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Un entretien avec le cardinal Burke

... sur la revue espagnole Alfa y omega: "L'Église ne peut nier la vérité du mariage". Traduction de Carlota (13/12/2013, mise à jour)

Les imprudences du cardinal Kasper

Selon une information de l'agence italienne AGI, présentée sous le titre «Un tournant au Vatican» , dans une interviewe à Die Zeit, le Cardinal Kasper aurait annoncé que «les personnes divorcées et remariées pourront bientôt accéder à nouveau aux sacrements».
La dépêche d'AGI précise:
Kasper a expliqué la nécessité de réformes sur les questions qui exigent de la part de l'Église «des modifications et des ouvertures», en soulignant que, même pour ceux qui ont contracté un second mariage doivent pouvoir «participer pleinement à la vie de l'Eglise». Selon Kasper, «ce qui est possible à Dieu, c'est à dire le pardon, doit également s'appliquer à l'Eglise».

Je n'ai pas trouvé trace de l'article sur le site de Die Zeit (cet hebdomadaire paraît le jeudi, il est donc possible que l'article n'ait pas encore été mis en ligne).

L'opinion du cardinal Kasper (si tant est que ces propos aient été vraiment prononcés) n'engage heureusement que lui, même s'il figure parmi ceux que l'on nomme désormais les "grands électeurs" de François, lequel lui avait rendu un hommage appuyé lors de son premier angelus.

Le Cardinal Burke dit heureusement tout autre chose dans cet entretien du 6 décembre publié par la revue Alfa y Omega et traduite par Carlota.
Original ici: infocatolica.com/?t=noticia&cod=19334

     

Cardenal Burke: «L’Église ne peut pas renier la vérité du mariage »
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Le Cardinal Burke est le responsable du tribunal de la plus haute instance de l’Église qui veille à la rectitude de la procédure de suivi des causes de nullité de mariage dans tous les tribunaux de l’Église. Mais la Signature Apostolique est aussi un tribunal de haute instante administrative, qui résout des questions hiérarchiques et de conflit de compétence entre les dicastères. Le cardinal Burke, né dans le Wisconsin (Etats-Unis), en 1948 est une des voix les plus autorisées dans des matières comme la réforme de la Curie.

Le Cardinal Burke est en outre une référence pour le puissant mouvement pro-vie dans son pays (ndt cf son mot d’encouragement à Jeanne Smits dans le journal Présent n° 8000 exceptionnellement en accès libre dans son intégralité), et au Vatican l’un des grands défenseurs de la récupération du latin.
La semaine dernière il était à la Faculté de Droit Canonique de l’Université San Dámaso de Madrid.

Compte rendu de l’entretien du 6 décembre 2013.

     

La reforme des dicastères est le thème de l’étude de la seconde réunion du Conseil des 8 cardinaux. Quel est d’après vous, le but de la réforme?


Je ne fais pas partie du Conseil et ne connais pas le contenu des débats. L’on parle de la fusion de quelques dicastères, de la création de nouveaux…Je ne peux qu’imaginer une réforme dans la continuité de la constitution Pastor Bonus. Certains ont dit que la réforme apporterait quelque chose de complètement nouveau, mais cela me paraît contraire à la nature de l’Église qui est un corps organique.


- Comment la Curie peut-elle plus s’imprégner de cet esprit missionnaire dont parle le Pape dans son Exhortation Evangelii gaudium?

Il existe toujours cette tension et c’est quelque chose de bon. D’un côté l’Église a besoin d’une bonne administration centrale, parce qu’elle est universelle, elle est une dans le monde entier, et elle a besoin d’une structure adéquate au service des diocèses. Pour ce service, elle doit avoir une impulsion missionnaire, et elle a besoin de comprendre le mieux possible la situation dans les différentes parties de l’Église et répondre d’une manière adéquate à ses besoins.
Mais je dois dire, comme quelqu’un qui a travaillé à la Curie entre 1989 et 1995 [comme défenseur du lien de la Signature Apostolique (ndt : du lien matrimonial dans les procès de nullité) et ensuite depuis 2008, que j’ai toujours rencontré à la Curie cet esprit de service au Saint Père dans sa mission de pasteur de l’Église universelle. Cela peut se fortifier et s’intensifier, et ce sera une bonne chose que cela se fasse, mais il est faux de dire que, jusqu’à maintenant, la Curie n’a pas été missionnaire et n’est pas préoccupée des Églises locales.


- Dans son discours à la Signature Apostolique le Pape [François] a insisté sur le service du défenseur du lien dans les procès de nullité, ce qui semble qu’il ne va pas tant dans le sens des changements qui sont préconisés depuis quelques secteurs en Europe Centrale. Comment se concilient la miséricorde, la vérité et la justice dans des thèmes comme celui de la communion des divorcés?

L’on doit comprendre que le premier ingrédient, l’ingrédient minimal et essentiel est une réponse pastorale de charité, c’est la justice de la vérité. Je ne peux aimer quelqu’un que depuis le respect de la vérité. Pour ce qui est des personnes divorcées en unions nouvelles, l’Église doit être miséricordieuse, les recevoir et les aider à participer à la vie de l’Église le plus possible, mais elle ne doit pas manquer à la vérité et prétendre que la nouvelle union est dans l’ordre [des choses].
À moins qu’il y ait eu une déclaration de nullité de ce qui était présumé comme un mariage, le lien existe. L’indissolubilité du lien est clairement reconnue depuis la fondation de l’Église dans l’évangile de Matthieu, c’est pourquoi l’Église doit le respecter et promouvoir la vérité du mariage par tous les moyens possibles, comme l’union indissoluble et ouverte à la vie entre un homme et une femme. Il ne peut y avoir de changements en cela.
De la Compassion ? Évidemment ! Mais la compassion ne peut inclure que cette personne accède à l’Eucharistie. Ce qui est posé dans certains milieux en Allemagne, à mon sens, est erroné. L’archevêque Müller, Préfet de la Doctrine de la Foi, a laissé ce point très clair, dans un article de l’Osservatore Romano. Il n’a pas exprimé son opinion personnelle, mais l’enseignement permanent de l’Église qu’on ne peut être altéré.
Propager l’idée qu’il y aura un changement radical, et que l’Église va cesser de respecter l’indissolubilité du mariage est faux et très dommageable. Un tel changement n’est pas dans les mains de l’Église. L’Église doit être obéissante aux paroles du Christ. Cette situation avec certains évêques de Haute Rhénanie doit être corrigée. Si cette attitude s’étend à d’autres lieux, nous manquerions à la défense d’une vérité fondamentale pour la foi.


- « Les mariages sont plus exposés à l’invalidité que dans le passé » ajoutait monseigneur Müller.

C’est très probablement le cas. La culture a atteint un point tellement bas ! Elle est devenue très matérialiste et relativiste. On a perdu le sens de la morale inscrite dans le cœur humain et dans la conscience. C’est pour cela qu’il est très possible que pour les gens aujourd’hui ce soit plus difficile de comprendre la nature du mariage. Mais chaque cas particulier [de nullité] doit être examiné individuellement et démontré.
Nous tous, qu’importe la culture dans laquelle nous vivons, avons un cœur humain, et dans le fond de ce cœur nous trouvons le vrai sens du mariage. C’est cela la loi naturelle. Et si nous le nions, nous nions la relation qui existe entre notre conscience et Dieu, des mains duquel nous procédons. Par conséquent, il faut être très prudents : reconnaître l’influence de la culture, oui, mais en même temps, être fermement respectueux de la conscience humaine.
Dans ma propre expérience comme prêtre, dans le traitement avec des jeunes couples aux Etats-Unis où nous avons une culture très sécularisée, j’ai eu affaire avec beaucoup de jeunes qui, précisément parce que leurs parents ou frères et sœurs étaient divorcés, avaient opté pour une conception du mariage qui n’allait pas se terminer dans un divorce.
Il y a un aspect qui je crois doit être souligné, et je pense qu’il en sera ainsi lors du prochain Synode, la culture s’est beaucoup éloigné du christianisme en Europe ou aux Etats-Unis, mais notre réponse à cette culture ne peut pas être de nous en accommoder. Nous trahirions la foi catholique. Ce que nous devons par contre faire c’est enseigner la foi et en porter témoignage d’une manière plus efficace. Il y a beaucoup de jeunes qui attendent ce type de témoignage, parce qu’ils sont conscients qu’ils vivent dans une culture en faillite, stérile et rend les gens malheureux. Et ils veulent vivre une véritable vie chrétienne.


- Dans les cas qui vous arrivent quotidiennement, percevez-vous qu’il manque une meilleure préparation au mariage ?

Bien sûr. Dans la culture comme celle qui existe aux États-Unis, ou ici en Espagne, la préparation au mariage doit être beaucoup plus approfondie. Quand deux jeunes veulent se marier, souvent ils ont la sensation qu’ils sont déjà préparés et qu’ils ne veulent pas perdre du temps avec des discussions et des sermons, mais nous devons les aider à comprendre combien il est important pour eux de réfléchir sur le mariage, de façon à ce qu’ensuite leur union ne se termine pas en un divorce. Mais dans cette culture antifamille, il n’est pas discuté que chaque divorce est une tragédie et qu’il provoque des blessures pour la vie.


– Le cardinal Erdö (actuel Primat de Hongrie, le 14 octobre 2013, le pape François l'a nommé rapporteur général du Synode sur la famille d’octobre prochain) a signalé que, plus que le divorce, aujourd’hui le grand problème est que beaucoup de jeunes ne se marient pas du tout…

C’est une autre grande difficulté. Dans beaucoup de pays, beaucoup de jeunes vivent comme mari et femme, et ne voient pas l’importance de se marier devant le Christ. Là il existe une grande nécessité d’évangélisation.

– Le Pape François a demandé d’examiner la façon dont l’Église présente la défense de la vie, parce que son message n’est plus compris dans des sociétés fortement sécularisées. Cette approche a produit une certaine confusion parmi quelques catholiques. Que leur diriez-vous ?

Le pape a un grand et beau don de la proximité, les gens le comprennent, le nombre de personnes qui se rapprochent de Rome est impressionnant, plus grand que jamais. Mais le Saint Père a souvent demandé que l’on ne tombe pas dans un culte personnel mais que l’attention se dirige vers le Christ. De fait, le plus grand cadeau qu’il a pour tous les gens qui viennent le voir c’est de leur annoncer la vérité de la foi.
Je comprends que nous ne pouvons pas toujours parler de l’avortement mais en même temps c’est l’un des problèmes moraux les plus graves que notre société affronte aujourd’hui. Quand l’on élimine des centaines de milliers de vies humaines sans défense et innocentes, que reste-t-il du respect de la vie ? Cela a des répercussions importantes dans des affaires comme l’attention à porter aux pauvres. À mon avis, tant que ne sera pas restauré le respect de la vie humaine dans sa forme la plus innocente et sans défense, il n’y aura pas la mentalité adéquate pour résoudre d’autres graves problèmes moraux.
L’on peut dire la même chose en ce concerne les pressions pour légaliser le dit mariage, - qui n’est absolument pas un mariage, entre deux personnes du même sexe. Cela contredit la loi morale naturelle et détruit la société, quelque chose de similaire à ce qui est arrivé dans la Grèce Antique ou à Rome. Par conséquent, il faut rendre grâce à Dieu du don du Saint Père, mais les gens doivent comprendre que c’est le Vicaire du Christ sur la terre, et que le Christ nous appelle chacun de nous à une conversion de vie. Le Seigneur montre une grande compassion envers la femme adultère de l’Évangile, mais ses derniers mots sont : « Ne pèche plus ».
Et je comprends qu’il puisse y avoir de bons catholiques qui, durant des décennies ont travaillé pour la défense de la vie et de la famille, qui maintenant sont confondus par ce qui leur arrive de ce que dit le Pape. Pour cela je crois qu’il leur adressera une parole. Vous devez continuer avec ce que vous faites. Parce que c’est ce qu’il pense. Le Pape est en train d’essayer de se rapprocher de ceux qui sont éloignés mais cela ne signifie pas qu’il veuille abandonner les questions pro-vie.


- Ce n’est pas ce que l’on perçoit en s’informant dans des médias déterminés.

Oui. Ils prennent du Saint Père toute déclaration qui leur paraît plus ouverte et ils en donnent une large diffusion, mais quand il dit quelque chose comme ce qu’il a dit à la Signature Apostolique, ou quand il se prononce sur l’avortement, ils ne publient pas un seul mot. Pareil quand il parle du diable. C’est rare les fois où l’on en voit une quelconque mention.

- Un aspect qui appelle l’attention de l’Église aux Etats-Unis c’est comment il est capable de défendre avec un grand naturel la vie et le mariage et en même temps c’est un clair référent pour les affaires sociales, comme la défense des immigrants. Voyez-vous cette attitude comme un exemple pour l’Europe ?

Je crois que cela pourrait être une contribution de l’Église aux Etats-Unis, à notre époque. Un cardinal italien m’a dit qu’il devait encourager les catholiques à continuer dans cette ligne de défense de la vie et de la famille, de défense des droits humains, de parler clairement aux politiques quand ils trahissent le bien commun… Mais ce n’est pas facile, les évêques doivent continuer à être forts.


- Vous avez dit publiquement à plus d’un dirigeant pro-abortiste qu’il ne devait pas communier…

Si un politique favorise l’avortement ou le dit mariage homosexuel, ce qui est un péché public très grave, comment cette personne peut-elle se rapprocher de la sainte Communion sans s’être converti et avoir fait un acte de réparation ?


- La clef n’est-elle pas dans la recherche d’une approche des polémiques et des thèmes moraux, qui nsoit éloignée des catégories idéologiques ou politiques ? C’est cela, - entre autres choses, que vous proposez dans votre livre « Divine Love made flesh » (l’amour divin fait chair) ?

Oui, c’est une réflexion sur l’Eucharistie, à partir de différents articles que j’ai écrit alors que j’étais évêque aux Etats-Unis. Peut-être qu’un jour il y aura une traduction en espagnol.


- Souvent vous avez exprimé votre préoccupation sur les abus liturgiques dans les décennies postérieurs au Concile. Maintenant alors que 50 ans ont passé depuis la Constitution Sacrosantum Concilium, considérez-vous que le problème a été résolu ?

Pas du tout, bien qu’on ait fait beaucoup de progrès. Il faut considérer que, depuis la période postconciliaire, jusqu’à ce que Jean-Paul II avertisse de la détérioration de la vie liturgique, le nombre de catholiques qui croient dans la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie a diminué. Il reste beaucoup de travail en suspens malgré les efforts de Jean-Paul II ou ensuite de Benoît XVI qui a laissé comme l’un de ses grands legs son amour profond pour la liturgie, concrétisé dans la législation par le motu proprio Summorum Pontificum et dans l’Instruction Universæ Ecclesi, de la Commission Pontificale Ecclesia Dei.
Là nous avons une clef pour mener à bien la réforme que prétendait fait le Sacrosanctum Concilium, c'est-à-dire, dans la continuité de la tradition de l’Église. Cette idée de deux formes d’un unique rite romain s’enrichissant mutuellement, j’espère que, avec le temps, peut-être, cela s’accentuera dans une nouvelle révision du rite romain, de façon à ce que la rénovation du Concile atteigne son objectif proposé. Mais pour cela il serait nécessaire d’également récupérer la connaissance du latin, qui en seulement quelques décennies a été presque oublié. Dans le passé le latin aidait les gens à maintenir un sens fort de la tradition. Maintenant il importe de le récupérer.

     

Mise à jour

Monique commente:
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En lisant la très éclairante interview du Cardinal Burke, je pensais à ce que pourra être le synode sur la famille, synode important pour la vie quotidienne des fidèles.
Il se pourrait qu'après des débats houleux, et même des dialogues de sourds (compassion contre doctrine), on assiste à une SCISSION très grave.
Le Pape, qui n'a encore rien fait de difficile et qui a mangé son pain blanc, risque de se trouver devant un dilemme à trancher. Il ne pourra pas simplement, comme un homme politique, entériner ce qui aura été voté par la majorité. Il devra s'engager, risquer sa popularité et même son autorité. Il devra CHOISIR, peut-être dans l'incompréhension et la douleur. Le Pape François serait-il éventuellement capable de supporter la solitude de celui qui est lâché par tout le monde? Je pense un peu à Paul VI avec Humanae Vitae.
Il se pourrait que ce synode laisse des traces, presque un schisme, dans le peuple et le clergé et c'est pourquoi Benoît XVI n'a pas pris ce genre d'initiative.