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Voyage dans le pontificat de Joseph Ratzinger

D'un blog italien, sans complaisance particulière, mais avec lucidité, l'une des meilleures synthèses du Pontificat de Benoît XVI que j'ai lues à ce jour (9/6/2013)

     

Voyage dans le pontificat de Joseph Ratzinger
2 mars 2013
Iacopo Scaramuzzi
www.formiche.net/
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Jusqu'au 11 Février 2013, c'était Jean-Paul II, le pape des grands gestes qui changent l'histoire. C'était le premier «étranger» à monter sur le trône papal après 455 années de papes italiens. Il avait voyagé en long et en large comme un leader politique. Il avait apporté une contribution importante à la chute du mur de Berlin. Il s'était battu contre le capitalisme et la guerre en Irak. Il était entré dans une synagogue et avait embrassé le Coran. Il était tombé sous les coups du terroriste turc Ali Agca, mais il s'était relevé. Charismatique, sportif, mystique, il avait conquis les foules et les médias, non sans rencontrer objections et critiques pour une ligne ecclésiologique inflexible. A gauche, il avait sanctionné la théologie sud-américaine de la libération et à droite les lefebvristes. Il avait gouverné 28 ans, jusqu'à son dernier souffle.

A sa mort, le 2 Avril 2005, les cardinaux ont élu rapidement, presque naturellement, son héritier naturel. Joseph Ratzinger, allemand de Bavière, théologien aimable et rigoureux, né dans une famille modeste à Marktl am Inn, le 16 Avril 1927. Il devait assurer, dans les intentions des électeurs au conclave, la certitude doctrinale et la purification de l'institution. Intellectuellement brillant, il avait participé au Concile Vatican II comme expert théologique du cardinal Joseph Frings, dans les rangs de l'alliance "progressiste" Rhénane. Puis - il l'a raconté lui-même - quelque chose a changé. Soixante-huit est venu, les manifestations étudiantes dans les universités où il enseignait la théologie l'ont troublé, il s'est convaincu qu'une partie de l'Eglise était en train de dénaturer l'héritage du Concile, selon une clé libérale et anti-chrétienne. Il est devenu prudent, conservateur.

Paul VI le voulut archevêque de Munich, et le fit cardinal en 1977, Jean-Paul II le voulut à ses côtés à Rome en 1981, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le gardien de l'orthodoxie catholique.
De façon injuste, il est passé pour un inquisiteur. Il a été raillé comme le "Panzerkardinal". En réalité, déjà alors, Ratzinger tentait d'être un médiateur. Il essaya à plusieurs reprises, dans les dernières années, de démissionner, de retourner à ses livres, mais Wojtyla refusa. Au cœur de l'establishment du Vatican, il est resté - par son style de vie et ses fréquentations - aux marges de la Cour Wojtylienne. Et, après la mort du pape polonais, Joseph Ratzinger a été élu au deuxième jour du conclave, le 16 Avril 2005, comme 264e successeur de Pierre.

«Il pastore tedesco» (Le berger allemand) titrait Il Manifesto (ndt: quotidien communiste) le jour de l'élection du Pape.
«Le fait de me trouver tout à coup en face de cette énorme tâche a été pour moi un véritable choc», a-t-il confié au journaliste allemand Peter Seewald, son intervieweur et biographe. «La responsabilité, en effet, est énorme. J'avais vraiment espéré trouver la paix et la tranquillité. La pensée de la guillotine m'est venue: à présent, elle tombe, et te frappe».

Après le «Habemus Papam», il est apparu à la loggia centrale de Saint-Pierre avec un chandail noir qui dépassait sous les parements pontificaux, comme s'il avait été pris au dépourvu. «Je serai un humble serviteur dans la vigne du Seigneur», a déclaré le pape nouvellement élu Benoît XVI.
Huit ans plus tard, le pontificat se dirige lentement vers sa conclusion entre ombre et lumière. Et puis, la décision historique, en latin, le 11 Février, communiquée aux cardinaux réunis en consistoire ordinaire public pour une canonisation. «Après avoir examiné à plusieurs reprises ma conscience devant Dieu, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de mon âge avancé, ne sont plus aptes à exercer convenablement le ministère pétrinien». Il l'avait prévu il y a quelques années, dans Lumière du monde, son livre-entretien avec Seewald, mais presque personne ne l'avait cru. Un choc.

En huit ans, Benoît XVI a beaucoup fait, beaucoup voyagé, et, surtout, beaucoup écrit. Trente voyages en Italie, vingt-quatre à l'étranger, un dernier voyage déjà en chantier - cet été pour les Journées Mondiales de la Jeunesse au Brésil, auxquelles il n'aurait peut-être pas été en mesure de participer, afin d'éviter les voyages trans-océaniques trop exigeants physiquement - qu'il laisse à son successeur. La revitalisation des relations avec la Chine. Les relations difficiles avec l'Italie de Berlusconi, Prodi, Monti. Beaucoup de rencontres, discours, audiences, qui ont mis à rude épreuve un tempérament timide, intellectuel, réfractaire aux bains de foule de mémoire wojtylienne, au point de transformer les JMJ voulues par Jean-Paul II de kermesse trépidante en moment de prière silencieuse.

Sa santé n'a jamais été robuste. Quelques problèmes de tension qui, déjà comme cardinal, lui ont valu, une attaque et l'ont amené, avec l'avancement de l'âge, à éviter les vacances dans les Alpes, un pacemaker, un œil gauche de plus en plus déficient, une arthrite de plus en plus accentuée. Aux promenades en montagne de Wojtyla, Ratzinger préférait rester à la maison et jouer au piano son bien-aimé Mozart. Et puis écrire. Trois encycliques: En plus de la lettre «sociale» "Caritas in Veritate", "Deus Caritas Est" sur la charité, et "Spe Salvi" sur l'espérance, auxquelles, concluant une trilogie sur les trois vertus théologales, aurait pu succéder une encyclique sur la foi, la plus significative, car elle serait sortie dans l'année de la foi en cours. Un grand nombre de messages, différentes exhortations apostoliques, une correspondance jamais interrompue avec des philosophes et des théologiens. Le rapport toujours vivant avec ses anciens étudiants en théologie, le Ratzinger Schuelerkreis. Et, même en tant que Pape, trois livres sur Jésus de Nazareth, oeuvre à mi-chemin entre l'exégèse et la théologie, mais tout autre qu'un 'divertissement' (en français dans le texte) intellectuel, presque un acte de gouvernement d'un Pontife qui voulait avant tout ramener le Christ au centre de l'attention des fidèles.

Quant aux grands nombres qui passionnent les ardents défenseurs d'un pontificat triomphant, il ne s'en est jamais soucié. «Parmi ce milliard deux cents millions de personnes - expliquait-il à Peter Seewald - nombreux sont ceux qui au fond d'eux-mêmes n'ent font pas vraiment partie. Déjà en son temps Saint Augustin disait "beaucoup de ceux qui semblent être à l'intérieur sont dehors, et beaucoup de ceux qui semblent être à l'extérieur, sont dedans. Dans une question comme la foi et l'appartenance à l'Église catholique, l'intérieur et l'extérieur sont mystérieusement entrelacés. Staline avait raison quand il a dit que le Pape n'a pas de divisions et ne peut intimer ni imposer quoi que ce soit».

L'agenda du pontificat n'a été que partiellement celui prévu. Dès les premiers discours, Benoît XVI a insisté sur l'importance de ramener la foi au centre de la société, défendant les «valeurs non négociables» dans un monde où les chrétiens sont persécutés ou ignorés (même dans l'Europe aux racines chrétiennes, même au Moyen-Orient où Jésus est né), expliquant la rationalité de la foi, promouvant l'unité des différentes confessions chrétiennes. Il n'a pas réussi à couronner la visite de Jean-Paul II (?) par un voyage en Russie, avec les protestants, une certaine méfiance a subsisté, les relations avec les anglicans ont été bonnes en dépit de la constitution apostolique par laquelle Benoît XVI a ouvert les portes de l'Eglise catholique aux groupes de fidèles sur une trajectoire de collision avec la tendance libérale de la Communion anglicane. Mais l'œcuménisme a été la 'rage' de son gouvernement. Tout comme le fut l'héritage du Concile.

Cela a été illustré dans un célèbre discours à la Curie le 22 Décembre 2005, soulignant que la grande assemblée qui a actualisé l'Eglise de 1962 à 1965 ne devrait pas être considérée comme une «rupture» dans l'histoire de l'Église, mais une réforme dans la «continuité» de la tradition . C'est probablement pour cette raison que le pape Ratzinger a consacré tellement d'énergie aux lefebvristes, le groupe ultra-traditionaliste, divisé depuis l'époque du Concile, qu'il a essayé de ramener dans l'Eglise, d'abord en recevant le Supérieur Bernard Fellay quelques mois après l'élection à la papauté, ensuite en libéralisant la «messe en latin», puis en levant l'excommunication des évêques ultra-traditionalistes, et enfin en engageant des discussions doctrinales qui, toutefois, n'ont pas abouti.

Au fil des ans, toutefois, d'autres questions se sont imposées sur le bureau de Benoît XVI. Ce furent huit années complexes, difficiles, pleines de critiques, de problèmes, d'accidents. Benoît XVI, le pape impolitique, n'a pas toujours été aidé par ses collaborateurs les plus proches, à commencer par le cardinal Tarcisio Bertone. La confiance dans l'exubérant salésien, née quand il l'eut comme bras droit à la Doctrine de la Foi, cimentée par l'amitié grandie à la mort de sa soeur, n'a jamais fait défaut. Bien que Bertone ait été considéré par beaucoup comme un obstacle plutôt qu'une aide (ndt: et maintenant? comme par magie, toutes les critiques se sont évanouies), pour le pape. Plusieurs cardinaux - entre autres, Scola, le cardinal Ruini, Bagnasco, Schönborn, Meisner - ont demandé au pape de se débarrasser de Bertone, mais Ratzinger a toujours catégoriquement refusé. Même face à des attaques à travers la presse - le cas Boffo, Vatileaks - Benoît XVI a toujours défendu, publiquement et en privé, son collaborateur.
Le pape Ratzinger a suscité la colère du monde musulman après le fameux discours de Ratisbonne, il a créé de l'inquiétude dans le monde juif pour la prière du vendredi et pour la béatification de Pie XII, il a déclenché les protestations de nombreux évêchés quand il a levé l'excommunication de Lefebvre , dont le négationniste britannique Richard Williamson. Il y a eu du désordre après des nominations épiscopales annulés par la suite, comme pour le polonais Wielgus et l'autrichien Wagner.

Et puis, plus d'une fois, il a été frappé par des problèmes qui avaient leurs racines dans les décennies précédentes, dans le pontificat de Jean-Paul II, sans jouir, cependant, de la sympathie médiatique de son prédécesseur, une sorte d '«immunité» de l'opinion publique garantie au pape polonais qui avait labouré l'histoire à pas vigoureux.

Les enquêtes sur l'IOR, celles sur les immeubles de Propaganda Fide, les "cordées" (ndt: le mot italien est "cordata", intraduisible, qui désigne des groupes de personnes qui luttent pour s'emparer du pouvoir dans une entreprise) à la Curie, la pédophilie. Sur les abus sexuels de mineurs Benoît XVI, au courant du problème depuis la Doctrine de la Foi, a développé une ligne de transparence qui n'a pas été soutenue par tous. Il a rencontré des victimes, il a écrit aux fidèles irlandais, il a démis des évêques, il a donné un tour de vis aux normes canoniques. Au début de son pontificat, il a finalement pu enquêter sur le fondateur des Légionnaires du Christ, le prêtre mexicain Marcial Maciel, jouissant de nombreux appuis au sein de la Curie qui avaient fait obstruction au cardinal Ratzinger.

Le journaliste américain Jason Berry a déclaré dans une enquête jamais démentie que Maciel, au Vatican, distribuait des «pots de vin» sous la forme d'offrandes, afin d'acheter le silence. Seul un cardinal refusa, son nom était Joseph Ratzinger. L'homme qui, lors de la Via Crucis avant d'être élu, avait dénoncé la «saleté» dans l'Eglise et à l'occasion du 50e anniversaire du Concile, regardant la lune comme Jean XXIII, a admis que dans le filet du pêcheur il y a aussi de «mauvais poissons».

Le Pontificat, en somme, a été dense en problèmes. En dernier, la fuite de documents confidentiels qui ont fini dans les journaux, et conflué dans le best-seller de Gianluigi Nuzzi «Sua Santità». Le majordome de Benoît XVI, Paolo Gabriele, auteur matériel des vols, arrêté, jugé, puis finalement gracié par le pape lui-même, a affirmé devant le tribunal, que Benoît XVI lui semblait «manipulable», mal informé par ses collaborateurs sur les problèmes du Vatican.

Le Pape - peut-être chaque Pape - a été souvent seul. Dans les kiosques autour de la place Saint-Pierre, il est plus facile, aujourd'hui encore, de trouver des cartes de Wojtyla que de Ratzinger. Mais Benoît XVI, qui, envers son prédécesseur, a toujours nourri affection et respect, qui du pape polonais a recueilli l'héritage, héritant aussi de nombreuses difficultés qui ont fini par émerger, a béatifié son prédécesseur, mais il ne l'a pas imité. En fin de compte, il a démissionné.
Cela ne s'était pas produit depuis des siècles qu'un Pontife Romain démissionne, et peut-être n'"y a-t-il pas de réelles comparaisons, même le souvent cité Celestin V.

Benoît XVI, à partir d'aujourd'hui pape émérite, a clos son pontificat, celui de Jean-Paul II, et l'ère où un Pape restait sur la Chaire de Pierre jusqu'à son dernier souffle. Le pape conservateur a révolutionné à jamais, d'un seul geste, la figure de la papauté, le rôle du Saint-Siège, le visage de l'Eglise.