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Le départ du card. Bertone vu par JL Restàn

... et une anecdote sur le premier secrétaire d'Etat de JP II, le card. Casaroli (18/10/2013)

Le 15 octobre se déroulait au Vatican la cérémonie de congé du cardinal Bertone, remplacé par Mgr Parolin. Ce dernier était absent car il vient de subir une intervention chirurgicale présentée comme bénigne, et il ne devrait prendre ses fonctions que dans "une paire de semaines".
A cette occasion il y a eu un échange de discours, celui du Pape, puis celui du cardinal Bertone.
Bien entendu, dans ce genre de circonstances, on n'échange que des amabilités.
Toutefois, du cardinal Bertone, on n'a en général retenu seulement le passage où il parle de la continuité entre les deux papes, se contentant d'ajouter que le secrétaire d'état sortant avait prononcé un "vibrant hommage" de Benoît XVI.
Voici ce qu'il a dit à ce sujet (ma traduction, original ici: press.vatican.va)

Il est difficile de tracer un bilan complet du septenat ans qui m'a vu aux côtés du pape Benoît XVI et, pour une brève mais intense période de sept mois - sept mois ! - , aux côtés du Pape François. En outre, la mémoire du vécu est partagée avec presque tout les présents, car nous avons travaillé ensemble dans des responsabilités distinctes avec dévouement et parfois avec sacrifice. Et de tout cela, je vous remercie.

Ce qui nous a passionnés avec le pape Benoît XVI a été de voir l'Eglise se comprendre elle-même en profondeur comme communion, et en même temps capable de parler au monde, au cœur et à l'intelligence de chacun avec clarté de doctrine et hauteur de pensée. Je cite seulement les grands thèmes de la relation entre foi et raison, entre droit et loi naturelle; les grands discours parmi lesquels il me plaît de rappeler celui au Parlement allemand, et Westminster Hall, ainsi qu'au Collège des Bernardins à Paris; la valorisation de la commune identité chrétienne avec les frères d'autres églises et communautés , ainsi que le dialogue théologique renouvelé avec les frères aînés juifs; les rapports marqués par le respect mutuel avec les musulmans (dont témoignent les voyage en Turquie et au Liban ) après le difficile malentendu du discours de Ratisbonne, qui ont fait de l'Eglise un partenaire recherché et apprécié; et enfin, les encycliques , parmi lesquelles se détache sur le panorama politique, social et économique Caritas in Veritate , qui a reçu un consensus général.

Le pape Benoît XVI a été un réformateur des consciences et du clergé. Son pontificat a été traversé par de forts projets pastoraux: l'Année paulinienne , l'Année sacerdotale et celle qui est sur le point de se conclure, l'Année de la foi. Il a souffert profondément pour les maux qui défigurent le visage de l'Eglise, et pour cela, il l'a dotée d'une nouvelle législation qui frappe avec décision le phénomène honteux de la pédophilie au sein du clergé, sans oublier le lancement de la nouvelle législation en matière économique et administrative.

Et quand le Seigneur lui a inspiré , après une profonde méditation et de prière intense, la décision de la renonciation, il a remis le ministère pétrinien à son successeur venu de loin et envoyé l'Esprit de Jésus

Je vois aujourd'hui dans le Pape François non pas tant une révolution mais une continuité avec le pape Benoît XVI dans la diversité des accents et des traits de viee personnelle: nos origines et nos parcours, comme vous l'avez dit , Saint-Père, sont différents.
Je pense aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Madrid et Rio de Janeiro: voici un rappel, une harmonie très belle.

L'écoute, la tendresse, la miséricorde, la confiance, sont de merveilleuses réalités que j'ai vécue personnellement avec vous , Saint-Père, dans la multiplicité des entretiens, dans les gestes, dans les surprises des appels téléphoniques, dans les tâches que vous m'avez confiées confiées. Pape François, merci pour votre bienveillance!

Et pour finir, je ne peux pas ne pas souligner deux expressions qui renforcent cette continuité : le don du conseil spontané et inspiré, projeté vers l'avenir, mais riche de mémoire; et puis la fervente dévotion mariale commune. Il n'y a pas de plus belle icône des deux papes que celle qui les photographie, chacun recueilli en prière devant la statue de le Sainte-Vierge, et de Notre-Dame de Fatima: le Pape Benoît à Fatima, durant l'Année sacerdotale en 2010; et à Rome, devant la même image, durant l' année de la foi, le pape François, mettant toute l'Eglise en état de pénitence et de purification. Il semble vraiment que l'on doive repartir de Fatima.

     

On sait par ailleurs que le cardinal Bertone avait de nombreux ennemis, et que durant le Pontificat, il a été la cible d'innombrables attaques. Les critiques étaient pratiquement unanimes (ce qui fait beaucoup!) contre sa prétendue incompétance, son autoritarisme, ses gaffes, etc....
Mais dans un article écrit récemment par Andrea Gagliarducci, que j'avais traduit ici (Le secrétaire d'Etat Bertone), il émergeait que Tarcisio Bertone avait été un bon et loyal serviteur, que "certains" pour dire les choses familièrement, "voulaient sa peau", qu'il avait été choisi expressément par Benoît XVI pour rompre (et c'était un vrai changement!) avec la tradition des Secrétaires d'Etat issus de la diplomatie, et que le Pape ne lui avait jamais ôté sa confiance.

Dans son billet d'hier, José Lui Restàn, toujours optimiste et positif, revient sur la passation de pouvoir et redimensionne les critiques.

     

De secrétaires et de vieilles histories

José Luis Restan
http://www.paginasdigital.es
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Pietro Parolin est le nouveau secrétaire d’État. Il l’est, bien qu’il n’ait pas pu être présent à la cérémonie prévue pour sa prise de possession et pour le départ de son prédécesseur, le cardinal Bertone, du fait d’une intervention chirurgicale imprévue que le porte-parole du Vatican s’est empressé de qualifier de légère.
Certains se sont fait des nœuds au cerveau en cherchant des seconds ou troisièmes degrés d’un événement qui s’est répété si souvent au Saint Siège.
Évidemment beaucoup de choses vont changer, d’abord par le passage de l’exubérance de tempérament de Bertone à la discrétion diplomatique de Parolin, puis par la redéfinition du rôle de la Secrétairerie d’État qui va devenir fondamentalement une Secrétairerie du Pape, et il est possible qu’elle se voit dépouillée de la fonction de coordination de la Curie, ce qui se préparait ces derniers jours. En tout cas les fondations de l’Église ne tremblent pas.

Avec son habituel naturel, Bertone a dit qu’il voit dans le Pape François non pas tant une révolution qu’une continuité avec Benoît XVI, quoiqu’avec une diversité d’accents et des traits[différents] de vie personnelle, et il a souligné deux choses qui renforcent cette continuité : le don du conseil spontané et inspiré, et la commune et fervente dévotion mariale.
« Il n’y a pas d’image plus belle que celle des Papes recueillis en prière devant la Vierge de Fatima » a jouté le cardinal salésien. Pour sa part François s’est aussi exprimé sans tabous en lui répondant qu’il voyait en lui, avant tout, le fils de Don Bosco, et d’ajouter d’une manière significative que c’est ce qui l’a amené « à remplir tous les tâches avec un profond amour de l’Église, une grande générosité et avec ce typique mélange salésien qui unit un esprit sincère d’obéissance à une grande liberté d’initiative et d’inventivité personnelle ».
Cela s’est passé ainsi, et il n’y a rien à cacher.

C’est curieux ce désir de "tranchées" que l’on découvre ici et là ces jours-ci, ajouté au fantasme de la rupture sur le chemin de l’Église, que certains saluent avec des transports de joie tandis que d’autres la dénonce comme une œuvre quasi diabolique. Il faudrait dire ce qu’en disait ce monarque : Calmez-vous ! La Rome des apôtres a plus de vingt siècles d’histoire et comme dirait le génial bienheureux John Henry Newman, sa présence pacifie toujours le cœur. Ce sera par quelque chose, ou mieux par Quelqu’un. Un autre grand théologien très fréquenté par le pape Bergoglio, Henri de Lubac, dénonçait dans son historique « Méditation sur l’Église », ce venin qui fréquemment s’infiltre dans la terre ecclésiale pour donner l’amer fruit de la tromperie, de la malveillance et pour rendre monstrueux ce qui est différent.

La Secrétairerie de Bertone a récolté d’abondantes critiques, quelques-unes ayant plus de sens que d’autres, et il est certain que finalement les circonstances demandaient un changement de cycle. Mais il serait stupide et mauvais de donner comme simple sentence de condamnation que Bertone appartient à une "cordée" (càd groupe de personnes qui s'unissent pour s'emparer du pouvoir) intrigante et néfaste, alors qu’enfin arrive l’air frais et pur. Chacun est marqué par son histoire a rappelé le Pape François, et j’ajouterais : grâce à Dieu ! Cela signifie que nous ne venons pas de la stratosphère, que nous nous labourons la terre et que la boue nous colle aux souliers. Et c’est cela qui est bon, que toujours nous nous laissions nettoyer par la miséricorde du Seigneur.

J’étais dans ces pensées quand m’est venue une curieuse histoire publiée par le vaticaniste Gianni Valente sur un autre Secrétaire d’État, également célèbre et discuté, Agostino Casaroli, artisan en bonne part de la dite « Ostpolitik » vaticane dans les années 70 du siècle passé (1).
On avait dit et écrit que le grand Primat de Pologne Stefan Wyszinski ne pardonnait pas à Casaroli son gant de soie avec les régimes communistes. De fait il avait exigé que toutes les relations de Rome avec Varsovie passent entre ses mains, chose logique compte tenu de la façon dont les dirigeants polonais de l’époque étaient toujours complaisants pour introduire des embûches dans les relations entre le Vatican et l’Église en Pologne. C’étaient des temps très difficiles et le sol était très glissant. Il y avait de légitimes divergences sur la façon de gérer cette situation pour préserver et augmenter les espaces de liberté de l’Église et il est très possible que Casaroli et Wyszinski aient eu des discussions, et qui sait, enflammées. Comme c’est facile de passer de là à la légende.

Il s’avère aujourd’hui que les journaux de la primature polonaise viennent de démontrer que Wyszinski a favorisé intensément la nomination de Casaroli comme Secrétaire d’État de Jean Paul II. Il considérait qu’il était « fidèle, actif, scrupuleux et prudent…un homme de prière et de foi vive, sincèrement consacré à l’Église ». Le Pape Wojtyla a écouté Wyszinski et a choisi Casaroli, bien que les étiquettes les aient situés aux extrémités opposées de l’échiquier ecclésial. C’est ainsi que s’écrit (continue de s’écrire) l’histoire de l’Église, la vraie. Et bienvenue à Pietro Parolin, car le temps presse et l’humanité a faim, comme il l’a dit lui-même, de raisons de vivre et d’espérer.



(1) L’article est à lire ici: vaticaninsider.lastampa.it/vaticano/dettaglio-articolo/articolo/diplomazia-vaticano-casaroli-wyszynski-28536/