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Communion pour les divorcés remariés?

"Il Vaticanista" énumère quelques arguments théologiques, qui permettent de saisir à quel point le problème est complexe. Et il revient sur le "document de Müller" paru le 23 octobre sur l'OR: une première contribution au débat, pas une fin (25/10/2013)

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Le document de Mg Müller.

Articles reliés sur ce site:
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Miséricorde (réponse de Benoît XVI à une question d'un prêtre du Val d'Aoste en juillet 2005)
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Divorcés remariés (Mgr Negri,... et Joseph Ratzinger, dans "Le sel de la terre")
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Gouverner sans la Curie, et sans Secrétaire d'Etat (Andrea Gagliarducci)
¤ Divorce et annulation du mariage (discours de Benoît XVI devant la Rote Romaine, 27 janvier 2013)

     
Il Vaticanista
Le pape, Muller, le Synode et la communion pour les divorcés

http://www.ilvaticanista.it/2013/10/24/il-papa-muller-il-sinodo-e-la-comunione-ai-divorziati/
Ma traduction
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Après plusieurs mois d'attentes surchauffées (dans une certaine presse, on a l'impression - pardonnez-moi l'hyperbole - que le Pape François peut annoncer à tout moment la canonisation de Luther et son inscription parmi les docteurs de l'Eglise) entre homélies, discours, interviews et conférences de presse en avion, essayons de faire le point sur l'état du débat autour de l'un des sujets les plus chauds: la possible modification des directives qui empêchent les personnes divorcées qui ont contracté un second mariage d'accèder à l'Eucharistie.
En substance, abstraction faite des approches sentimentalistes et pastoralistes (plutôt que de pastorales) que je n'approfondirai pas ici (un vrai débat ecclésial ne peut jamais ignorer la doctrine, le magistère et la tradition), nous pouvons identifier deux courants de pensée, qui seront probablement développées au cours du Synode extraordinaire des évêques convoqué à l'automne 2014 pour s'occuper (aussi) de l'épineuse question des divorcés (et remariés) qui souhaitent accéder à l'Eucharistie (1) .

La première approche s'inspire de la pratique en usage dans les Églises orientales (séparées de Rome), qui admettent (en fait assez généreusement) la possibilité de célébrer un deuxième et un troisième mariage (mais avec un caractère pénitentiel) dans le cas où le premier mariage échoue.

La seconde approche concerne en revanche l'approfondissement (et l'éventuelle modification) des règles concernant les déclarations de nullité matrimoniale.

Ce débat n'est pas nouveau: déjà pendant le pontificat de Benoît XVI (et même avant, en fait) des approfondissements théologiques ont été sollicitées du Siège romai,.

Les deux orientations sont d'une grande actualité, comme l'a dit le Pape François (pendant la voyage de retour des Journée smondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro ), qui les considère toutes deux dignes d'approfondissement.

Pour comprendre combien la question est complexe, il est opportun de rappeler que, durant le pontificat de Benoît XVI, le pape en avait parlé à plusieurs reprises: en particulier, Benoît XVI a explicitement déclaré (lors de sa rencontre avec le clergé du diocèse d'Aoste ): «lorsque j'étais Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, j'ai invité plusieurs Conférences épiscopales, et des experts, à étudier ce problème: un sacrement célébré sans foi. Que l'on puisse réellement ici un motif d'invalidité, parce qu'au sacrement, il manquait une dimension fondamentale , je n'ose pas le dire . Personnellement, je le pensais , mais à partir des discussions que nous avons eues, j'ai réalisé que le problème est très difficile et doit être ncore approfondie. Mais étant donné la situation de souffrance de ces personnes, elle doit être approfondie».

Examinons bien ce qu'a déclaré Benoît XVI: lui était personnellement convaincu que le mariage célébré sans foi était en lui-même invalide, mais après avoir demandé des approfondissements, il a dû changer d'avis.

Prenons juste un exemple des problèmatiques que détermine cette approche (il y en a probablement mille autres, au-delà de ma capacité de compréhension).

On ne peut pas affirmer d'un coeur léger que le manque de foi des époux détermine la nullité du sacrement parce que ce sont les époux (et non le prêtre - même si dans les Églises catholiques orientales la division n'est pas aussi nette) qui sont les ministres du sacrement. Pour pouvoir affirmer cette théorie, il faudrait un grand approfondissement sur la doctrine des sacrements, selon laquelle les sacrements opèrent ex opere operato et non pas ex opere operantis (ie, en vertu de ce qui est fait, et pas en vertu de qui le fait).

Maintenant, s'il est vrai qu'il n'y a aucun doute que le prêtre qui consacre le pain et le vin sans croire en la transsubstantiation (ou d'une façon générale sans la foi) célébre un sacrement valide (ie, il ne fait aucun doute que la transsubstantiation a lieu), ce n'est pas un passage logique aussi simple (et il nécessite beaucoup d'approfondissements) d'affirmer que si les ministres d'une autre sacrement (les époux, dans le cas du mariage) le célèbrent sans foi, ce sacrement n'est pas valide.

La matière, comme on le voit, est extrêmement complexe, et ce qui vient d'être indiqué (bien que superficiellement et de manière sans nul doute incomplète) est seulement une des raisons possibles qui ont conduit Benoît XVI à surseoir, et le pape François à décider d'investir du problème un Synode extraordinaire .

Quant à l'approche orthodoxe, en revanche, il faut signaler l'article du Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Mgr Gérard Muller , qui écrit «Aujourd'hui, dans les Églises orthodoxes il existe une variété de causes de divorce, qui sont habituellement justifiées par référence à l'oikonomia, la clémence pastorale pour les cas individuels difficiles, et ouvrent la voie à une deuxième ou troisième mariage avec un caractère pénitentiel . Cette pratique n'est pas cohérente avec la volonté de Dieu, clairement exprimée dans les paroles de Jésus sur l'indissolubilité du mariage, et ceci représente certainement une question œcuménique qui ne doit pas être sous-estimée», soulevant de sérieux doutes sur la possibilité de parcourir cette route.

Après la publication sur L'Osservatore Romano de l'article de Muller, certains commentateurs (notamment Sandro Magister, ici) ont lu l'intervention du préfet comme stimulée (et même dictée, écrit Magister) par le pape François en personne.

Cette lecture est (à mon avis) à rejeter: l'article de Muller est en effet bien antérieur à l'intervention du pape François dans l'avion, et même à la décision d'investir le Synode de l'argument (en particulier l'article a été publié sur Tagespost - en allemand - le 15 Juin), et c'est «seulement» ces derniers jours qu'il a été traduit en plusieurs langues et publié dans L'Osservatore. Cela n'aurait donc pas de sens que le Pape ait «dicté» au préfet en Juin dernier une intervention qui ferme plusieurs possibilités, pour ensuite répandre de très généreuses attentes en Juillet dans l'avion et enfin convoquer un Synode.

Bien sûr, il n'est pas pensable non plus que l'article et sa publication (avec un certain relief) il y a quelques jours ne signifie rien; selon toute vraisemblance, il n'est pas faux de présumer que le Pape considère l'article de Muller comme une contribution très autorisée (mais malgré tout, seulement une contribution) et que le Saint-Siège a voulu mettre l'accent sur la méthode (une approche à la fois doctrinale, théologique, historique et pastorale, et pas seulement pastorale) pour aborder le débat (qui commencera bien avant le Synode, et probablement finira bien après) et stimuler chacun à utiliser une méthode rigoureuse, indispensable lorsque la matière est si dense et complexe.

Personnellement, je n'ai aucun doute que si la méthode sera ce qu'il semble (objectifs pastoraux à poursuivre avec une méthode théologique rigoureuse), le prochain Synode sera extrêmement intéressant.

     

Note de traduction

(1) La question est-elle si cruciale que cela? Dispose-t-on de statistiques? Ou ne s'agit-il pas plutôt d'un problème relativement marginal, mis en avant pas les ennemis de l'Eglise (de l'intérieur et de l'extérieur) pour mettre la hiérarchie dans l'embarras?
Quand on voit à quel point la presse laïciste (qui se moque pas mal du mariage en tant que sacrement, et encore plus de l'Eucharistie) s'est emparée du problème pour le faire "mousser", le doute peut à tout le moins effleurer....