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François, mes doutes et mes certitudes

Ceux de Vittorio Messori, après linterviewe du Pape à la revue jésuite, dans un éditorial sur Il Corriere du 21 septembre (23/9/2013)

Pour ceux qui restent dubitatifs, l'article de Vittorio Messori, est une énième opération "il faut sauver le soldat François". Pour les autres, c'est une justification à travers l'histoire de la Compagnie de Jésus, dont j’avoue presque tout ignorer.

     

François, mes doutes et mes certitudes
Vittorio Messori
“Corriere della Sera”
21 septembre 2013
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Je crois ce qui se passe pour beaucoup: la lecture de la trentaine de pages de la Civiltà Cattolica, avec l'interviewe de François, semble éclairer pour eux qui est vraiment, et ce qu'a l'intention de faire celui qui aime se définir comme "évêque de Rome". Une Rome que pourtant il avoue ne pas connaître, au-delà de quelques basiliques célèbres.
Pourquoi le cacher?

Beaucoup, dans l'Eglise, étaient perplexes, à cause d'un style où l'on semblait percevoir quelque chose de populiste, du sud-américain, qui dans sa jeunesse ne fut pas insensible au charisme démagogique de Péron.

Les grosses chaussures orthopédiques (ndt: ce n'est pas ce que dit sa soeur qui, il est vrai, semble mal le connaître, cf. Michael Hesemann: François est un génie de la "communication"); la croix seulement en argent (ibid); l'habit papal et les parements liturgiques parfois négligés; le fait d'aller à pied, ou dans un véhicule utilitaire, et même sur le siège avant; le refus du logement pontifical, de la villa de Castelgandolfo, de l'escorte; les enfants qu'il embrasse sur la Place; les coups de téléphones qu'il donne lui-même, ici et là; le fait d'exiger immédiatement que l'interlocuteur le tutoie; certaines réactions émotives , pour des photos et des histoires trouvées sur les journaux.
En ce qui me concerne - et pour autant que cela ait de l'importance, naturellement - tout cela dérangeait un certain snobisme intellectuel dont je fut contaminé en quelques vingt années d'école turinoise (ndt: il a fait ses débuts de journaliste au grand journbal turinois "Il Corriere") pré-soixanthuitarde.
Avec ce style "à l'argentine", il s'oppose à une certaine pointilleuse "rhétorique de l'antirhétorique" apprise de mes maîtres d'austérité et d'"understatement" (de sous-entendu) subalpin.
Pendant des mois, je me suis réjoui d'un bon moment de sobriété, de rigueur, de profils volontairement bas: pour Pape, un professeur émérite bavarois, pour président du Conseil, un autre professeur émérite (ndt: Mario Monti... avec tout le respect dû à Messori, je ne suis pas sûre que la comparaison soit appropriée !!!) de Bocconi, notre équivalent des 'Grandes Ecoles' (en français dans le texte) parisiennes. Pour compléter la triade, au Quirinal (palais du président de la république) , j'aurais rêvé d'un Luigi Einaudi, mais à défaut, je me contentais du sérieux et de la discrétion de Giorgio Napolitano, peu suspect, lui non plus, de céder au sentimentalisme et à la rhétorique.
En somme, j'étais moi aussi perplexe.

Mais que ce soit clair: comme il m'est arrivé de le rappeler à d'autres occasions, dans une perspective catholique, ce qui compte, c'est la papauté, c'est le rôle - qui lui est attribué par le Christ lui-même - d'enseignement et de préservation de la foi; alors que le caractère du Pape du moment n'a pas d'importance, on lui demande seulement la sauvegarde de l'orthodoxie et de guider l'Eglise à travers les vicissitudes de l'histoire.
Il n'y a pas ici d'indice de popularité personnelle, le croyant suite et aime chaque pontife qu'il soit "sympathique" ou moins, en tant que successeur de ce Pierre à qui Jésus a confié le soin de Son peuple.

Mais voilà qu'arrive l'interviewe au plus ancien périodique non seulement catholique, mais italien, le bimestriel fondé il y a 163 ans.
Un jésuite, le Père Antonio Spadaro, dans un entretien - sur le journal des jésuites - avec le premier pontife jésuite de l'histoire.
Un "jeu" totalement à domicile, donc. Et pas par hasard. En effet, en lisant, on comprend combien la stratégie du Pape qui a voulu s'appeler François n'est pas du tout "caractérielle" (?) mais est en réalité dans la meilleure tradition des fils non pas du Poverello, mais d'Ignace. Le charisme des disciples du guerrier basque fut de comprendre que le monde doit être sauvé tel qu'il est, que cela plaise ou non; que l'utopie chrétienne doit toujours se confronter avec la réalité concrète; que l'on ne doit pas se scandaliser du pragmatisme amer de Machiavel, pour qui les hommes sont ce qu'ils sont, et non ce que nous voudrions qu'ils soient. C'est cet homme-là, et non à un homme idéal et inexistant, que doit être proposé le salut porté par le Christ.

La fortune des jésuites, leur succès dans les missions lointaines et en même temps à la cour des rois et des empereurs (un succès qui les amena à la suppression de leur ordre en 1773, de la main, comme par hasard, d'un Pape franciscain), cette fortune fut le fruit d'un charisme que Bergoglio lui-même indique comme "discernement".
Ce que les ennemis de la Compagnie appelèrent "hypocrisie", "opportunisme", "mimétisme", et les jansénistes "laxisme", et qui est au contraire, explique le Pape François lui-même " la conscience que les grands principes chrétiens doivent être incarnés selon les différentes circonstances de lieu, de temps, de personne".
Que l'évangélisation soit flexible et tienne compte de la faiblesse humaine "que le confessionnal ne soit pas une chambre de torture" (ndt: encore faudrait-il qu'il y en ait encore), pour utiliser les mots-mêmes de Bergoglio. C'est exactement ce qui inspira cette casuistique qui, pour les rigoureux, semble tout accepter et tout justifier, et contre laquelle ont été lancées les "Lettres provinciales" de Blaise Pascal. Lettres qui constituent un chef d'œuvre littéraire, mais un malheur théologique pour ce génie, pourtant extraordinaire, et, en admettant que cela compte, très aimé par l'auteur de ces lignes.
Malgré les exagérations (condamnées ensuite par la Compagnie elle-même, avant même de l'être par l'Eglise), les jésuites avaient raison: la miséricorde, la compréhension, les raffinements sinon les acrobaties pour n'exclure personne de la communion ecclésiale, furent et sont des moyens bien plus efficaces que la sévérité sombre, le légalisme scripturaire et canonique, le moralisme implacable, l'orthodoxie utilisée comme un bâton.
Les rigoristes sont obsédés (ndt: un des termes utilisés par le Pape qui ont choqué) par le aut-aut (i.e. le "ou exclusif"), tandis que les jésuites ont tenté, toujours et partout, de pratiquer le et-et (i.e. le "ou inclusif") qui permet au plus grand nombre possible de créatures de Dieu d'atteindre le salut éternel.
C'est seulement l'intransigeance des autres ordres qui porta à la ruine désastreuse de l'inculturation de l'Evangile tentée par la Compagnie en Asie, en Amérique, en Afrique, et que seul Vatican II devait redécouvrir et valoriser.
C'est de ce désir de convertir e monde entier, en utilisant le miel bien plus que le vinaigre, que dérive une des perspectives les plus convaincantes parmi celles confiées par le Pape à son confrère: c'est-à-dire retrouver la juste hiérarchie chrétienne. Les décennies postconciliaires ont vu, dans l'Eglise, l'affrontement sur les conséquences à tirer de la foi: politiques, sociales, et surtout morales. Mais de la foi elle-même, de sa crédibilité, de son annonce au monde, bien peu semblent s'être inquiétés. Bien venu, donc, le rappel de l'Evêque de Rome: que l'on ré-évangélise, en annonçant la miséricorde et l'espérance de l'Evangile. Le reste suivra.
Il n'y a, dans ces mots, aucune concession sur ce que l'on appelle les "principes non négociables" en matière éthique. Mais il y a, justement, l'insistance sur la succession naturelle: d'abord la foi, et ensuite la morale. D'abord, convoquons, accueillons et soignons les blessures de la vie, et ensuite, après qu'ils auront connu et expérimenté l'efficacité de la miséricorde du Christ, donnons-leur des leçons de théologie, d'exégèse, d'éthique.
Un défi, un risque peut-être? Le Pape François fait comprendre qu'il en est conscient, mais surtout qu'il est conscient de l'aide, qui ne pourra manquer, de Celui qui l'a choisi, même s'il était loin de l'attendre et de le désirer.

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Ndt:
Il faut sans doute reprendre le texte de l'interviewe!!