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La difficile réception de la lettre à Scalfari

Quand les vaticanopinionistes se tranforment en exégètes du Pape (13/9/2013)

Voir aussi:
¤ Scalfari, le Pape, et la conscience
¤ Scalfari, le Pape et la conscience (2)

Les propos du Pape sur la conscience ont été immédiatement instrumentalisés par les médias du monde entier. Ils ont probablement été mal compris. Mais il est regrettable que des théologiens et des intellectuels doivent "descendre sur le terrain", pour expliquer ce que le Souverain Pontife a dit... et n'a pas dit (13/9/2013)

Après Massimo Introvigne hier, c'est au tour de Father Z, sur son célèbre blog, de devoir se livrer à des explications, et de critiquer les titres de la presse anglophone, qui se fait évidemment avec délectation l'écho des interprétations scalfaresques. (voir ici: wdtprs.com)
Aujourd'hui, sur la Bussola, un autre article apporte des arguments pour expliquer de manière alambiquée ce dont tout catholique est convaincu, que le Pape enseigne la saine doctrine - encore heureux!
Mais je regrette que dans un article de la Bussola (un site par ailleurs magnifique, qui rapporte au jour le jour le magistère pontifical et qui défend fermement les valeurs non négociables) sur la conscience, il ne soit fait AUCUNE MENTION des réflexions de Joseph Ratzinger, pourtant nombreuses, et certaines récentes, sur le sujet. S'agirait-il d'un nouveau cas d'amnésie? (www.lanuovabq.it/it/articoli-scalfariun-problemadi-coscienza-7272.htm )

J'ai traduit, (en partie) l'article écrit hier par Massimo Introvigne. Mon admiration pour sa vaste culture, et la variété de ses centres d'intérêt reste intacte, je lui dois beaucoup, mais j'avoue être plus réservée (même si je comprends et salue sa loyauté envers LE Pape, quel qu'il soit) quand il prétend faire dire à François ce qu'il aurait dû dire, mais n'a pas dit, à travers des exégèses tirées par les cheveux, et souvent surfaites.

Ici, il s'en prend à Scalfari, mais Scalfari, tout le monde s'en fiche, et la plupart des gens, hors de la Botte, ignorent même qu'il existe!
Ce n'est donc pas lui, le problème, c'est la lettre du Pape, et l'écho qu'elle aura eu à travers un réseau médiatique infiltré par une multitude de clones de Scalfari. Sans compter la caution "morale" accordée à un journal qui, selon les mots de Massimo Introvigne "a fait de l'hostilité à l'Eglise sa raison sociale", qui est "la maison-mère des ennemis de l'Eglise", et qui ne peut donc prétendre représenter les non-croyants, mais seulement une catégorie bien particulière d'entre eux, ceux qui ne "cherchent" pas.

Encore une remarque: que les médias déforment les propos des Papes - voire "qu'ils ne comprennent pas les Papes", comme je l'ai lu ici ou là - ce n'est pas nouveau, et François ne peut l'ignorer. Cela a été le cas pendant huit ans avec Benoît XVI. Ce qui l'est, par contre, c'est que sous Benoît XVI, cette déformation avait pour but unique de critiquer l'Eglise et d'insulter le Pape; cette fois, c'est pour encenser le Souverain Pontife et saluer les "avancées", réelles ou supposées, de l'Eglise. Il s'agit probablement de leur part d'un changement de tactique. Mais on ne peut nier que le Pape ne s'y dérobe pas.
Ce n'est pas un hasard si Sandro Magister, dans le billet que j'ai traduit ce matin (Scalfari, le Pape et la conscience (2)), citait l'homélie prononcée par Joseph Ratzinger dans la cathédrale de Munich, lors d'une messe à la mémoire de Paul VI:

Mais un pape qui, aujourd'hui, ne subirait pas la critique manquerait à son devoir devant l'époque.

     

Massimo Introvigne:

Le Pape écrit. La Repubblica manipule
11/09/2013
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-il-papa-scrive-la-repubblica-manipola-7261.htm
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Un geste de frontière.
Le pape François l'avait déjà expliqué au début de son pontificat, écrivant le 25 Mars 2013 au évêques argentins, et il l'a répété à d'autres occasions: «sortant» pour rencontrer ceux qui sont loin de l'Eglise, on court le risque d'accidents.
«Mais je préfère une Église accidentée» écrivait alors François, à une Eglise qui, avec ceux qui sont loin, voire hostile, tout simplement ne parle pas».

Certes, le risque d'accident est maximum quand on parle a quelqu'un qui a fait de l'hostilité à l'Eglise sa raison sociale, comme le journal italien La Repubblica. Qui n'est pas un journal quelconque, mais la maison-mère des ennemis de l'Eglise. Et en effet, il a répondu par la manipulation habituelle à l'offre de dialogue de François, qui dans une lettre publiée le 11 Septembre, a répondu aux questions que lui avait posées Eugenio Scalfari. Les lettres n'ont pas de titre, mais le journal en a plaqué un dans la première page: «La vérité n'est jamais absolue», suivie de la signature de François, comme pour enrôler le pape dans le parti de la dictature du relativisme, celui par lequel sera exposé - et le cas échéant imposé - que la vérité est toujours variable et subjective.

Le mal est fait, parce que la lettre est longue et complexe, et, malheureusement, beaucoup de lecteurs ne lisent que les titres des journaux, de sorte que l'épisode devrait inciter à quelque réflexion sur les énormes problèmes de communication que pose, en pleine dictature du relativisme, la dialectique entre Eglise fermée et l'Eglise «accidentée».

Toutefois, ceux qui ne s'arrêtent pas au titre découvrent que le pape a écrit Scalfari plus ou moins le contraire de ce que le titre de la Repubblica suggère.

Je pars du passage sur la vérité, même s'il n'est pas au début de la lettre, car il a un rôle central. Scalfari, peut-être avec une certaine malice, avait demandé au pape «si la pensée selon laquelle il n'existe aucun absolu et donc même pas une vérité absolue, mais seulement une série de vérités relatives et subjectives, est une erreur ou un péché».
François répond que «pour commencer, je ne voudrais pas parler, pas même pour ceux qui croient, de vérité "absolue", dans le sens où est absolu ce qui est délié, ce qui est privé de toute relation». Pour le chrétien, au contraire «la vérité est une relation»: «Jésus lui-même n'a-t-il pas dit: «Je suis le chemin, la vérité et la vie"»?. Attention, toutefois, s'empresse de dire le Pape François: «Cela ne signifie pas que la vérité est variable et subjective, loin de là. Mais cela signifie qu'elle se donne à nous toujours et seulement, comme un comme un chemin et une vie».

La distinction est justement celle qui, par un tour de passe-passe, a disparu dans le titre de la Repubblica.
Mais dans le texte du pape, elle est claire. En soi, la vérité n'est pas variable, ni subjective, et donc - en effet - absolue. Sauf que le mot «absolu» a plusieurs sens. De notre point de vue humain, la vérité - qui en soi est absolue, en ce sens qu'elle n'est pas du tout «variable et subjective» - n'est pas «absolue» dans un autre sens du mot, l'étymologie latine de «ab-soluta, soluta ab "déliée de"». Elle n'est pas déliée de la relation avec le Christ, et elle n'est pas déliée de la difficulté d'un chemein qui dure toute une vie et nous amène à saisir et à comprendre que progressivement et douloureusement ce vrai qui, en soi, est absolument objective et non modifiable.

Mais - se demandera à ce point le lecteur catholique - pourquoi le Pape s'exprime-t-il de cette façon, qui pour être comprise, nécessite une pause, une lecture attentive, une explication? N'était-il pas plus facile de répéter simplement à Scalfari - le Pape François pouvait se citer lui-même, dans son discours au Corps diplomatique le 22 Mars 2013 - que «la dictature du relativisme met en péril la coexistence entre les hommes», et crée une «pauvreté spirituelle» qui n'est pas moins grave que la pauvreté matérielle?

D'un certain point de vue, il était plus simple et moins risqué de ne pas écrire à Scalfari.
Mais, une fois la décision prise et le risque assumé, François ne peut qu'utiliser la méthode qu'il a de yant de fois proposée pour «sortir» vers les «périphéries existentielles» - à ne pas confondre avec celles matérielles et physiques des villes - où vivent les pauvres parmi les pauvres, ceux qui pourraient avoir toutes les richesses sauf la richesse essentielle, la foi. Et parmi ces «pauvres en esprit» il y a certainement aussi Scalfari.

La façon d'aborder ces «lointains» que le Pape propose n'est pas de partir de la controverse - ce qui serait compréhensible et tout à fait justifié, mais qui ne rapprocherait sans doute pas de la foi - mais de la personne de Jésus Christ, désignée comme le chemin, la vérité, la vie, mais aussi comme le pardon et la miséricorde. Ce «dialogue ouvert», dans le sillage de Vatican II et de Benoît XVI - qui avait le premier parlé d'une «cour des Gentils» à proposer à la culture dérivée de la philosophie des Lumières et athée - c'est ce que le Pontife régnant offre à Scalfari et à beaucoup d'autres comme lui, à partir de l'encyclique «Lumen fidei», que François rappelle avoir reçu de son «bien-aimé prédécesseur» déjà «en grande partie rédigée» mais avoir «avec gratitude» faite sienne.

[...].

Le problème de Scalfari est de fond : non seulement il ne croit pas, mais il ne veut pas croire.
De là quelques-unes de ses questions, qui sont plutôt des confessions de cette difficulté à comprendre les questions ultimes si on se les pose à partir d'un point de vue simplement humain.
Comment Dieu peut-il être vrai - avait demandé le journaliste - s'il avait promis son amitié au peuple juif, et ensuite l'a abandonné à l'enfer de l'Holocauste? La question est immense et mystérieuse, dit le Pape, mais d'un certain point de vue «la fidélité de Dieu à son alliance avec Israël n'a jamais manqué». Même dans les épreuves les plus terribles, la Providence a voulu que les Juifs ont au moins «gardé leur foi en Dieu», et n'aient pas disparu en tant que peuple, comme le voulaient leurs persécuteurs.

* * *

Mais la question de Scalfari qui tient le plus à coeur au Pape est autre, elle renvoie au thème de la vérité: Dieu pardonnerat-il aussi à ceux qui ne croient pas?
«La miséricorde de Dieu n'a pas de limites», dit Francis, mais il ajoute: «Si nous nous tournons vers lui avec un cœur sincère et contrit».
Comment se sauvent ceux qui, sincèrement, n'arrivent pas à la foi?
La réponse du pape est claire: la clé consiste à obéir à sa conscience. Le péché, même pour ceux qui n'ont pas la foi, c'est quand on va à l'encontre de la conscience».

La conscience, bien sûr, ne doit pas être comprise comme un synonyme de nos opinions subjectives, ou pire, de nos désirs. Dans les profondeurs de la conscience, nous percevons tous les actions «comme bien et comme mal», et nous savons que sur le choix entre le bien et le mal «se joue le caractère bon ou mauvais de nos actions».
Parler de la loi naturelle donnerait la jaunisse à Scalfari, mais c'est de cela qu'il s'agit: si nous ne l'étouffons pa sous l'idéologie et le vice, dans notre conscience, il y a un sens naturel du bien et du mal, et il existe parce que Dieu l'a mis là. Suivre cette vérité naturelle inscrite dans la conscience est ce qui est demandé aussi aux non-croyants sincères.
Mais le relativisme rend tout plus difficile.