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Le geste le plus raisonnable

Dans son dernier billet, JL Restàn revient sur l'appel à la paix en Syrie lancé par le pape François. Traduction de Carlota (6/9/2013)

>>> Voir aussi:
benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/limbroglio-des-gaz-sarins.html

Le Pape François a décrété dimanche dernier une journée de jeûne et de prière dans le monde entier le 7 septembre pour la paix en Syrie.

Le commentaire de Carlota

La situation syrienne n’est évidemment pas celle que nos dirigeants et les médias aux ordres veulent nous faire « avaler » pour que le « bon peuple heureux» scande « la paix » alors que c’est « la guerre » que le mot signifie désormais (cf « 1984 » de George Orwell).
Certes je suis incapable d’expliquer la situation très complexe de cette partie du monde mais je peux comprendre qu’elle ne résulte pas que de raisons purement religieuses (différences doctrinales entre les croyances des musulmans sunnites et des musulmans chiites et la branche des alaouites) ou du désir d’instaurer la démocratie qui va apporter le bonheur aux Syriens, à tous les Syriens et notamment à ceux descendent des premiers chrétiens et qui parlent encore la langue du Christ, l’araméen.
S’y mêlent aussi des raisons extérieures politiques (se débarrasser d’un dictateur, enfin de celui-là) mais aussi stratégiques (encerclement de la Russie et de l’Iran; instauration du chaos dans les pays qui entourent Israël peut les rendre moins dangereux pour ce pays; souhait d’une Turquie toujours membre à part entière de l’Otan, un reste de la guerre froide mais toujours bien utile, de reprendre la place qu’elle juge lui revenir comme comme au « bon vieux temps » de l’empire ottoman, en passant des alliances changeantes mais qui lui sont toujours favorables).
Il y a aussi la question énergétique (le transit du gaz en provenance du Qatar via une Syrie que l’on voudrait non plus indépendante et soutenue par la Russie, mais rentrée dans le giron de l’ « Empire du Bien » pour parfaire le contrôle des actuelles grandes zones pétrolifères des monarchies du Golfe, elles aussi alliées actuelles de l’ « Empire du Bien » ; et n’oublions pas que le Qatar et les pétromonarchies ont déjà acheté une bonne partie de la France et le système bancaire mondial est au bord du gouffre ; et en passant « les marchands de canons » peuvent toujours essayer de se refaire une petite santé, etc…).

Ce que je vois, en attendant, c’est que la France n’a pas à faire une guerre qui ne la concerne pas et qui est contraire à ses intérêt, bien que des mauvais esprits pourraient peut-être penser que dans la situation économique catastrophique de notre pays, le président Hollande agit ainsi pour faire patienter ses créanciers… et que peut-être les populations de religion musulmane qui ont voté à plus de 80% pour l’actuel président français, ne sont pas chiites mais majoritairement sunnites… Des mauvaises raisons pour la paix mais bien bonnes pour la guerre…

Par ailleurs la France n’a pas non plus à prendre parti dans la suite des Etats-Unis, surtout en ne proposant rien pour essayer de trouver des solutions de paix. A-t-elle oublié que pendant près d’un millénaire elle a tenté d’être la puissance protectrice des chrétiens de cette zone du monde et après la fin de l’Empire ottoman elle a su gérer avec intelligence ou tout au moins pas si mal que cela un mandat difficile que lui avait confié la Société des Nations, sur la Syrie et le Liban? Je rappelle ce fait historique non pas pour suggérer la même chose mais pour dire que notre pays devrait avoir quelques éléments sur cet Orient compliqué , la situation catastrophique syrienne a encore lourdement touché le Liban qui a déjà tant de mal a maintenir un état multiconfessionnel avec une communauté chrétienne encore un peu importante.

Mais la France en tant que nation souveraine existe-t-elle encore ou tout au moins ses dirigeants en voient-ils encore la nécessité? Comment aider les autres si l’on veut se détruire soi même ?

Le Pape nous a demandé de prier et de jeûner samedi prochain 7 septembre 2013. À son niveau et comme le dit José Luis Restán dans son dernier édito, c’est le geste le plus raisonnable.
Original www.paginasdigital.es

     

Le geste le plus raisonnable

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Il y a toujours une manière de réduire et de neutraliser les paroles du Pape (de tout Pape) même si l’on est disposé à la bienveillance, voire si l’on ébauche quelques timides applaudissements. Mais la journée de jeûne et de prière proclamée par François pour le prochain samedi 7 septembre n’est pas un simple geste pieux, une espèce d’impuissance bien intentionnée. Avec sa parole et ses gestes, le Successeur de Pierre propose au monde entier le regard sur l’homme et sur l’histoire qui nait de la relation avec le Christ. Et il n’y a pas de regard plus pénétrant ni plus décisif dans l’histoire.

De même que, lorsque sur la Place Saint Pierre, il a demandé devant des milliers de fidèles que « la paix explose dans le monde », lorsqu’il a écrit au Président Poutine en tant qu’hôte du G20 pour demander que « la vaine prétention d’une solution militaire soit abandonnée » pour la Syrie, le Pape peut être entendu par tous, des simples comme des intellectuels, des pauvres comme des puissants de la terre. Parce qu’il fait appel à une exigence du cœur de chaque homme et parce qu’il met en jeu une rationalité plus ouverte et exhaustive que celle que l’on écoute ces jours-ci dans les forums internationaux.

François et avec lui toute l’Église, ne parraine pas une sorte de passivité face à la tragédie syrienne. En réalité l’Église depuis des années réclame une action concertée de la communauté internationale pour mettre une limite aux massacres, aider efficacement les victimes et empêcher une nouvelle terre brûlée où ne pousse que la semence de la rancœur, du fondamentalisme et du terrorisme (1). Benoît XVI l’a réitéré de nombreuses fois et a essayé d’envoyer une délégation du Synode des évêques en terre syrienne, proposition qui a du être abandonnée devant l’embrasement de violence, mais il a chargé le cardinal Robert Sarah, Président de Cor Unum , de visiter en son nom les camps de réfugiés et de porter l’aide matérielle et spirituelle du Saint Siège.

Le Pape François a voulu expliquer aux ambassadeurs du monde entier ce qu’il prétend, car le geste de samedi ne sera pas un geste privé de quelques croyants « qui ne comprennent pas ce que se passe dans le monde ». Au contraire il s’agit d’un geste public, au milieu des places du mondes, une clameur qui fasse comprendre et sentir que « ce n’est pas la culture de la confrontation et du conflit celle qui construit le vivre ensemble, mais la culture de la rencontre, la culture du dialogue ; c’est l’unique chemin de la paix ». Le regard instruit par la foi sert de cette façon le monde entier et pas seulement les chrétiens.

C’est pour cela aussi que la présence chrétienne au Moyen Orient est la garantie d’un futur de paix, d’un nouveau chemin de dialogue, de réconciliation et de liberté dans cette terre martyrisée.
Cette semaine trois grands patriarches catholiques (le melkite Grégoire III Laham avec son siège à Damas, le maronite Behara Rai avec son siège à Beyrouth, et le chaldéen Louis Sako, avec son siège à Bagdad) ont élevé leur voix au nom des héroïques communautés toujours oubliées dans les chancelleries occidentales.
La complexité du Moyen Orient oblige l’Occident à être prudent, à forcer le dialogue et à chercher des interlocuteurs responsables. Le patriarche Sako s’est demandé si l’Occident n’avait peut-être rien appris de l’amère leçon de l’Irak. Parce que renverser le dictateur Assad au prix du sang de nombreux innocents pour installer à Damas les fondamentalistes serait une nouvelle tragédie historique. Comme l’a dit le Patriarche de Bagdad, si l’Occident veut réellement la démocratie dans la zone il doit aider à éduquer, il doit chercher des interlocuteurs, et non pas créer de nouveaux et imprévisibles conflits. Nous sommes en train de jouer beaucoup en ces jours tourmentés. C’est pour cela que le don de la vraie paix est ce qu’il y a de plus raisonnable.
Le Patriarche Sako s'est demandé, au cas où l’Occident n'aurait pas appris l'amère leçon de l'Irak: pourquoi démolir le dictateur Assad au prix du sang de beaucoup d'innocents, pour installer à Damas des fondamentalistes, ce qui serait une nouvelle tragédie historique. Comme l'a dit le Patriarche de Bagdad, si l’Occident veut réellement la démocratie dans la zone il doit aider à instruire, il doit chercher des interlocuteurs qui l’aident à agir ( ?), et non pas créer des conflits nouveaux et imprévisibles.
Nous jouons gros, en ces jours orageux. C'est pourquoi invoquer le cadeau de la véritable paix est le geste le plus raisonnable.
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(1) Je n’entends pas ces deux derniers mots pour les chrétiens. Remarques à l’intention de ceux qui pratiquent le relativisme

     

Remarque supplémentaire de la traductrice

Il faut se rappeler les appels des différents Papes (et des nonces et évêques sur place) contre notamment la guerre en Irak et plus récemment en Libye.
J’ai encore souvenance de ce que disait un évêque syrien qui dénonçait les interventions extérieures en moyens et en hommes au tout début des événements. Ces appels mettaient en garde contre le chaos prévisible.
Qui peut croire que ceux qui nous gouvernent n’en avaient pas non plus conscience ?
Ils le voulaient donc, ce chaos, pour que la nouvelle situation, même chaotique, profitent à certains…
Ce qui est le plus révoltant dans tout cela, ce n’est pas que des hommes politiques se trompent mais des hommes politiques qui trompent sciemment en osant dire qu’ils agissent pour le peuple et par le peuple dans un souci de démocratie, en fait un alibi.
Combien d’autres guerres et de morts faudra-t-il encore pour que les Français, faute de mieux, comprennent que depuis plus de deux cents ans l’on se fiche d’eux en leur demandant de faire leur devoir de citoyen en mettant gentiment un bout de papier dans une urne ? Et qui peut croire que la démocratie (donc la loi du fort, puisque c’est celle du nombre) profitera aux chrétiens au Proche et Moyen Orient, sans un vrai changement dans le cœur de chacun ?