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Don Camillo, outil d'évangélisation

Pour donner envie de livre les romans de Guarescchi, dont ont été tirés les célèbres films avec Fernandel, appréciés par Benoît XVI. En cette période de vacances, une série (qui sera peut-être brève !) d’articles sur le sujet (13/7/2013)

     

Pour nous, français, « Don Camillo », c'est d'abord Fernandel. Accessoirement, le duo savoureux qu’il forme avec Gino Cervi/Peppone dans une série de films (inégaux) qui, au moment de leur sortie ne sont certes pas passés pour des sommets du septième art, et qui pourtant, la vidéo aidant, ont allègrement passé l'épreuve du temps (un peu comme les "Tontons flingueurs", boudés en leur temps par les élégances intellectuelles des Cahiers du Cinéma, qui leur préféraient Godard, et aujourd’hui, par la magie d’un snobisme inversé, ont été promus au rang de « film-culte »).

Mais pour les italiens, Don Camillo, c’est aussi un génial écrivain populaire, inclassable politiquement, un peu anar, en tout cas pas communiste, mais profondément catholique, Giovannino Guareschi (*) (1908-1968) qui, au fil de saynètes savoureuses prenant pour toile de fond un village de la plaine du Pô dans les années 50, raconte l’Italie post-fasciste en proie aux luttes intestines entre « réactionnaires » démocrates-chrétiens, et « progressistes » communistes ; vu ainsi, cela pourrait n’être qu’une pochade à la Clochemerle ; ou, au mieux, un simple roman « régional », et un témoignage historique limité ; mais , - et c’est surtout des années après qu’on le perçoit ainsi – c’est aussi une parabole du monde de l’après-guerre déchiré par la guerre froide, ce qui lui confère une dimension plus universelle.

Toutefois, au moment où les livres ont été publiés, il est peu probable que les lecteurs aient tous perçu cette dimension, car la lutte entre les rouges et les libéraux étaient pour les italiens une réalité bien présente, qu’ils vivaient au jour le jour dans leur chair, et en plus, personne ne pouvait imaginer que moins d’un demi-siècle plus tard, le communisme sous sa forme voyante et caricaturale, et surtout économique, d’alors, aurait implosé, remplacé par une autre, plus subtile et insidieuse, poursuivant son travail de sape désormais moral à travers les medias.

Certaines analyses contemporaines évoquent, à propos du roman, une « guerre culturelle », ou une « gentille guerre ». C’est réducteur, et surtout anachronique. A l’époque, la haine entre les clans était bien réelle, et cela pouvait aller très loin, jusqu’au meurtre (cela arrive dans le livre). Mais malgré tout, et surtout, les protagonistes sont tous unis par leur commune éducation catholique. Leurs racines sont chrétiennes, et c’est ce qui rend le dialogue possible entre eux. Peppone, le communiste pur et dur, se confesse, assiste à la messe, et fait baptiser son enfant, il aide don Camillo à installer la crèche dans l’église, et il est tout ému de tenir l’enfant Jésus dans ses grosses pattes.
Cela rend donc totalement inadéquats les propos que je lis dans la préface de Nathalie Bauer (en 2003) dans l’édition que j’ai en mains :
« Pourquoi relire don Camillo – écrit-elle ? Parce que, dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui d’hier et de demain, de terribles oppositions pèsent sur notre vie de fourmis : mondialisation et anti-mondialisation, peuples riches et peuples pauvres, immigrés sans papier et résidents insouciants, civilisation musulmane et civilisation chrétienne, sans parler de l’environnement, de l’ozone, des glaciers qui fondent, des forêts qui disparaissent. … La gentille guerre de don Camillo et de Peppone revient alors nous offrir un peu de soulagement. Il nous faut lire leurs péripéties comme un conte, comme l’allégorie poignante et malicieuse de ce que pourraient être, de ce que devraient être, les rapports humains en ce monde féroce. ».

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Ceci posé, la lecture du « Petit monde de Don Camillo », même et surtout au premier degré, est un régal.
Littérairement, cela fait un peu penser au Roman de Renart : de courtes histoires, avec une morale. Le renard, ce serait Don Camillo, et le loup, Peppone. Le renard finit toujours par avoir raison sur le loup, car ce dernier n’est pas très malin. Sauf qu’ici, le renard est un vrai gentil, et le loup est au fond un brave homme. Et surtout, le renard a un atout imparable dans sa manche (qu'on me pardonne la familiarité de l'expression): Jésus!
Les histoires à pleurer (vraiment) de rire (comme celle du kolkhoze inauguré en grande pompe par le maire Peppone, sur des terres désespérément arides nommées à juste titre « Les Cailloux » avec le calamiteux tracteur-propagande offert à l'occasion par les camarades soviétiques, et qui finira "exorcisé" sous le goupillon de don Camillo - je ris rien qu’en écrivant ces lignes) alternent avec d’autres, émouvantes, tristes, ou même tragiques, et aussi de vraies réflexions à caractère religieux et philosophique (exemples à suivre).

Et au-dessus de tout cela, donc, la figure d’un Jésus très humain, qui converse familièrement avec le pauvre curé de campagne du haut de son crucifix dans la petite église. Ces moments sont les plus beaux du roman, et lui donnent une dimension profondément religieuse. Ce n’est pas par hasard que Benoît XVI confiait à Peter Seewald que « Don Camillo » figurait parmi ses films préférés (j’imagine qu’il a lu les livres) et qu’il se reconnaissait bien dans les dialogues entre le prêtre et son Christ. Beaucoup de prêtres d’aujourd’hui devraient s’inspirer du don Camillo sorti de l’imagination de Guarescchi. Un don Camillo avec un cœur gros comme ça, et prêt à tout pour défendre « son » Jésus, plus proche du Saint-Curé d’Ars (modèle d’hier) que de l’Abbé Pierre (modèle d’aujourd’hui).
Mais aussi très humain : c’est un colosse, don Camillo, il fume des cigares (le seul luxe qu’il se permet de temps en temps, car il est très pauvre) et ne rechigne pas devant une (ou plusieurs !) bouteille(s) de vin à partager avec son ami/ennemi Peppone, il n’hésite pas non plus à distribuer des claques (qui aime bien châtie bien) et à faire le coup de poing, et il lui arrive de le faire à tort, ou avec des arrière-pensées mauvaises (enfin … dans l’esprit de l’époque) : mais à chaque faux pas, Jésus le reprend avec douceur et bienveillance, et lui, dont la foi est un vrai diamant, se repent. Une seule fois, Jésus ne lui parle pas pendant trois semaines, et il en devient malade.
Bref, si vous ne connaissez pas « Don Camillo – le livre », courez vous le procurer. C’est une lecture de détente, mais aussi de réflexion. On plonge vraiment dans une autre époque, même si guère plus de 60 ans nous en séparent. Et même si les temps étaient durs, le bien-être, en tout cas, bien inférieur à ce que nous connaissons aujourd’hui dans nos pays, il nous en vient la nostalgie : les relations entre les gens étaient « vraies », pas encore polluées par le politiquement correct.
Et surtout – cela apparait un peu moins dans les films, naturellement - don Camillo qui converse avec Jésus, quel magnifique outil d’évangélisation !

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Notes (*):
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¤ Notice wikipedia en français de Giovannino Guareschi ici : fr.wikipedia.org/wiki/Giovannino_Guareschi
¤ Le livre: www.amazon.fr/Le-petit-monde-Don-Camillo .
Cette édition contient trois romans : Le petit monde de don Camillo (1951); Don Camillo et ses ouailles (1953); Don Camillo et Peppone (1964)
Il y a aussi une édition de poche, qui contient juste le premier roman.

A suivre...