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La réforme de la Curie se poursuit

Le cardinal Burke évincé de sa charge à la Congrégation pour les évêques. Exit les valeurs non négociables? Commentaire de Matteo Matzuzzi (18/12/2013)

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Un entretien avec le cardinal Burke

     

Exit, le cardinal qui ne s'adapte pas

Bouleversement important à la Curie. Exit Burke, et plein d'autres
Matteo Matzuzzi
http://www.ilfoglio.it/soloqui/21131
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La réforme de la curie est un travail qui nécessite beaucoup de temps, a dit le Pape François dimanche dans la longue interview accordée à La Stampa (1). En attendant, on met la main à l'organisation des différents dicastères.
C'est ce qui s'est passé lundi avec la puissante Congrégation pour les évêques, celle qui supervise le choix des pasteurs devant être envoyés pour guider les diocèse. «La plus importante de toutes», a déclaré au New York Times, le jésuite Thomas Reese, ex directeur de la revue libérale de la Société, en Amérique. D'excellents noms biffés, et des entrées qui indiquent clairement la mission que François envisage pour la congrégation. Exclu, le Cardinal Mauro Piacenza, conservateur formé à l'école de Giuseppe Siri de Gênes. Pour lui, après le transfert, en Septembre dernier, de la Congrégation pour le Clergé au rôle de Pénitencier Majeur (un déclassement évident, puisque dans cette position étaient généralement désignés des prélats proches de la retraite), il s'agit d'une nouvelle rétrogradation. Également remplacé, Angelo Bagnasco, président de la CEI. A sa place est nommé Gualtiero Bassetti, archevêque de Pérouse, qui est vice-président de la Conférence épiscopale italienne. Entrant, lui aussi l'archevêque émérite de Ferrare-Comacchio, Paul Rabitti (ndt: replacé par Mgr Negri), proche de l'Action catholique et d'orientation opposée à celle de Bagnasco et Piacenza.

Mais la destitution qui suscite le plus de bruit, c'est celle du Cardinal américain Raymond Leo Burke, préfet de la Signature apostolique. D'Amérique arrive en revanche le cardinal Donald Wuerl, archevêque de Washington, bien loin des positions conservatrices et proches des traditionalistes de Burke.

Depuis quelque temps, ce dernier, un canoniste éminent, est en rupture avec la ligne suivie par François. Point de rupture, l'invitation du pape à ne pas faire des soi-disant principes non négociables le coeur de l'agenda pastoral. Des thèmes tels que l'avortement, l'euthanasie, le mariage homosexuel, on ne doit en parler que dans un contexte donné, pas besoin de répéter tous les jours quelle est la position de l'Eglise, a dit Bergoglio. Il est indispensable, a ajouté le Pontife dans ses interviewes, de ne pas être obsédé avec des références à la lutte pour la défense de la vie humaine. Déjà au milieu de l'été, dans une conversation avec un mensuel catholique de Minneapolis, Burke expliquait combien était nécessaire «une attention beaucoup plus radicale à la catéchèse» pour éviter «la destruction de la famille et de l'individu» réalisée par ceux qui «se rendent coupables d'actions immorales». Le cardinal américain contestait ce «faux sentiment de dialogue qui s'est glissée dans l'Église» et qui «reconnait publiquement ceux qui soutiennent les violations ouvertes de la loi morale».

Il y a quelques jours, parlant sur la chaîne américaine EWTN, Burke en rajoutait une couche. Interrogé sur l'exhortation Evangelii Gaudium, le cardinal disait que ce document «ne pouvait pas être considéré comme doctrine officielle de l'église». En écoutant le Pape, ajoutait-il, «on a l'impression qu'il pense que nous parlons trop de l'avortement, de l'intégrité du mariage entre l'homme et la femme. Mais nous ne pourrons jamais parler trop de cela. Nous sommes littéralement en présence d'un massacre de l'enfant à naître».

Très proche de Benoît XVI, Raymond Burke était très écouté de Ratzinger, en particulier en ce qui concerne la nomination des évêques américains: de Charles Chaput à Philadelphie, à William Lori à Baltimore, sa main était plus qu'évidente. Le vaticaniste John Thavis, longtemps rédacteur en chef du bureau romain de l'agence CNS (Catholic News Service), a défini comme «insolite» le choix de remplacer Burke, aussi parce que le haut prélat n'est âgé que de 65 ans et était entré récemment à la Congrégation pour les évêques.
John Allen, a déclaré que l'éviction du préfet de la Signature et la promotion simultanée de Wuerl sont un signal clair du type d'évêques que François souhaite pour l'Eglise américaine: plus modérés et flexibles, et moins enclins à des batailles publiques du haut des chaires des cathédrales.

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(1) L'interviewe du Pape "à la presse italienne" (la seconde, après celle, mémorable, à Scalfari, mais très différente), est en réalité un entretien avec un ami proche, qui permet au successeur de Pierre de "corriger les malentendus" (cf. www.la-croix.com/).

Andrea Tornielli, qui fut sous Benoît XVI un bon vaticaniste, bien informé, et honnête, exerce depuis le 13 mars à plein temps un travail d'attaché de presse de François, se comportant non plus comme un opérateur d'information, mais comme un ami personnel très impliqué (voir ici www.youtube.com/watch?v=2P7zdzyY7GU, la messe du 17 mars, jour d'inauguration du Pontificat, à la paroisse Sainte Anne: vers 3'50, on y voit Tornielli congratulant longuement le Pape, avec lequel il témoigne d'une familiarité évidente).

Dernier épisode, dans un article publié le 17 décembre sur La Stampa, Tornielli annonce triomphalement: "Benoît XVI suit la même ligne théologique que François".
Il cite un article de CNA selon lequel "Manfred Lutz, qui connaît Ratzinger depuis 30 ans, et qui lui a rendu visite récemment... révèle (!!!) qu'il se sent en syntonie théologique avec son prédécesseur".
C'est loin d'être un scoop, puisque c'était déjà le contenu d'une interviewe du même Manfred Lutz en juin dernier par le quotidien allemand Bild (benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/de-bonnes-nouvelles-de-benoit-xvi).

Tornielli a-t-il un trou de mémoire, ou bien est-il en service commandé? Pourquoi est-ce si important, en ce moment, d'enfoncer le clou de la continuité théologique entre les deux Papes, en l'occurrence sur le point précis de la "démondanisation" qui, totalement ignorée lorsqu'elle était dans la bouche de Benoît XVI est devenue l'un des slogans de François?