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Dialogue sur l'Eglise

A propos du fameux "questionnaire" sur "les" familles... Une fantaisie littéraire de Francesco Colaffemmina (8/11/2013)

Mise au point préalable

Tempora flammas laeta vomunt (1)
C'est le titre que Francesco Colaffemmina a choisi pour présenter à travers l'artifice littéraire du dialogue "à la manière de l'antiquité", les arguments pour et contre (contre, en fait) le questionnaire dans le document préparatoire au Synode des évêques.

D'abord une mise au point, parce que cela fait beaucoup parler: s'agit-il d'un questionnaire, d'un référendum, d'un sondage, d'une consultation, d'une enquête?
Je crois qu'il est vain de jouer sur les mots: il est indéniable que le «questionnaire» - appelons-le comme cela - sera AUSSI ce que la base en fera, donc le mot "sondage" n'est pas si inapproprié que certains le disent. Qu'on le veuille ou non, l'objectif est de savoir ce que pensent le fidèle lambda, la base est consultée, et comme l'a dit Tornielli, étant directement concernée, il est "normal" (ou du moins c'est ce que le Pape pense) qu'elle soit d'une certaine façon protagoniste actif du débat qui s'annonce.

De toutes façons, lorsque les media parlent de "sondage", ce n'est pas uniquement ignorance crasse de leur part: ILS VEULENT qu'il en soit ainsi.
On en revient à ce que disait Benoît XVI le 14 février dernier, dans la mémorable lectio prononcée devant les prêtres de Rome, à propos du Concile: «au-delà du vrai Concile, il y avait aussi le Concile des médias. C'était presque un Concile en soi, et le monde a vu le Concile à travers les médias. Alors le Concile qui est parvenu aux gens, a été celui des médias, et non celui des Pères. Et tandis que le Concile des Pères se réalisait dans la foi, le Concile des journalistes ne s'est pas réalisé, naturellement, dans la foi, mais dans les catégories médiatiques d'aujourd'hui, c'est à dire en dehors de la foi, avec une herméneutique différente».

Substituant au mot Concile le mot Synode, l'avertissement vaut pour aujourd'hui. Il devrait induire les évêques qui se rencontreront l'an prochain à Rome à une extrême prudence: qu'ils ne se fassent pas voler le vrai synode...

     
Tempora flammas laeta vomunt....

I. Rappel: le document officiel

www.vatican.va/
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Aujourd’hui se présentent des situations inédites jusqu’à ces dernières années, depuis la diffusion des couples en union libre, qui ne se marient pas et parfois en excluent même l’idée, jusqu’aux unions entre des personnes du même sexe, auxquelles il est souvent consenti d’adopter des enfants. Parmi les nombreuses situations nouvelles qui réclament l’attention et l’engagement pastoral de l’Église, il suffira de rappeler: les mariages mixtes ou interreligieux; familles monoparentales; la polygamie; les mariages arrangés avec le problème de la dot qui en découle, parfois assimilée à un montant d’acquisition de la femme; le système des castes; la culture du non-engagement et de la présupposée instabilité du lien; les formes de féminisme hostiles à l’Église; les phénomènes migratoires et la reformulation de l’idée même de famille; le pluralisme relativiste dans la conception du mariage; l’influence des media sur la culture populaire pour la conception des noces et de la vie familiale; les courants de pensée qui inspirent les propositions législatives qui dévaluent la permanence et la fidélité du pacte matrimonial; l’expansion du phénomène des mères porteuses (location d’utérus); les nouvelles interprétations des droits humains. Mais surtout dans le milieu plus strictement ecclésial, l’affaiblissement ou l’abandon de la foi en la sacramentalité du mariage et en la puissance thérapeutique de la pénitence sacramentelle.

De tout cela, on comprend combien est urgente l’attention de l’épiscopat mondial “cum et sub Petro” face à ces défis. Si, par exemple, on pense au seul fait que dans le contexte actuel tant d’enfants et de jeunes, nés de mariages irréguliers, ne pourront jamais voir leur parents recevoir les sacrements, on comprend combien sont urgents les défis posés à l’évangélisation de la situation actuelle, par ailleurs répandue partout dans le “village global”.
Cette réalité trouve un écho particulier dans l’accueil immense que reçoit de nos jours l’enseignement sur la miséricorde divine et sur la tendresse envers les personnes blessées, dans les périphéries géographiques et existentielles: les attentes qui s’en suivent sur les choix pastoraux à propos de la famille sont énormes.
Une réflexion du Synode des Évêques sur ces thèmes apparaît donc tant nécessaire et urgente que juste comme l’expression de la charité des pasteurs envers ceux qui leur sont confiés et de la famille humaine toute entière.

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II. Titre extrait de "La Repubblica" du 6 Novembre

"Que pensez-vous des couples homosexuels et des contraceptifs?"
le référendum mondial du Pape François
Le questionnaire pour les paroisses et les fidèles a été publié. «Nous parlons aussi de l'inceste».

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III.Dialogue d'Asclepio et Paolino

www.fidesetforma.com
Ma traduction.
(Je précise que c'est dur, et que les idées exprimées ne sont pas en totalité les miennes)
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- Asclépios: Tu as entendu la nouvelle, Paolino?
- Paolino : Oui ... Peut-être que ce n'est pas l'apostasie prévue par de nombreux voyants, et annoncée à Fatima, mais c'en est très proche ...

- Asclépios: Allons donc! Est-il possible que tu ne saches qu'être pessimiste? Possible que tu ne réalises pas la révolution copernicienne nécessaire introduite par ce pape? Il était temps!

- Paolino : Selon moi, cher Asclépios, tu devrais prendre un peu d'hellébore (une plante que, dans l'antiquité, on croyait propre à guérir la folie). Ici, il ne s'agit pas de juger le Pape. Certaines questions naissent au sein de l'Eglise et sont partagées par de nombreux cardinaux et évêques. D'autre part, il ne s'est pas élu tout seul. Il a été élu à la majorité absolue. Pourquoi? Parce qu'ils voulaient ce changement. Mais je crains que le changement ne soit comme d'habitude un mimétisme facile ...

- Asclépios: Va donc, espèce de traditionaliste gâteux!
- Paolino: Ça se peut. Mais je t'assure que le traditionalisme n'a rien à voir.

- Asclépios: Donc, selon toi, les couples homosexuels, les unions "de fait" entre hétérosexuels et les divorcés remariés ne devraient même pas être approchés par l'Eglise. Ce sont des parias?

- Paolino : Pas du tout. Mais il y a manière et manière. Si je développe des programmes pastoraux pour ces catégories sociales, implicitement je reconnais leur statut. Proclamer l'Évangile signifie aussi faire des choix. Etre le levain pour la société, ne pas subir les mutations de la société, mais la changer. Si je vais vers un couple non marié mon objectif devrait être de l'aider à comprendre le sacrement du mariage. Si en revanche je rends plus expéditives les pratiques d'annulation et admets à nouveau les divorcés remariés aux sacrements, je fais quoi?

- Asclépios : Tu uses de miséricorde?
- Paolino : Non. J'affaiblis le lien. J'en fais une sorte de salle dans laquelle on peut facilement entrer, mais aussi facilement sortir. C'est la flexibilité, c'est le caractère provisoire et consumériste qui alimente la société actuelle. Des rapports de consommation, et pas pour toujours. Et l'Église semble s'adapter à cette mentalité. Elle n'explique pas, au contraire, au monde, qu'il est dominé, esclave d'une mentalité économique perverse, qui asservit l'homme aux besoins des marchés, qui le transforme en consommateur d'émotions, de sentiments, de sacrements ...

- Asclépios: D'accord, mais pour les enfants innocents des couples homosexuels, alors?
- Paolino : Ecartons le fait qu'il me semble très peu probable que les couples homosexuels puissent vouloir baptiser leurs enfants. Aucun ne les porterait spontanément chez un prêtre, après des siècles d'hostilité explicite, après des décennies de proclamations magistrales contre le mariage gay. Et puis, j'ai du mal à imaginer ce qu'un prêtre pourrait enseigner à un enfant d'un couple homosexuel: que la mère ou le père biologique sont des «donneurs» d'ovule et de semence? Que ses «parents» vivent en fait constamment en état de péché? Que «homme et femme il les créa»? . C'est une affaire de fous plutôt que d'évangélisateurs

- Asclépios: Comment tu es défaitiste!
- Paolino: Non, c'est toi qui n'es pas réaliste. Tu es un idéologue. Parce que, vois-tu, l'idéologie alimente l'idée que la société est en perpétuelle mutation et donc que l'anthropologie elle-même et la pastorale qui en dérive, et aussi la théologie morale, devraient être mises à jour. C'est de l'idéologie. C'est penser à une utopie du changement de l'homme qui nous conduirait à annuler ce qui est contenu dans le Nouveau Testament. Prenons ce qui nous plaît et jetons aux orties ce qui nous semble «conditionné par le temps». Cette façon de faire est vraiment hypocrite, facile, idéologique. Regardons au contraire à la réalité. A la crise économique, à ceux qui ont le pouvoir. A ceux qui conditionnent les masses en les imprégnant de nouvelles exigences et d'idéologies de changement social. Qui sont ces messieurs? Est-ce un processus automatique et naturel ou un processus induit? Je pense que c'est un processus induit. Parce que le monde contemporain tout entier est régi par les exigences économiques. Il est dirigé par la finance qui fait et défait les nations, qui achète et vend leurs dettes, qui peut les mettre à genoux ou leur donner l'oxygène. Et ce système doit de plus en plus transformer les hommes en choses, en objets. Et leur faire perdre tout contact avec leur nature. Il doit aussi prendre le contrôle de la vie, de la conception et de la mort. Il doit les soustraire au contrôle de l'Église

- Asclépios: Mais Paolino, tout ça, c'est du complotisme.
- Paolino : Peut-être. Pour moi, c'est du pur réalisme.

- Asclépios : Alors, aide-moi à comprendre, l'Église, selon toi serait asservie à ces pouvoirs?
- Paolino : Oui et non. C'est une Eglise fragile, qui a peur d'être minoritaire. Elle tend à se préserver de l'effacement et cherche en elle-même quelque instrument pour autoriser le changement, pour le rendre naturel. Dans ce cas, nous avons découvert le mantra de la miséricorde, du pardon (surtout sans conversion et sans changement de vie), de l'inclusion, et chante la compagnie ... Un mantra qui fonctionne!

- Asclépios: Et comment! C'est écrit dans l'Evangile, c'est la vie du Christ. Tu te rappelles pas l'histoire de Marie-Madeleine?
- Paolino: Moi, je te dis plutôt: tu te rappelles l'histoire du fils prodigue? Il y a tout d'abord la conversion. La conversion. Mais ce n'est pas le point essentiel. Faisons tomber pour un instant le voile évangélique qui recouvre les questions de simple pouvoir géopolitique. Que voyons-nous? Nous voyons une société désintégrée par la culture du jetable, du provisoire, la technologie qui isole, les impulsions et les stimuli d'internet, tous plus seuls, plus désagrégés, plus égoïstes. Une société touchée par dessus le marché par une crise économique dramatique qui n'est pas naturelle, mais créée autour d'une table. Et dans tout cela, que fait l'Église? Elle combat les puissants en les nommant? Elle appelle les banques et les finances à rendre compte de leurs crimes? Elle appelle les lobbies à rendre compte de leur déformation inhumaine de notre nature de créatures? Elle appelle la politique à reprendre son rôle: préserver, garder les États, et non pas les donner en pâture aux spéculateurs? Oui ... de temps en temps, il y a une allusion vague, rhétorique, à ces questions. Mais rien de plus.

- Asclépios : D'accord. Je t'ai écouté pendant un moment. Maintenant, je n'en peux plus. Je veux une église qui réponde à mes problèmes et mes drames, qui m'écoute et m'accueille, me console et me donne le réconfort du Christ. Je veux une Église pauvre, une Église qui soit vrai témoignage du Christ, et non pas une Eglise retranchée dans ses liturgies et ses prédications moralisatrices. Je veux une Eglise compréhensible, moderne, qui ne s'arrête pas au XIXe siècle ...
- Paolino : Tu parles comme si c'était quelque chose loin de toi. Comme si tu n'y avais aucune place.

- Asclépios: Ça se comprend!
- Paolino : Comme si tu n'avais pas de responsabilités. Comme si ce n'était pas à toi à te conformer à l'enseignement moral de l'Eglise, mais elle à toi, et à ta vision de la morale. Ne trouves-tu pas cela trop commode?

- Asclépios: Bah ... Parce que, au cours des siècles, que de saletés ont fait les hommes d'Eglise! Et la doctrine prêchée par les prêtres pédophiles ou les papes mariés, selon toi, c'est la seule vraie doctrine?
- Paolino: Je vois l'effet qu'ont eu sur toi presque dix ans de scandales de pédophilie - commencés en 2000 pour attaquer un Jean-Paul II malade - et de destruction de l'autorité morale de l'Eglise. Penser qu'aujourd'hui, elle en est réduite à devoir parler d'inceste pour récupérer un peu d'autorité et d'«appeal» dans les médias ...

- Asclépios: Ecoute, maintenant, je dois te laisser. J'en ai assez de tes lamentations. Tu n'arrives pas comprendre le monde dans lequel nous vivons, tu aurais dû naître dans un autre siècle. Si cette Église ne te plaît pas, crée la tienne, ou bien va avec les lefebvristes! Ciao ...
- Paolino: Ecoute: Je veux à nouveau l'Eglise que je connais depuis que je suis né. Je veux à nouveau la fermeté inébranlable de l'Église de Jean-Paul II, je veux à nouveau l'engagement éthique pour changer cette société dépravée, pour ouvrir les consciences à la lumière du Christ. On parle de nouvelle évangélisation, mais ici les gens, les simples fidèles, ne savent même pas ce qu'est l'ABC de la foi. Et nous ne proclamons pas une philosophie, nous ne racontons pas de règles de vie, l'amour et la paix ... Nous proclamons que le Christ a vaincu la mort, la résurrection de nos âmes et de nos corps. Nous annonçons la bonne nouvelle de la vie éternelle, la rédemption de nos péchés par l'Agneau qui a été immolé pour nous. Nous devrions proclamer au monde la nécessité d'une conversion radicale. Et témoigner de la nôtre. Bien sûr, avec charité et de miséricorde, mais sans baisser notre pantalon! Sinon, nous finirons par ne même plus savoir en quoi nous croyons. Et pour le faire, nous devrions connaître la foi que nous proclamons, mais la plupart du temps nous ignorons les questions basiques de notre foi. Et les évêques qu'est-ce qu'ils font? Ils font des questionnaires afin de mieux comprendre ce qui est en train de couler dans l'abîme d'une société sans guides moraux, et même explicitement amorale... Mais, Asclépios, tu m'écoutes? Asclepios, Asclépios, attend, ne pars pas!

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Note à propos du titre

(1) Citation de Virgile, l'Enéide, ch VIII (ici)
Tempora flammas laeta vomunt:
"Auguste César paraissait debout sur la poupe de son vaisseau, ayant sous son drapeau le Sénat, le peuple romain, les dieux de la patrie et les grands dieux de l'Olympe: deux rayons sortaient de ses tempes..."