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Don Camillo (II): le pape s'appelle Joseph

Une lettre écrite par Giovannino Guareschi à son don Camillo, tout de suite après le Concile Vatican II (14/7/2013)

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Don Camillo, outil d'évangélisation

     

Avant de lire la lettre, il faut éventuellement situer le cadre:
La lettre fait référence à une époque et à un contexte bien précis: au niveau mondial, la guerre froide, la révolution technologique, l'explosion libertaire toute proche de 68 (peace and love), le communisme qui paraît installé pour mille ans; dans l'Eglise, l’après-Concile, l'infiltration marxiste, les « nouveautés » liturgiques; et bien sûr, en Italie, un parti communiste (PCI) encore très puissant et bien implanté, préparant le terreau des violences des « années de plomb ».
A peine un mois plus tôt, le Pape (qui était alors Paul VI) recevait au Vatican le ministre soviétique des affaires étrangères, Andreï Gromyko (*). Un acte éminemment politique, qui, même s'il était motivé par la recherche de la paix, pouvait surprendre au moins autant que la récente visite de François à Lampedusa.
Ce fait est sans doute la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de l'exaspération de Guareschi.

Les prédictions assez délirantes du "père" de don Camillo, notamment dans le domaine de la liturgie, ne se sont pas réalisées au sens strict - tout au moins en Europe - mais on peut y voir une icône des excès de la période post-conciliaire.

Le Pape "Joseph" auquel la lettre donne son titre, et dont Guareschi rêve ici qu'il aurait dû être élu à la place de Paul VI - qui était alors aux débuts de son Pontificat - est le cardinal hongrois József Mindszenty, héro de la lutte contre le communisme (*). Peut-on dire que le rêve s'est réalisé avec l'avènement, 12 ans plus tard, d'un autre Pape venu de l'Est, Jean-Paul II (qui lui aussi reçut Gromyko) puis, encore 27 après, d'un Pape du nom de Joseph...?

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La lettre a été publiée sur la revue "Il Borghese" (Le Bourgeois) du 19 mai 1966.
Il s'agit d'un périodique politique et culturel ancré à droite, fondé à Milan en 1950, s'inspirant des idéaux de la bourgeoisie de l'époque, au nombre desquels la triade "Dieu, patrie et famille"

Texte en italien: www.unavox.it
Ma traduction.

Le Pape s'appelle Joseph
Lettre de Giovannini Guareschi à son Don Camillo

Cher don Camillo,

Je sais que vous avez des ennuis avec votre nouvel Evêque. J'ai eu connaissance que vous aviez dû détruire l'autel de l'Eglise paroissiale, et le remplacer par la « Tavola calda » (ndt : sorte de comptoir de restauration rapide) modèle Lercaro (*), reléguant votre bien-aimé crucifix dans un coin, près de la porte, de manière que l'assemblée lui tourne le dos.
Et j'ai su aussi que dimanche dernier, après avoir célébré la « Messe du peuple», vous êtes allé en célébrer une clandestine, en latin, pour les catholiques, dans la vieille chapelle privée intacte de votre ami Perletti.

Aujourd'hui, les gros bonnets de la DC (démocratie Chrétienne) vous ont dénoncé, et vous êtes fiché dans la Curie parmi les prêtres « subversifs », après avoir reçu de l'évêque un sévère avertissement.
Mon Révérend, cela veut dire n'avoir rien compris. Il est juste, en effet, que le Christ ne soit plus sur l'autel. Le Christ était un factieux, un fasciste, et son « avec Dieu, ou sans Dieu» n'est qu'une mauvaise copie du fameux « avec nous, ou sans nous » de mémoire mussolinienne.
Et ne se comportait-il pas en fasciste quand il chassait à coups de matraques les marchands du Temple?
Factiosité, intransigeance, extrémisme qui l'on conduit sur la Croix, alors que le Christ, s'il avait choisi la démocratique voie du compromis, aurait très bien pu se mettre d'accord avec ses adversaires.

Don Camillo: vous ne vous rendez pas compte que nous sommes en 1966. Les vaisseaux spatiaux se baladent dans l'espace à la découverte de l'univers, et la religion chrétienne n'est plus adaptée à la situation. Le Christ a voulu naître sur la Terre et si, quand l'ignorance et la superstition faisaient de la terre le centre, voire l'essence de l'univers, la fonction traditionnelle du Christ pouvait convenir; aujourd'hui, avec les explorations spatiales et la découverte de nouveaux mondes, le Christ est devenu un phénomène provincial. Un phénomène qui, comme l'a établi solennellement le Concile, doit être redimensionné.

Pour vous, les beatnik, les « cheveux longs », sont des pouilleux à expédier d'urgence chez le tondeur de chiens, et leurs « partners » avec leurs minijupes qui leur couvrent à peine l'aine, des garces à soumettre d'urgence au Wasserman (ndt: test de la syphillis). Au contraire, à Rome, pour ces pouilleux et ces garces, l'Autorité Supérieure Ecclésiastique a organisé une messe spéciale, une messa beat jouée et hurlée par trois ensembles de pouilleux.

Vous en êtes resté à l'autre siècle, mon révérend. Aujourd'hui, l'Eglise s'adapte aux temps, elle se mécanise. Et à Ferrare, dans l'Eglise de San Carlo, sur la « tavola calda », la machine à distribuer les hosties fonctionne. A l'offertoire, le fidèle qui a l'intention de communier dépose son offrande sur un plat à côté de la machine, appuie sur un bouton, et, annoncée par un joyeux chant de cloches, une hostie tombe dans le calice.
Et, croyez-moi, il n'est pas impossible que, dans les Laboratoires expérimentaux du Vatican, on étudie des machines plus complexes, lesquelles, ayant introduit la monnaie idoine et pressé sur un bouton, font sortir une petite pince qui met automatiquement l'hostie consacrée sur les lèvres du fidèle.

Don Camillo: l'année dernière, vous m'avez fait des reproches, parce que dans l'une de saynètes, j'ai raconté que le jeune "prêtre de choc" don Giacomo, confessait les fidèles par téléphone, et au lieu d'aller bénir les maisons, envoyait aux familles de petits flacons de spray « Acqua Santa » (eau sainte). Vous m'avez dit que, sur ces choses-là, on ne plaisante pas!

Eh bien, nous y sommes, par l'initiative de l"Autorité Ecclésiastique Supérieure. Et le temps n'est pas loin où, après la confession par téléphone, le communiant recevra dans une enveloppe recommandée l'Hostie Consacrée, qu'il pourra consommer confortablement à la maison, en se servant, pour ne pas la toucher avec des doigts impurs, d'une pince adéquate consacrée, fournie par le « département mécanique » de la paroisse. Je n'exclus pas que, pour arrondir les maigres rentrées de la paroisse, le curé puisse faire imprimer sur la particule quelque vignette publicitaire.

Don Camillo, je sais bien à présent que Peppone vous a roulé. Il vous a terriblement roulé. Et pourtant, c'est lui qui a raison.
Oui, Peppone vous a eu!
Je sais qu'il vous a ordonné d'ôter du presbytère le portrait provocateur de Pie XII. « Pape fasciste et ennemi du Peuple », menaçant de vous dénoncer à l'Evêque. Peppone a raison: les positions se sont inversées, et le jour n'est pas loin où la Section Communiste vous ordonnera de déplacer les horaires des offices pour ne pas gêner la « Fête de l'Unité » (ndt: L’Unità, organe du parti communiste ; comme la fête de l'Huma chez nous) qui se déroule sur le parvis

Don Camillo: si vous ne vous mettez pas à jour (ndt: allusion au fameux aggiornamento du Concile) et ne cessez pas d'appeler les communistes « sans Dieu », et de les décrire comme des ennemis de la Religion et de la liberté, la Fédération communiste provinciale vous suspendra a divinis.
Moi qui vous suis avec attention depuis vingt ans, et qui vous ai en affection, je ne voudrais pas vous voir finir de façon aussi triste.
Je sais parfaitement que beaucoup de vos paroissiens, et pas seulement les vieux, sont avec vous, mais je sais aussi que vous partiriez en silence, caché, pour éviter tout incident, toute discussion, qui pourraient troubler votre troupeau.
En effet, vous avez une sainte terreur d'une division entre catholiques.
Mais malheureusement, cette division existe déjà.

Je sais que vous allez être horrifié, mais je le dis quand même.
Je pense, mon révérend, quelle chose merveilleuse cela aurait été, et quelle force nouvelle en aurait tiré l'Eglise si, à la mort du « Curé du Monde » (Jean XXIII, ndlr) - qui par sa bonté et son ingénuité a donné tant d'avantages aux sans Dieu - le Conclave avait eu le courage d'élire comme Pape le Cardinal Mindszenty! (*)
En plus du reste, ç'aurait été l'unique façon juste, courageuse et virile, de le libérer de sa prison: en effet, Mindszenty devenu Chef de l'Etat indépendant du Vatican, les communistes hongrois auraient dû lui laisser la possibilité de rejoindre son Siège.
Avec Mindszenty Pape, le Concile aurait fonctionné bien différemment, l'Eglise du silence aurait acquis une voix tonitruante. Et Gromyko n'aurait pas été reçu au Vatican, et il n'aurait pas pu alimenter et renforcer l'équivoque qui, créé ingénument, pour la confusion des esprits déjà confus des catholiques, par le Pape Jean (XXIII), a permis le gain d'un million deux cent mille voix aux communistes, et leur donnera peut-être la victoire aux prochaines élections.
Quand les curés pourront expliquer au femelles catholiques gâteuses que c'est un péché mortel de voter pour les libéraux (ndt: "libéraux" est ici opposés à "communistes") et les misistes (du MSI Movimento Sociale Italiano, parti politique de droite né en 1946), ce sera une fête pour les communistes!

Don Camillo, ça m'est égal que vous poussiez des cris d'horreur, mais je dois vous le dire, non seulement pour moi, mais pour beaucoup d'autres catholiques « subversifs », le Pape auquel nous regardions comme au phare lumineux de la chrétienté, ne s'appelle pas Paul, mais Joseph.

Josef Mindszenty, le Pape des catholiques qui éprouvent du dégoût devant les machines-à-distribuer-les-hosties, la « Tavola calda » qui a détruit les autels et chassé le Christ, les « Messes yé-yé » et les pactes avec les excommuniés sans Dieu.
Une autre des prophéties de Nostradamus s'est réalisée. Les chevaux cosaques se sont abreuvés aux fontaines de la Place Saint-Pierre. Même s'il s'agit des chevaux-vapeur de la limousine de Gromyko. Et sans exclure que Mgr Loris Capovilla (ndt: le secrétaire de Jean XXIII), pour rendre hommage à l'hôte appréciée, ait fait le plein du radiateur de la voiture de Gromyko avec de l'Acqua Santa.

Don Camillo, si j'ai blasphémé, je m'en repens. Pour pénitence, j'écouterais six fois le Pater Noster chanté par Claudio Villa.
Mais ne vous inquiétez pas: la diplomatie vaticane travaille et, menaçant de le suspendre a divinis elle réussira à éteindre l'ultime flamme de chrétienté contraignant Mindszenty à venir faire le bibliothécaire à Rome.
Ou peut-être pas. Si Dieu nous assiste.

Giovannino Guareschi

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A suivre...

Notes (*):


¤ Giacomo Lercaro (1891-1976) élevé au cardinalat par Pie XII en 1953, archevêque de Bologne de 1952 à 1968 (donc de la région de Guareschi). Il fut le premier à populariser la théorie de « l'Église des pauvres » qui devait se développer par la suite en Amérique. Durant le temps où il fut archevêque de Bologne, où le parti communiste italien était le plus populaire, il tenta d'établir un dialogue avec les membres de ce parti.

¤ József Mindszenty, (1892 -1975 à Vienne), était un évêque hongrois, cardinal, opposant farouche du communisme et du régime hongrois en particulier dont il connut les prisons avant d'être libéré lors de l'insurrection de Budapest en 1956.... (fr.wikipedia.org/wiki/József_Mindszenty )

¤ Andreï Andreïevitch Gromyko (1909 -1989), homme politique et diplomate soviétique. Il a été notamment ministre des Affaires étrangères de l'Union soviétique puis président du præsidium du Soviet suprême (fr.wikipedia.org/wiki/Andreï_Gromyko )

Le 25 avril 1966, PaulVI recevait au Vatican Andreï Gromyko, faisant suite à une précédente rencontre lors de la visite du Pape à l'ONU (détais ici: tinyurl.com/px2t8a6)

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