Accueil

La fermeture d'une parenthèse

Extrait d'un entretien avec Mgr Bernard Fellay, à Menzingen, en novembre dernier. Ce qu'il dit ici me semble malheureusement plutôt fondé... (5/12/2013, mise à jour)

>>>
Lien.

On ne refait pas l'histoire, mais je persiste à regretter que les partisans de Mgr Lefebvre aient refusé la main tendue par Benoît XVI.

Quoi qu'il en soit, le portrait du nouveau Pape que Mgr Fellay tente d'esquisser ici est remarquablement lucide, et curieusement, beaucoup moins critique qu'on aurait pu le penser: en réalité, le chef de file des "lefebvristes' était moins indulgent avec Benoît XVI.
(Je reproduis uniquement les répliques qui m'intéressent, il y a bien autre chose dans l'interviewe)

     

L’arrivée d’un nouveau pape

L’arrivée d’un nouveau pape peut ressembler à une sorte de remise à zéro des compteurs. Surtout avec un pape qui se distingue de ses prédécesseurs dans sa manière de faire, de parler, d’intervenir avec un contraste très grand. Cela peut faire oublier le pontificat précédent et c’est un peu ce qui s’est passé, en tout cas au niveau de certaines lignes conservatrices ou restauratrices intimées par le pape Benoît XVI. C’est sûr que les premières interventions du pape ont apporté beaucoup de flou et même presque une contradiction, en tout cas une opposition par rapport à ces lignes restauratrices.

Une nouvelle approche de l’Eglise

« On ferme la parenthèse », c’est la parole utilisée par plusieurs progressistes à l’avènement du pape François. Je pense qu’en tout cas pour ceux qu’on appelle les progressistes, c’était une volonté. C’est-à-dire que le pontificat de Benoît XVI étant terminé, on jette aux oubliettes ce pontificat et ses initiatives qui essayaient de rétablir vaille que vaille la situation par quelques corrections – peut-on dire restauration ? –, en partie en tout cas il y avait au moins un désir de sortir l’Eglise du désastre dans lequel elle se trouve.
Arrive le nouveau pape avec diverses positions, attaquant un peu tout. Tout le monde a compris : Benoît XVI est oublié ! On a beau eu dire : « Mais non ! C’est bien le même combat, Benoît et François, même combat ! » Manifestement, l’attitude n’est pas du tout la même. L’approche, la définition des problèmes qui touchent l’Eglise, n’est pas la même ! Cette idée d’introduire des réformes encore beaucoup plus puissantes que tout ce qui a été fait jusqu’ici… En tout cas, on n’a pas l’impression que cela ne sera que du cosmétique, ces réformes du pape François !
Alors qu’en sera-t-il pour l’Eglise ? C’est très difficile à dire.

Un climat de confusion

L’avènement d’un nouveau pape fait oublier (ce qui l’a précédé), comme une sorte de départ à zéro, avec beaucoup de surprises, beaucoup de blessures même, parce que par ses paroles il a égratigné un peu tout le monde, pas nous seulement, mais tous les conservateurs en général. Sur des questions de morale, il a eu des prises de position étonnantes, par exemple cette question sur les homosexuels : « Qui suis-je pour juger ? » Eh bien quoi ! Le pape qui est le souverain juge, ici-bas. Donc s’il y a quelqu’un qui peut juger, qui doit juger et exposer au monde la loi de Dieu, c’est bien lui ! Cela ne nous intéresse pas ce que le pape pense personnellement, ce que l’on attend de lui c’est qu’il soit la voix du Christ et donc la voix de Dieu, qui nous répète ce que Dieu a dit ! Et Dieu n’a pas dit : « Qui suis-je pour juger ? » Il a dit vraiment autre chose : voyez les condamnations qu’on retrouve chez saint Paul, non seulement celles de l’Ancien Testament – on peut penser à Sodome et Gomorrhe – sont très explicites. Saint Paul, l’Apocalypse sont très énergiques envers tout ce monde contre nature. Donc des phrases comme cela, même si elles ont été « récupérées », laissent l’impression que sur beaucoup de choses tout et le contraire de tout a été dit. Cela crée un climat de confusion, les gens sont déstabilisés : ils attendent nécessairement la clarté sur la morale, encore plus sur la foi, les deux sont liées. La foi et les mœurs sont les deux points que l’Eglise enseigne et où l’infaillibilité peut être engagée, et tout à coup on voit un pape qui lance le flou…
Cela va beaucoup plus loin : lors d’une interview aux jésuites, le pape attaque ceux qui veulent la clarté. C’est invraisemblable ! Il n’utilise pas le mot clarté ; il utilise le mot certitude, ceux qui veulent la sécurité doctrinale. Evidemment on la veut ! Avec les paroles de Dieu lui-même, Notre Seigneur qui dit qu’il n’y a pas un seul iota qui doive être abandonné, il vaut mieux être précis !

Un pape moins crédible

Difficile de tirer un jugement de ses paroles parce que un peu plus tard, ou presque en même temps, vous trouvez des paroles sur la foi, sur des points de foi, sur des points de morale, qui sont très claires et qui condamnent le péché, le démon ; des propos qui expliquent très fortement et très clairement qu’on ne peut pas aller au ciel sans une véritable contrition de ses péchés, qu’on ne peut pas attendre la miséricorde du Bon Dieu si l’on ne regrette pas ses péchés sérieusement. Tout cela ce sont des rappels dont nous sommes heureux, des rappels bien nécessaires ! Mais malheureusement qui ont déjà perdu une grande partie de leur force à cause des propositions contraires.
Je crois qu’un des plus grands malheurs de ces propositions, c’est qu’elles ont enlevé la crédibilité, elles ont ôté une grande partie de crédibilité au souverain pontife, si bien que lorsqu’il doit parler ou qu’il devra parler de choses importantes, ces propos seront mis au même niveau que les autres. On dira : « Il cherche à plaire à tout le monde : un coup à gauche, un coup à droite ». J’espère me tromper, mais on a bien l’impression que ce sera une des lignes de ce pontificat.
Plus on est élevé, en position d’autorité, plus il faut faire attention à ce qu’on dit, et surtout pour la parole du pape. Je pense qu’il parle trop. En conséquence, sa parole est galvaudée, vulgarisée : peut-être dans le sens le plus profond du terme. Non decet : cela ne convient pas ; ce n’est pas comme cela que le pape doit faire.
On ne sait plus ce qui est opinion privée, enseignement… Les amalgames se font immédiatement. Mais c’est le pape qui parle ! Or le pape n’est pas une personne privée. Bien sûr qu’il peut parler en théologien privé, mais c’est le pape qui parle quand même ! Et les journaux ne vont pas dire « c’est l’opinion privée du pape », mais bien « c’est le pape, c’est l’Eglise qui dit cela, qui pense cela ».

Le pape, un homme d’action

Je ne crois pas que j’oserais me dire déjà capable de faire une synthèse.
Je vois beaucoup d’éléments disparates, je vois un homme d’action – c’est le primat de l’action, il n’y a pas de doute –, ce n’est pas un homme de doctrine.
Un Argentin me disait : « vous Européens, vous aurez beaucoup de difficultés à cerner sa personnalité, parce que le pape François n’est pas un homme de doctrine, c’est un homme d’action, de praxis. C’est un homme extrêmement pragmatique, très proche du terrain. » On le voit dans ses sermons, il est proche des gens et c’est peut-être cela qui le rend très populaire, parce que ce qu’il dit touche tout le monde. Il égratigne aussi un peu tout le monde, mais il est très proche du terrain. Il n’y a pas beaucoup de théorie. On le voit bien, c’est l’action, tout simplement.
Cela, c’est ce qu’on voit.
Mais quelles vont être les incidences, les conséquences sur la vie de l’Eglise dans son ensemble ? Est-ce tout simplement une voix qui crie dans le désert, qui n’aura aucun effet ou bien au contraire une partie de l’Eglise, la partie progressiste, va-t-elle en profiter ? On sent bien qu’ils aimeraient en profiter.
Ce qui est intéressant, déjà maintenant – dans cette analyse de la situation de l’Eglise – c’est de voir que des paroles maladroites sont prononcées, certains en tirent des conclusions, après cela vient une « récupération » (une tentative de rétablissement de la doctrine). Une ou deux récupérations déjà remarquables, ce sont les interventions du Préfet de la Doctrine de la Foi qui réaffirme, avec beaucoup de clarté et de fermeté, les points ébranlés par le pape. C’est un peu comme si le Préfet de la Foi devait censurer ou corriger… C’est un peu maladroit ! Finalement les progressistes, à un certain moment, vont déchanter et vont dire que ce n’est pas ce qu’ils attendaient. En attendant, le pape leur donne un espoir, un faux espoir…

Un pape moderniste ?

J’ai utilisé le mot moderniste, je crois qu’il n’a pas été compris par tout le monde. Peut-être faudrait-il dire un moderniste dans l’action. Encore une fois, il n’est pas le moderniste au sens pur, théorique, un homme qui développe tout un système cohérent, il n’y a pas cette cohérence. Il y a des lignes, par exemple la ligne évolutive mais qui justement est liée a l’action. Quand le pape dit qu’il veut un flou dans la doctrine, quand on introduit même le doute, pas seulement le flou, mais le doute, allant jusqu’à dire que même les grands guides de la foi, comme Moïse, ont laissé la place au doute… Je ne connais qu’un seul doute de Moïse : c’est lorsqu’il a douté en frappant le rocher ! A cause de cela le Bon Dieu l’a puni et il n’a pas pu entrer dans la Terre Promise. Alors ! Je ne crois pas que ce doute soit en faveur de Moïse, qui pour le reste fut plutôt énergique dans ses affirmations… sans aucun doute.
C’est vraiment surprenant cette idée de vouloir dire qu’il faut mettre le doute partout ; c’est très bizarre ! Je ne vais pas dire qu’on pense à Descartes, mais… cela crée une ambiance. Et ce qui est actuellement dangereux, c’est qu’on en reste là dans les journaux, les médias…
C’est un peu la coqueluche des médias, il est bien vu, on le loue, on le met en exergue, mais ce n’est pas le fond des choses.

     

Mise à jour

Monique a, comme moi, trouvé l'analyse de Mgr Fellay très perspicace:

Merci d'avoir mis en ligne ce très bon article.
Bien que je ne sois pas lefebvriste (car je crois que ces fidèles se trompent en voulant cheminer seuls et qu'ils ont commis une erreur historique en refusant la main tendue par Benoît XVI), je trouve que Mgr Fellay voit juste.
Mgr Fellay dénonce ce désir de François de "mettre le doute partout" alors que le rôle d'un Pape est d'affermir la foi de ses frères.
François sait que, de nos jours, pour se rendre populaire, proche des gens, il est très maladroit d'afficher des convictions. Un homme public qui croit en quelque chose ne peut être qu'intolérant, dangereux... un peu "facho".
Evidemment, je ne vais pas dire que François n'a pas la foi, mais il se présente aux athées comme quelqu'un qui les comprend dans leur impossibilité de croire. C'est une attitude d'empathie qui plaît beaucoup à notre monde relativiste. Les gens comprennent aussi que cela ne sert à rien de croire... et d'appartenir à l'Eglise.
Les progressistes font pression sur François pour obtenir ce qu'ils exigent depuis 50 ans. Ils ne sont pas comme les lefebvristes; ils savent saisir une occasion historique! Ils obtiendront certaines choses, mais pas tout, comme on le voit déjà: condamnation absolue de l'avortement (même dans les cas dramatiques), refus d'ordonner les femmes. Ce qui est étrange, c'est que ces mises au point fermes du Pape n'ont suscité aucune protestation! Car il est important de conserver la bienveillance du Pape pour toutes les autres revendications.
Mgr Fellay pense qu'ils déchanteront. C'est probable, surtout si le Pape refuse la mesure phare de leur programme: "marier" les prêtres (en tant qu'archevêque, il avait dit être partisan du célibat, mais évidemment, en tant que Pape nous ne savons pas ce qu'il va faire).

Oui, l'analyse de Mgr Fellay est plus lucide que celle de nos médias. En tout cas, je crois qu'on peut dire avec tristesse que le pontificat de François efface, du moins en apparence, celui du bien-aimé Benoît!