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Sur l'avion du Pape Benoît

Le récit d'Albert Link, correspondant à Rome du journal allemand "Bild" (19/8/2013)

Le 13 juin dernier avait lieu à Rome la présentation du livre d'Angela Ambrogetti "Sur l'avion du Pape Benoît".
Nous en avions parlé à plusieurs reprises:
¤ Magistère volant
¤ Dans l'avion de Benoît XVI
¤ A bord de l'avion papal

Parmi les invités, un compatriote bavarois de Benoît XVI, Albert Link, correspondant à Rome du journal allemand "Bild" - le même qui avait réalisé une interviewe de Manfred Lütz après qu'il ait rendu visite au Saint-Père émérite, au couvent Mater Ecclesiae (De bonnes nouvelles de Benoît XVI )

Angela Ambrogetti reproduit ici le beau discours du journaliste allemand.

     

Sur l'avion du pape Benoît: le récit d'Albert Link
http://www.korazym.org/8864/sullaereo-di-papa-benedetto-il-racconto-di-albert-link/
18 août 2013
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Le 18 Août 2005, le pape Benoît XVI partait pour son premier voyage à l'étranger. Le but, l'Allemagne, Cologne. L'occasion, les Journées Mondiales de la Jeunesse. Le pape allemand héritait de son prédécesseur non seulement le but du voyage, mais aussi le style et la forme. Y compris les conférences en avion avec les journalistes. Un genre qu'avait «inventé» Jean-Paul II et qui est devenu, aussi avec le Pape François, un incontournable.

Les textes intégraux, contenant également des parties inédites, des conférence des 23 voyages de Benoît XVI ont été rassemblés, de même que (l'avaient été) ceux de Jean-Paul II, dans le livre que j'ai publié «Sur l'avion du Pape Benoît», édité par la Libreria Editrice Vaticana. La préface est de Mgr Georg Gänswein et l'introduction du Père Federico Lombardi.

C'est un plaisir de vous proposer le texte du discours que l'ami et collègue Albert Link, correspondant à Rome de l'hebdomadaire Bild, qui faisait souvent partie de la suite du pape Benoît XVI, a prononcé le 13 Juin dernier à Rome à l'occasion de la présentation officielle du livre. Avec un merci tout spécial.

AA

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(Lien vers l'image ci-dessous: http://www.bild.de/ )

Benoît XVI n'a pratiquement jamais mis de côté un discours préparé, pour parler a braccio, comme le fait le pape François. Il y en a qui disent que c'est dommage, parce que ses discours a braccio étaient souvent particulièrement beaux et humains. Certains étaient même brillants et inoubliables.

Je pense que la plupart d'entre nous se souviennent du discours de Benoît XVI, deux jours avant sa démission. Il parlait a braccio devant 200 séminaristes du diocèse de Rome, les encourageant à ne jamais céder à un pessimisme facile: «... Il y a aussi des chutes graves, dangereuses, et nous devons reconnaître avec un sain réalisme qu’ainsi cela ne va pas, là où on fait des choses erronées, cela ne va pas. Mais aussi être sûrs, dans le même temps, que si, ici et là, l’Église meurt à cause des péchés des hommes, à cause de leur non croyance, dans le même temps elle naît à nouveau. L’avenir appartient réellement à Dieu : telle est la grande certitude de notre vie, le grand, véritable optimisme que nous possédons. L’Église est l’arbre de Dieu qui vit pour l’éternité et qui porte en lui l’éternité et le véritable héritage : la vie éternelle.» (cf. http://benoit-et-moi.fr/2013-I/la-voix-du-pape/lectio-au-seminaire-de-rome.php ).

La grande certitude
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Ce sont des mots prononcés avec la voix basse typique, parfois peut-être un peu sonore. Mais ce sont des mots qui, selon moi, ont aussi une grande valeur pour les générations futures.

L'amour de Benoît XVI pour les livres a toujours été clair pour tout le monde, si bien que quand il était séminariste, il avait été surnommé "Bücher-Ratz" (le Ratzinger des livres).
C'est son secrétaire personnel, Mgr Gänswein, qui a expliqué une chose importante: alors que Jean-Paul II est devenu le Pape des images et que le Pape François semble jusqu'ici être un Pape du geste, Benoît XVI a été, et restera, le pape de la parole. Ses paroles naissent de la pensée, que l'archevêque Gänswein décrit dans ce livre comme une «mer très profonde».
En Allemagne, on dit: "Wer schreibt der bleibt", «celui qui écrit reste». Et c'est ce que je veux dire à ceux qui voient le pontificat de Benoît XVI déjà un peu dans l'ombre du pontificat de François: Ces mots au style «calme et fort», comme les a décrits la chère collègue Angela ne sont pas, et ne seront pas oubliés. Ils ne seront pas oubliés aussi grâce à ton livre.

Pour vous donner un petit exemple: je veux vous lire une réponse du vol à destination de Madrid pour les Journées Mondiales de la Jeunesse. La question était de savoir comment recueillir des fruits de long terme après de brefs moments de grand enthousiasme?
«Je sais que les autres JMJ ont fait naître de grandes amitiés, des amitiés pour la vie; beaucoup de nouvelles expériences de la présence de Dieu. Nous avons confiance en cette croissance silencieuse. Nous croyons, même si les statistiques n'en parleront pas beaucoup, que la semence du Seigneur grandit vraiment et sera pour un très grand nombre de personnes le début d'une amitié avec Dieu et avec les autres, d'une universalité de la pensée, d'une responsabilité commune qui montre vraiment que ces journées portent du fruit». (voir ici: Les JMJ et la parabole du semeur)

L'amitié avec Dieu
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Un écrivain à succès, le théologien et médecin allemand Manfred Lutz est allé voir le pape émérite Benoît XVI avec le Cardinal Cordes. En interviewant le Dr Lutz, j'ai appris ce qui l'a le plus impressionné: «Il a gardé sa sérénité et sa joie chrétienne, fondée sur la confiance absolue dans la foi» (cf. De bonne nouvelles de Benoît XVI)

La confiance dans la foi
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C'est justement cela qui me semble être le fil conducteur de ses discours en avion, toujours a braccio. Une confiance jamais exprimée avec des mots compliqués ou évasifs. Des mots qui arrivent «à l'intelligence et au cœur», comme l'écrit Angela Ambrogetti. Pour vous donner un deuxième bel exemple, du vol vers l'Allemagne (en 2011), réfléchissant sur les personnes qui se détournent de l'Église après le scandale des abus:
« Il semble important de se demander dans ce contexte "pourquoi suis-je dans l'Eglise". Suis-je dans l'Eglise comme dans un club sportif, une association culturelle, où j'ai mes intérêts, et s'ils ne trouvent pas satisfaction, je sors, ou bien être dans l'Eglise est quelque chose de plus profond? Je dirais qu'il est plus important de savoir qu'être dans l'Eglise n'est pas être dans une quelconque association mais être dans les filets du Seigneur, qui rassemble les poissons bons et mauvais , des eaux de la mort, à la terre de la vie. Il peut arriver que dans ce filet, je me trouve juste à côté de poissons mauvais, et je le sens, mais il reste vrai que je ne reste pas là pour tel ou tel, mais je suis là parce que c'est le filet du Seigneur, et c'est une chose différente de toutes les autres associations humaines, une qui touche tout le fondement de mon être.». (http://benoit-et-moi.fr/ete2011)

Le filet du Seigneur
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Maintenant parlons un peu de l'atmosphère de ces entretiens à bord:
Comme son compatriote (ndt: le mot utilé est "corégional" ce qui implique que Link est bavarois), je peux confirmer que Benoît a un caractère profondément bavarois. Une caractéristique de son style est d'éviter toute attitude de maître, comme le font de temps en temps les Prussiens. Benoît a toujours créé une atmosphère sereine sur le vol Alitalia 4000. Il n'a jamais cherché l'effet, la sensation ou le triomphe. Il n'aurait jamais levé le pouce pour une photo dans l'avion, tout simplement parce que ce n'est pas son style. Pour tout cela, il y a un mot très sympathique en dialecte bavarois: il ne voulait jamais passer pour un «Gschaftlhuber» (frimeur).
A la fin, seule comptait la parole. On pourrait alors se demander pourquoi les premières rangées de l'avion étaient toujours réservées aux cameramen et photographes si, en réalité, les images étaient toujours les mêmes et peut-être un peu ennuyeuses, tandis que les paroles étaient la vraie sensation?
Honnêtement, je ne sais pas!

Rappelons-nous: Benoît XVI a conclu son dernier discours en avion avec son désormais classique «merci» - c'était sur le vol à destination de Beyrouth.

A ceux qui demandent si ses discours extrêmement profonds manquent à certains de mes collègues et à moi personnellement, je réponds sincèrement: Oui
Même si la lecture de ce livre d' Angela Ambrogetti est le médicament parfait contre cette nostalgie.
Le Dr. Lutz a également parlé de l'humour, que Benoît a maintenu grâce à sa certitude de la présence de Dieu. Une fois, le Saint-Père a souligné l'importance de l'humour: avant de rentrer chez lui en 2006, dans sa - et ma - bien-aimée Bavière, qui l'a entre autre honoré de la médaille de Karl Valentin (1), le plus célèbre humoriste de Munich.
«Je ne suis pas le genre d’homme qui a toujours une blague à raconter. Mais je trouve qu’il est très important de savoir cueillir les côtés amusants de la vie et sa dimension joyeuse et de ne pas tout prendre de façon tragique, et je dirais que cela est même nécessaire pour mon ministère. Un écrivain a dit que les anges pouvaient voler parce qu’ils ne se prennent pas trop au sérieux. Et nous, nous pourrions peut-être voler un peu plus, si nous ne nous donnions pas toujours de grands airs.»
(cf. http://beatriceweb.eu/Blog06/documents/interview15.html )

Voler un peu plus.
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Quelle belle idée. Les Bavarois ont dit adieu à Karl Valentin, le 11 Février 1948, exactement 65 ans avant la démission du Saint-Père. A ses funérailles, un lundi de carnaval, il y avait le jeune théologien Joseph Ratzinger. Pour ne pas trop s'attarder, le comique Karl Valentin aurait conclu un discours de ce genre ainsi: «Mesdames et messieurs, TOUT a été dit. Mais peut-être pas encore par... TOUS!»

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(1) Karl Valentin (1882-1948) est un célèbre cabaretiste, comédien, réalisateur et producteur de cinéma allemand. Surnommé le Charlie Chaplin allemand, il est surtout connu pour ses pièces de théâtre et publications en dialecte bavarois Il a eu une grande influence en Bavière et en Allemagne sous la république de Weimar. Il fut marginalisé sous le Troisième Reich.
Il en est question dans cette interviewe de Mgr Georg Ratzinger par Paul Badde: http://benoit-et-moi.fr/ete2011