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La révolution de François a aboli le péché

C'est ce qu'affirme aujourd'hui Scalfari, surfant de façon prévisible sans vergogne sur les ambiguïtes du pape lors de leur entretien mémorable (29/12/2013)

Voir sur ce sujet:
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Scalfari le destinataire de la lettre du Pape
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Scalfari, le Pape, et la conscience
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Scalfari, le Pape et la conscience (2)
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François et Eugenio
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Document: la lettre à Scalfari
¤ François écrit à Scalfari
¤ François reçoit Scalfari...

     

Scalfari donne son interprétation de la "révolution bergoglienne", et il serait absurde de prétendre que tout est privé de fondement.
Si c'est ce qu'il a compris (ou prétendu comprendre) de son entretien, puis de l'exhortation apostolique Evengelii Gaudium, la caisse de résonnance médiatique a fait en sorte que l'opinion publique mondiale comprenne la même chose. Ce qui explique les sondages (Tout va très bien (II) ).
Mais ce qui est en jeu ici, ce n'est pas "l'opinion".
A présent, il est urgent de réparer les dégats, et en particuler, d'expliquer avec force que le pape n'a pas, NE PEUT PAS, aboli(r) le péché.

Le post-scriptum à cet incroyable article publié aujourd'hui sur La Repubblica (1), va probablement être exploité par ceux qui accuseront trop facilement son auteur de sénilité pour dédouaner le Pape.
Sa mauvaise foi est flagrante, et il s'est défendu comme il a pu (c'est-à-dire en mentant) après avoir écrit une insanité, forcément démasquée, car Internet est un monde sans pitié: comme beaucoup qui lisent les nouvelles en diagonale, il avait confondu Ignace de Loyola et... zut, comment il s'appelle, cet autre jésuite qui va être effectivement canonisé par François?

En tout cas, le Pape a pris des risques en se confiant (pas sa personne, mais l'Eglise catholique) à un tel individu.
Il va falloir désormais une vraie pointure théologique et philosophique pour dissiper les ambiguïtés, renvoyer le Scalfari dans ses filets et tirer François du mauvais pas où il s'est mis.
En réalité, je n'en vois qu'une: Joseph Ratzinger, Pape émérite...

     

La révolution de François

Il a aboli le péché
Eugenio Scalfari
http://www.repubblica.it
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On cherche avec insistance les nouveautés et les innovations avec lesquelles le Pape François est en train de changer l'Église. Certains soutiennent que les nouveautés sont de pure imagination et les innovations totalement inexistantes, tandis que d'autres, au contraire, mettent l'accent sur les innovations organisationnelles qui ne troublent toutefois pas la tradition théologique et doctrinale; et d'autres encore définissent François, Evêque de Rome, comme il aime à de définir, un Pontife révolutionnaire .

Personnellement, je me rangerais parmi ceux-ci. Il est révolutionnaire dans de nombreux aspects de son encore bref pontificat, mais surtout sur un point fondamental: de fait, il a aboli le péché.
Un pape qui a changé l'Église, et même la hiérarchie de l'Eglise, sur une question de cette radicalité, on ne l'avait jamais vu, au moins depuis le troisième siècle de l'histoire du christianisme et il l'a fait en opérant simultanément sur la théologie, sur la doctrine, sur la liturgie, sur l'organisation. Surtout sur la théologie.

Les critiques du pape François sous-estiment ses capacités et ses inclinations théologiques, mais ils commettent une grossière erreur.

Le péché est un concept éminemment théologique, c'est la transgression d'un interdit. Donc, c'est une faute.

La loi mosaïque, condensée dans les Dix Commandements, ordonne et impose des interdits. Elle ne garantit pas de droits, elle ne prévoit pas de liberté. Le Dieu mosaïque se décrit d'abord et avant tout lui-même: «Honore ton Dieu, n'invoque pas le nom de Dieu en vain, n'aie pas d'autres dieux que moi».
Puis, par analogie, il ordonne d'honorer son père et sa mère. Enfin, il ouvre le chapitre des interdictions, des péchés et des fautes que ces transgressions impliquent: «Ne vole pas, ne commet pas l'adultère, ne convoite pas la femme de ton prochain (attention: l'interdiction est imposée à l'homme, pas à la femme car la femme est plus proche de la nature animale et c'est pourquoi la loi mosaïque regardeles hommes)».

Le Dieu mosaïque est un juge et dans le même temps un exécuteur de la justice. Au moins de ce point de vue, il ne ressemble pas au Juif Jésus de Nazareth, fils de Marie et Joseph, de la lignée de David. Il ne prévoit aucun Fils, le Dieu mosaïque; il n'y a même pas la plus petite allusion à la Trinité. Le Messie - qui n'est pas encore venu pour les Juifs - n'est pas le Fils, mais un messager qui viendra pour annoncer le règne des justes. Il n'y a pas de sacrements, ni de prêtres qui les administrent. Ce Dieu est unique, il est juge, il est vengeur, il est aussi, mais très rarement, miséricordieux, en admettant que l'on puisse définir qui récompense l'homme, son serviteur, si et quand il a exécuté sa loi.

Il est créateur et maître des choses créées. Rien n'a jamais existé avant lui et donc c'est depuis qu'il existe que commence la création. Ce Dieu, les chrétiens en ont hérité, en le transformant fortement dans son essence, mais en s'en appropriant certains aspects importants: l'interdiction et donc le péché et la culpabilité. Adam et Eve ont péché et ont été punis. Caïn a péché et a été puni, et même ses descendants ont péché et ont été punis. L'humanité tout entière a péché et a été punie par le Déluge.

C'est là le Dieu d'Abraham, le Dieu de la captivité égyptienne et babylonienne, d'Assyrie, de Babylone, de Sodome et Gomorrhe. En substance, c'est le Dieu juif ou qui lui ressemble beaucoup, sauf dans la prédication de certains prophètes, et puis surtout, dans celle, évangélique, de Jésus.

Dans les siècles qui ont suivi, jusqu'à l'édit de Constantin, qui a reconnu le statut officiel du culte chrétien, le peuple qui avait suivi Jésus offrit des martyrs à la vérité de la foi, fonda des communautés, prêcha l'amour envers Dieu et surtout envers le Christ qui transféra cet amour aux créatures humaines afin qu'elles l'échangent avec leurs prochains. Ainsi naquirent l'agape, la charité et l'exhortation évangélique: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même».
C'est le Dieu que Jésus a prêché et que l'on trouve dans les Evangiles et dans les Actes des Apôtres. Un Dieu extrêmement miséricordieux qui se manifeste à travers l'amour et le pardon.

Dans la doctrine des Conciles et des Papes, subsistent toutefois les catégories du Dieu juge, du Dieu exécuteur de justice, du Dieu qui a édifié une Eglise et l'a détachée petit à petit du peuple des fidèles. Depuis l'Edit de Constantin, 1700 années ont passé, il y a eu des schismes, des hérésies, des croisades, l'inquisition, le pouvoir temporel. Des nouvautés et des innovations continuelles à tous les niveaux, théologie, liturgie, philosophie, métaphysique. Mais un pape qui abolisse le péché, on ne l'avait pas encore vu. Un pape qui fasse de la prédication évangélique le seul point fixe de sa révolution, n'était pas encore apparu dans l'histoire du christianisme.

C'est la révolution de François et celle-ci doit être examinée soigneusement, surtout après la publication de l'Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, où l'abolition du péché est la partie la plus bouleversante de ce tout récent document.

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François abolit le péché en se servant de deux instruments: en identifiant le Dieu chrétien révélée par le Christ avec l'amour, la miséricorde et le pardon. Et ensuite en attribuant à la personne humaine une pleine liberté de conscience.

L'homme est libre, et il a été créé tel, dit François.
Quelle est l'implication de cette affirmation?
Si l'homme n'était pas libre, il serait seulement un esclave de Dieu et le choix du Bien serait automatique pour tous les fidèles. Seuls les non-croyants seraient libres et leur choix du Bien serait un immense mérite.
Mais François ne dit pas cela. Pour lui, l'homme est libre, son âme est libre, même si elle contient une touche de grâce accordée par le Seigneur à toutes les âmes. Ce fragment de grâce est une vocation au Bien, mais pas une obligation. L'âme peut aussi l'ignorer, la répudier, la piétiner et choisir le Mal; mais là interviennent la miséricorde et le pardon qui sont une constante éternelle, selon la prédication évangélique telle que le pape l'interprète. A condition que, fût-ce dans le moment qui précède la mort, cette âme accepter la miséricorde. Mais si elle ne l'accepte pas? Si elle a choisi le mal et ne révoque pas ce choix, elle n'aura pas la miséricorde, et alors, qu'adviendra-t-il d'elle?

Pour révolutionnaire qu'il soit, un pape catholique (sic!) ne peut pas aller au-delà. Il peut abolir l'enfer, mais il ne l'a pas encore fait, même si l'existence théologique de l'Enfer est discutée depuis des siècles. Il peut déléguer au Purgatoire une fonction "post-mortem" de repentir, mais on entrerait alors dans le jugement sur le degré de culpabilité, et c'est aussi un sujet discuté depuis longtemps.


Le Pape François se laisse parfois aller à rappeler aux fidèles la doctrine traditionnelle, même si son dialogue avec les non-croyants est constant, et est l'une des nouveautés de ce pontificat, qui a trouvé ses antécédents dans le pape Jean (XXIII) et Vatican II.

François ne remet pas en question les dogmes et en parle le moins possible. Parfois même, il les contredit. C'est arrivé au moins deux fois dans le dialogue que nous avons eu et qui j'espère continuera.

A un moment, il m'a dit de sa propre initiative et sans que je l'ai sollicité par une question: «Dieu n'est pas catholique». Et il a expliqué: «Dieu est l'Esprit du monde. Il y a beaucoup de lectures de Dieu, autant qu'il y a d'âmes qui y pensent pour l'accepter à leur manière, ou à leur manière en refuser l'existence. Mais Dieu est au-dessus de ces lectures et pour cette raison je dis que ce n'est pas catholique, mais universel».

A ma question suivant ces déclarations extraordinaires, le pape François a précisé: «Nous chrétiens, nous concevons Dieu comme le Christ nous l'a révélé dans sa prédication. Mais Dieu est à tous, et chacun le lit à sa manière. C'est pourquoi je dis qu'il n'est pas catholique, parce qu'il est universel».
Enfin il y eut lors de cette rencontre une autre question: que se passerait-il si notre espèce s'éteignait et s'il n'y avait plus sur la terre un seul esprit capable de penser à Dieu?
Sa réponse fut: «La divinité sera dans toutes les âmes et tout sera en tous». A moi cela m'a semblé un passage ardu de la transcendance à l'immanence, mais ici nous entrons dans la philosophie et Spinoza et Kant viennent à l'esprit: «Deus sive Natura» et «Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi».
«Tout sera tout en tous».
A moi, je l'ai déjà dit, cela semblait une immanence classique mais si tous ont tout en eux-mêmes, cela peut être conçu comme une glorieuse transcendance.

Il reste de toute façon établi que pour François, Dieu est miséricorde et amour pour les autres, et que l'homme est doté d'une libre conscience de soi, de ce qu'il considère comme Bien et ce qu'il considère Mal.

Mais là se pose une autre et fondamentale question: qu'est-ce que le Bien et qu'est-ce que le Mal? Je pense qu'il est impossible de donner une définition de ces deux concepts. Une seule est possible: les deux sont nécessaires pour pouvoir exister mutuellement face à un être vivant qui a la connaissance de soi. Les animaux n'ont pas le problème du Mal et du Bien, parce qu'ils n'ont pas un esprit qui les regarde et les juge. Nous, oui, nous avons cet esprit. S'il n'y avait que le Bien, comme le définir? Mais s'il y a aussi le Mal, l'existence de l'un fait la différence de l'autre comme c'est le cas entre la lumière et les ténèbres, entre la santé et la maladie, et si l'on veut, entre l'existence et la non-existence. Le "rien" ne peut être ni défini ni pensable car il n'a pas d'alternative.

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Evangelii Gaudium ne parle pas seulement de théologie.
En fait, ellel parle beaucoup plus d'autres choses concrètes, organisationnelles, révolutionnaires elles aussi.
Elle parle du rôle positif et créatif des femmes dans l'Église.
Elle parle de l'importance des Synodes, dont le Pape fait partie comme évêque de Rome «primus inter pares».
Elle parle de l'autonomie des Conférences épiscopales.
Elle parle de l'importance des paroisses et des oratoires sur le territoire.
Elle parle même de politique, certes pas dans le sens de jargon politique, mais de la politique comme vision du bien commun et de la liberté pour quiconque d'utiliser l'espace public pour répandre, et se confronter avec les idées des autres.
Elle parle des inégalités qui devraient diminuer. «Je n'en ai pas après les riches, mais je voudrais que les riches prennent directement en charge les pauvres, les exclus, les faibles».
Voilà ce que dit le Pape François.
Et elle parle enfin de l'Église missionnaire qui représente le point central de sa révolution. L'Église missionnaire ne cherche pas le prosélytisme mais cherche l'écoute, la confrontation, le dialogue.

Je conclus avec une phrase qui en dit long sur ce pape, jésuite au point d'avoir canonisé il y a quelques jours Ignace de Loyola (1), fondateur de la Société la plus noble et la plus discutée parmi les ordre de l'Église,et dans le même temps d'avoir pris le nom de François qu'aucun pape avant lui n'avait jamais utilisé. Les jésuites mettent au service de l'Église leur souplesse proverbiale et pas toujours appréciable. François d'Assise était au contraire radical dans sa vision d'un ordre mendiant et itinérant. L'Ordre franciscain fut révolutionnaire, mais son pouvoir fut très limité; la Compagnie de Jésus en revanche, fut très puissante et très flexible.

Ce Pape combine en lui les potentialités des uns et des autres, et conclut en deux lignes qui représentent la synthèse de ce mariage historique: «Il faut une conversion de la papauté, afin qu'elle soit plus fidèle à la signification que Jésus-Christ a voulu lui donner. Il ne faut pas avoir peur d'abandonner les habitudes de l'Eglise qui ne sont pas strictement liées à l'Evangile. Il faut faire preuve d'audace et de créativité, abandonner une fois pour toutes le proverbe commode: "on a toujours fait ainsi". Il nous faut non plus fermer les portes de l'Eglise pour nous isoler, mais les ouvrir pour rencontrer tout le monde et nous préparer au dialogue avec d'autres langues, d'autres horizons, d'autres cultures. C'est mon rêve et c'est ce que j'ai l'intention de faire».

Ce dialogue regarde aussi et peut-être surtout les non-croyants, la prédication de Jésus nous regarde, l'amour du prochain nous regarde, les inégalités intolérables nous regardent. Un Pape révolutionnaire nous regarde et le relativisme de s'ouvrir au dialogue avec les autres cultures nous regarde. C'est notre vocation au Bien que nous devons poursuivre avec détermination constante.

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(1) Alcuni lettori mi imputano un errore laddove nel mio articolo di oggi ho scritto che Papa Francesco ha canonizzato Ignazio di Loyola. Ho probabilmente usato male il verbo "canonizzare" che significa promuovere la santificazione. Ignazio in realtà fu fatto santo su iniziativa di Papa Gregorio XV nel 1622. Usando quella parola volevo segnalare che Papa Francesco ha sottolineato l'importanza del fondatore della Compagnia di Gesù rendendo in tal modo ancor più marcato il connubio tra la sua venerazione di Sant'Ignazio e la scelta di Francesco d'Assisi che rappresentò una concezione completamente diversa della Chiesa. Mi scuso con i lettori per l'imprecisione lessicale.