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La diplomatie du Pape au service du monde

Lecture croisée de deux évènements récents: la publication d'un recueil de discours du cardinal Bertone, et la visite de François au Président italien. Occasion pour A. Gagliarducci de faire un bilan de la diplomatie du Saint-Siège sous Benoît XVI, et d'évoquer les relations compliquées avec l'encombrant "voisin" italien (19/11/2013)

Ce n'est pas ordinaire, presque neuf mois après son départ, de voir le nom de Benoît XVI cité pas moins de 12 fois dans un article qui ne lui est pas forcément consacré. C'est une preuve qu'il est encore bien présent, et que son héritage n'est pas près d'être épuisé.

Article original en anglais: www.mondayvatican.com.
Ma traduction (et mes sous-titres...)

     
La diplomatie du Pape, au service du monde.
(Andrea Gagliarducci, 18 novembre 2013)

La diplomatie de Benoît XVI

Que le bien commun est au centre de l'agenda international Saint-Siège a été prouvé une fois de plus. Cette fois-ci, dans le livre «La diplomazia pontificia in un mondo globalizzato», une sélection des interventions diplomatiques du cardinal Tarcisio Bertone pendant ses sept années en tant que Secrétaire d'État.
En plus de 600 pages, ce n'est pas seulement l'œuvre de Bertone, mais aussi la vision de la diplomatie de Benoît XVI qui sont décrites. En présentant le livre, le 12 Novembre , Dominique Mamberti, secrétaire du Vatican pour les Relations avec les Etats, a souligné que lors du pontificat de Benoît, la raison comme fondement de la vérité est devenu un autre fil conducteur, en même temps que les fils traditionnels de consolidation de la paix et de lutte contre la pauvreté, qui traversent la diplomatie du Vatican.

Le livre du cardinal Bertone pourrait facilement être perçu comme une sélection de discours sur la raison. Dans les nombreux discours prononcés lors de voyages, cérémonies universitaires honoris causa ou lors de rencontres avec le corps diplomatique et la société civile, le cardinal Bertone transmettait la pensée de Benoît XVI. Le livre contient des observations sur le «devoir d'ingérence humanitaire» et l'appel à une nouvelle gouvernance internationale, forte et active. Celles-ci représente un développement de la traditionnelle lutte diplomatique du Saint-Siège pour parvenir au bien commun.

Valeurs non négociables au sens large

La lecture du livre montre aussi clairement que les valeurs non négociables ne sont pas seulement une manoeuvre politique de la part de Benoît XVI pour influencer le monde et apaiser les néo-conservateurs. Les valeurs non négociables ne traitent pas seulement des questions de l'avortement et de la vie, mais de tout l'Evangile. Les valeurs non négociables sont rassemblées sous le principe de liberté religieuse, que Benoît XVI a décrit comme «le droit de tous les droits». Les valeurs non négociables sont le principe essentiel, fondé sur la dignité humaine comme mesure de toutes choses. La dignité de l'être humain est au cœur de l'action diplomatique du Saint-Siège. Une action de l'Église qui profite à toute l'humanité.

Internationalisation du Saint-Siège

Sous Benoît XVI, alors que le cardinal Bertone était secrétaire d'État, le Saint-Siège est devenu de plus en plus international.
Pendant des siècles, le Saint-Siège a eu un impact international. Il a fait partie des processus de paix partout dans le monde, des négociations sur les îles Carolines à celles concernant le canal de Beagle (cf. fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_du_Beagle). Les Etats membres de l'ONU ont demandé à plusieurs reprises que le Saint-Siège élève son statut de celui d'observateur permanent (mais avec des privilèges avancés ) à celui d'Etat membre. L'autorité morale du Saint-Siège était en si haute estime que la communauté internationale a demandé qu'il compte parmi les pays fondateurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique, afin de pourvoir l'organisme d'une voix morale.

L'encombrant voisin italien

En dépit de son activité internationale, le Saint-Siège a été considéré pendant des années comme une sorte de petite enclave de l'Italie. L'Italie et le Saint-Siège ont toujours entretenu de bonnes relations de voisinage, et les papes italiens ont accordé une attention particulière aux événements en Italie.
Mais la relation spéciale entre l'Italie et le Saint-Siège a également apporté quelques ennuis. Par exemple, tous les scandales financiers récents - depuis le scandale de l'IOR-Ambrosiano (cf fr.wikipedia.org/wiki/Banco_Ambrosiano ... avec précaution!) jusqu'au chemin vers la transparence financière commencé sous Benoît XVI - impliquaient des Italiens, des hommes de compromis dont la spécialité est la dichotomie Vatican-italienne, capables d'alimenter cette très importante bonne relation.
En portant ces questions au premier plan, Benoît XVI a également mis en avant une projection plus ambitieuse pour le profil international du Saint-Siège. Le Saint-Siège ne devait plus être considéré comme une sorte d'annexe italienne, même si le Saint-Siège et l'Italie ont toujours de bonnes relations de voisinage. Le Saint-Siège est un Etat souverain qui soutient et participe à l'élaboration des politiques multilatérales entre les Etats, et les met en œuvre. Il ne vit pas dans l'ombre de l'Italie.
De l'autre côté de la frontière, les Italiens continuent à montrer intérêt et considération envers le Saint-Siège, tout en faisant attention à se protéger de considérations éthiques qui pourraient aller à l'encontre de leurs positions politiques. Ils ne pouvaient pas attaquer directement Benoît XVI, car celui-ci parlait haut et fort, et personne n'osait se présenter comme s'opposant à lui. Quand il y a des questions importantes à discuter, il est difficile d'échapper à ses propres responsabilités. Pour cette raison, les attaques contre les positions de l'Eglise ont pris la forme de la guérilla.

Les fuites autour du débat interne du Saint-Siège concernant le chemin de la transparence financière, sont venues d'Italie. Vatileaks était aussi un authentique scandale italien, plein d'attaques personnelles contre le cardinal Bertone. Les attaques étaient en fait destinées à atteindre Benoît XVI. Mais comment peut-on attaquer une autorité morale incontestée qui a assemblé des discours aussi grandioses que des cathédrales, avec les briques de la raison?

Benoît XVI et François au Quirinal

C'est dans ce contexte que Benoît XVI s'était rendu au Palais de Quirinal (cf. Les Papes au Quirinal) pour rendre visite au président de la République italienne Giorgio Napolitano, le 4 Octobre 2008. A cette occasion, Napolitano avait souligné que «la laïcité de l'Etat se tient côte à côte avec la reconnaissance de la dimension publique de la religion» et avait également noté que, en temps de crise, l'Italie pouvait compter sur les paroles du pape et sur le travail engagé par les «mouvements catholiques laïcs inspirés par le message du pape.»

Les mouvements catholiques laïcs n'ont même pas été mentionnés dans le discours que Napolitano a prononcé le 14 Novembre 2013, quand le Pape François est allé lui rendre visite (ibid). Dans le discours, Napolitano a affirmé que l'Eglise doit poursuivre un effort conjoint avec l'Italie, auquel les institutions catholiques contribuent par leur travail dans les domaines de l'éducation et de la solidarité.
Lisant entre les lignes, les paroles de Napolitano visent apparemment à réduire le rôle de l'Eglise dans la société à celui d'une simple ONG, comme beaucoup de campagnes prétendent que l'Église doit être considérée.
Ces campagnes ne réalisent pas que la souveraineté du Saint-Siège permet à l'Eglise d'être libre, de n'être soumise à aucun autre Etat, et donc de promouvoir le droit de tous les fidèles à vivre leur propre religion (ndt: cette souveraineté pourrait remise en cause avec la réforme en cours de l'IOR).
En Italie, le rôle mondial de protecton des religions et des minorités tenu par l'Eglise, a souvent été réduit à un simple débat sur les sphères d'influence.
C'est probablement la raison pour laquelle un ambassadeur auprès du Saint-Siège (lequel?) exultait dans une conversation informelle avec des journalistes que «les valeurs non négociables ne sont pas le centre de la prédication de ce pape,» tandis que Napolitano a fait l'éloge du «non-dogmatisme» du pape.
En fin de compte, ce ne sont que des déclarations mineures. Le Pape François a montré qu'il connaît les valeurs non négociables, et la façon de les défendre, même s'il sous-entend qu'il ne veut pas en faire le centre de son pontificat.

En attendant, l'Italie reste trop impliquée dans de "petites" relations avec le Saint-Siège, à vue étoite. A tel point qu'elle risque d'être traitée par le Saint-Siège comme n'importe quel autre état, perdant le lien privilégié que l'Italie a toujours eu. Mais l'Italie ne peut pas accepter cela. Et ainsi, certains en Italie mettent l'accent sur l'amour des laïcs pour le pape, pour se libérer des vieux liens, y compris en s'appuyant sur le protocole simplifié utilisé pour la visite de François au Quirinale.