les réactions les plus virulentes ne viennent pas de l'extérieur mais de l'intérieur du catholicisme.
Au point qu'un commentateur a noté avec une certaine amertume: «Le problème le plus grave dans l'Eglise d'aujourd'hui n'est pas celui des ex-catholiques qui s'en vont, mais celui des ex-catholiques qui restent, disant que ce sont eux les vrais croyants».

On pourrait craindre que ce qui se passe justifie le réalisme lucide du Cardinal Ratzinger selon lequel l'Église pourrait désormais s'avérer ingouvernable de Rome .
Comme il nous l'a dit, écartant les bras, après avoir pendant des jours énuméré les failles et les dangers:
«L'Eglise est au Christ, en fin de compte c'est à lui de la sauver dans cette tempête, nous sommes plus que jamais des serviteurs inutiles».

Et pourtant, il n'est pas dit du tout que ceux qui se sont auto-proclamés «porte-parole de la base ecclésiale», «paladins du peuple de Dieu», le soient pour de vrai.
Par exemple, dans une récente interview, le directeur de Fayard-Hachette, le plus grand groupe d'édition en France et éditeur de la traduction du «Rapport Ratzinger» confiait, déconcerté: «Pour aucun autre livre, nous n'avons dû enregistrer une campagne si habilement orchestrée de diffamation, de mensonge, de calomnie, de la part du lobby qui, avec une poigne de fer, contrôle chez nous l'information religieuse».
Mais, poursuivait l'éditeur, «ce tir de barrage contrastait avec la diffusion massive, avec les quarante mille premiers exemplaires vendus en Août, alors que beaucoup de librairies sont fermées. Nous sommes submergés de lettres et d'appels téléphoniques de lecteurs qui ne sont ni spécialistes, ni théologiens, ni journalistes, qui nous remercient: enfin des mots clairs et compréhensibles pour tous, enfin quelqu'un qui s'adresse, pour expliquer, aux majorités, méprisées par les scribes de tous temps».
Le même écart entre réception hostile de l'intelligentsia et faveur, sinon enthousiasme parmi les gens ordinaires, est rapporté par d'autres éditeurs à travers le monde, de l'Espagne aux États-Unis et à l'Allemagne
Là, le déballage de Kung n'est pas dû au hasard: on sait de source sûre que, dans le pays même de Ratzinger, le mot d'ordre était le silence. Mais, comme l'avoue le théologien lui-même, il n'était plus possible de garder le silence, étant donné la sympathie populaire qui, ici aussi, avait immédiatement entouré le livre.
Depuis longtemps, certains soupçonnent que la croyance que les journaux représentent l'opinion n'est pas un mythe.
C'est peut-être vrai en général, c'est certainement vrai dans l'Eglise, liée à un Evangile qui ici est plus explicite que jamais: «Ces choses seront dévoilés aux simples et cachées aux intellectuels».
Lesquels intellectuels, les seuls à avoir accès aux médias, jurent à chaque paragraphe qu'ils «représentent l'Église d'en bas», «exposent la raison des derniers».
Il fallait se méfier de ces autoinvestitures, ce qui se passe ces derniers mois confirme cette méfiance.

Et si celui qui parle le plus de «peuple de Dieu» était en réalité le moins autorisé à parler en son nom? Qui représente qui dans l'Eglise? C'est peut-être la question la plus pressante que les catholiques devraient se poser avec sincérité dans leurs très nombreuses conférences et congrès.