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Une interviewe de Messori...

sur le site espagnol catolicos-on-line.org. Elle date du 15 février dernier, et reprend plusieurs éléments déjà vus ici, mais elle apporte aussi beaucoup d'éléments inédits et très intéressants. Traduction de Carlota (17/9/2013)

Le site « catolicos-on-line.org » est le portail catholique qui participe au projet d’évangélisation des Franciscains de Marie fondés en 1988 par le Père Santiago Martín né à Madrid en 1954.
(Original ici http://catolicos-on-line.org/).

     

L'héritage de Benoît, c'est l'année de la foi

Messori: La Curie n’a jamais accepté Benoît XVI
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Vittorio Messori, l’écrivain italien le plus traduit dans le monde, a consacré à Lourdes et aux apparitions de la Vierge à Bernadette beaucoup d’années d’études approfondies qui ont trouvé une première synthèse dans « Bernadette ne nous a pas trompés » que publira Libroslibres en octobre prochain, un livre publié récemment par les éditions Mondadori (ndt: Benoit et moi en a largement parlé, il me semble que l’ouvrage n’est toujours pas paru en France). Et il connaît très bien Joseph Ratzinger, le Pape Benoît XVI dont l’amitié est née à l’occasion du livre d’entretien avec celui qui était alors le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Les circonstances qui ont accompagné la publication du livre “Rapport sur la foi”, en 1985 (ndt: date de parution en Espagne et en espagnol de « Rapporto sulla fede » qui date de 1984, - l'édition française a pour titre "Entretiens sur la foi") ont contribué sans aucun doute à créer une relation : « Nous étions encore en pleine contestation ecclésiale, se rappelle Messori, et c’était alors pas du tout facile de se dire « ratzingérien » à l’intérieur de l’Église : autour de lui circulait une légende noire, il était défini comme l’obscur préfet du Saint Office, le persécuteur, le panzercardinal et des choses comme cela. Moi-même j’ai du me cacher, disparaître pendant plus d’un mois, me retirer parce que les prêtres du dialogue, les curés œcuméniques, ceux de la tolérance, voulaient en finir littéralement avec moi : des lettres anonymes, des appels téléphoniques nocturnes. Ma faute n’était pas seulement d’avoir donné la parole au cardinal nazi (ndt évidemment nous mettons les guillemets même s’ils ne sont pas dans le texte traduit), mais en outre de lui avoir donné raison ».

De cette façon, nous avons commencé à nous voir avec assiduité, « souvent nous allions ensemble au restaurant » et nous avons parlé de nombreuses fois, avec laquelle ils partagent une curieuse circonstance, Messori et Ratzinger sont nés un 16 avril, le dies natalis de Bernadette

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- Donc, Messori, le choix du 11 février n’a pas été un hasard dans l’absolu.

- Je dirais que non. Le pourquoi du choix de cette date de sa part a été la première question que moi-même me suis faite, et il m’a semblé qu’il avait pris l’inspiration de son « aimé et vénéré prédécesseur » comme il a toujours appelé Jean-Paul Ii : le 11 février est entré dans le calendrier universel de l’Église à l’époque de Léon XIII, comme fête de Notre Dame de Lourdes, et étant donné le lien qu’a ce sanctuaire avec la maladie physique (1) Jean-Paul l’a déclarée Journée Mondiale de la Maladie. Par conséquent, Benoît XVI prétendait parler de sa maladie.

- Maladie? Le porte-parole du Vatican, le père Lombardi, a exclu que le motif de la renonciation ait été une maladie

- «Senectus ipsa est morbus», disaient les latins: la vieillesse elle-même est une maladie. À ses 86 ans, même s’il n’est pas formellement malade, il existe une maladie liée à l’âge. Le Pape se sent malade parce qu’il est très vieux, de sorte que je crois qu’il a choisi précisément ce jour pour se reconnaître comme un malade parmi les malades. Et aussi pour rendre un hommage et une sorte d’invocation à la Vierge, non pas seulement la Vierge de Lourdes, mais à la Vierge en tant que telle.

- Le Pape a parlé aussi à diverses occasions de Fatima; mais peut-être qu’avec Lourdes il garde une relation particulière.

- De Lourdes nous en avons parlé souvent durant ces 25 ans, et sûrement il a profité du 150ème anniversaire des apparitions pour aller le visiter (septembre 2008). Pour nous faire une idée de ce que suscite Lourdes en lui, il suffit de penser à ce jour et demi où il y était, étaient prévus trois grands discours de sa part. Et bien, en réalité, le Pape a parlé rien moins que quinze fois, d’une manière improvisée et souvent il était plein d’émotions. Et toujours en faisant un appel à la dévotion à Marie et à la figure de Bernadette. Il a été amené à parler de Fatima à l’occasion du fait des circonstances de l’attentat du Pape, mais j’ai l’impression que, instinctivement, sa préférence va vers la clarté cristalline de Lourdes, plus qu’au nœud plus complexe que représente Fatima. Il considère Fatima même trop complexe, il aime la clarté cristalline de Lourdes : là il n’y a pas de secrets, tout est clair.

- Beaucoup de responsables en matière d’opinion ont interprété la renonciation de Ratzinger comme une espèce de reddition devant les difficultés.

- Il existe des redditions qui en réalité sont un signe de force, d’humilité. La liberté catholique est beaucoup plus grande de tout ce que l’on pense. Il existe des tempéraments différents, des histoires diverses, des charismes divers, et tous doivent être respectés parce qu’ils font partie de la sacrosainte liberté du croyant. Dans Jean-Paul II prévalait le côté mystique, c’était un mystique oriental. Alors que dans Ratzinger prévaut la rationalité de l’Occident, de l’homme moderne (ndt sans doute, non pas dans le sens de moderniste mais d’un monde qui n’est plus comme celui des hommes du Moyen Âge où tout était immergé dans la foi, même si bien évidemment la raison n’était pas exclue). Pour cela sont données deux possibilités de choix : le choix mystique, celui du Pape Wojtyla, qui persévère et résiste jusqu’à la fin, ou le choix de la raison, comme Ratzinger : reconnaître que l’on n’a plus les énergies physiques et que l’Église, au contraire, a besoin d’un guide avec de grandes énergies, par conséquent, pour le bien de l’’Église, il est mieux de quitter son poste. Les deux décisions sont évangéliques.

- Le Pape Ratzinger a toujours impressionné par sa grande humilité.

- De fait, sa décision est marquée par une grande humilité, une vertu qui a toujours été évidente en lui. Je me rappelle encore un épisode du lointain 1985 qui m’avait impressionné tout particulièrement après trois jours entiers d’entretien dans la perspective du « Rapport sur la foi », avant de prendre congé, je lui ai dit : « Éminence, avec tout ce que vous m’avait raconté sur la situation de l’Élise (je me répète : c’étaient encore les années de la contestation), permettez-moi une question : Est-ce que vous arrivez à bien dormir la nuit ? » Et lui avec son visage d’éternel gamin et les yeux grand ouverts: “Je dors très bien parce que je suis conscient que l’Église n’est pas la nôtre, c’est celle du Christ, nous ne sommes seulement que des serviteurs inutiles. Moi, pour la nuit je fais mon examen de conscience, si je constate que durant la journée j’ai fait avec de la bonne volonté tout ce que je pouvais faire, je dors tranquille ». Pour Ratzinger c’est très clair que nous ne sommes pas appelés à sauver l’Église mais à la servir, et si tu ne peux pas faire plus, tu la sers d’une autre façon, tu te mets à genoux et tu pries. Le Salut, c’est une question qui concerne le Christ. Aussi il me semble que cette démission se situe sur cette ligne, dans le sens de ne pas se prendre trop au sérieux. Fais jusqu’au bout ton devoir et dès que tu te rends compte que tu n’en peux plus, que les forces ne t’accompagnent plus, alors tu te souviens que l’Église n’est pas la tienne et tu passes le témoin, et tu vas faire un travail pour l’Église qui, dans la perspective de l’Église est le meilleur, le plus précieux : le travail de la prière, le travail de l’offrande à Dieu de ta souffrance. Je le vois comme un acte de grande humilité, de la conscience de ce que sauver l’Église revient à Dieu, nous, pauvres hommes, nous n’avons pas à la sauver, même si tu es le Pape.

- Samedi dernier parlant avec les séminaristes du Séminaire Romain il a dit que, même lorsque l’on pense que l’Église va finir, en réalité, elle est toujours en cours de rénovation. Quelle rénovation a apporté le Pontificat de Benoît XVI?

- On oublie souvent qu’il a dit au début de son pontificat: mon programme est de ne pas avoir de programme, dans le sens de se soumettre aux évènements que la Providence met devant lui. Le grand dessein stratégique consistait dans le fond en cela, simplement confirmer le troupeau dans la foi. Dans ce sens je me suis toujours senti en grande syntonie avec lui, il a toujours été un Pape convaincu de la nécessité de relancer l’apologétique (ndt la défense de la foi), de retrouver les raisons de la foi. Lui aussi était convaincu, comme moi, que ce que les nombreux problèmes nommés graves de l’Église sont en réalité secondaires : les problèmes de l’institution, les problèmes ecclésiaux, l’administration, les propres problèmes moraux et liturgiques sont effectivement très importants, mais autour d’eux il existe une lutte de l’Église qui, cependant, il l’a dit lui-même dans le document de convocation de l’Année de la Foi, donne pour indiscutable la foi, ce qui n’est pas le cas. Qu’avons-nous à nous battre entre nous sur la façon d’organiser mieux les dicastères romains, et également sur les principes non négociables, quelle chose sommes-nous en train de faire en nous battant et en organisant des défenses si nous ne croyons plus que l’Évangile est vérité ? Si nous ne croyons plus en la divinité de Jésus Christ, tout le reste c’est parler dans le vide. Et, de fait, et pas par hasard, son dernier acte a été de convoquer l’Année de la Foi, mais de la foi comprise dans le sens apologétique, essayer de démontrer que le chrétien n’est pas un imbécile, essayer de démontrer que nous ne croyons pas en des fables, essayer de démontrer quelles sont les raisons pour croire. Ses grandes lignes stratégiques consistent seulement en cela : reconfirmer les raisons pour lesquelles l’on peut parier sur la vérité de l’Évangile. Le reste, on l’affrontera jour après jour. Et cela il l’a fait, il l’a fait de la meilleure façon.

- Alors, il serait juste d’affirmer que l’Année de la foi est son véritable héritage.

- Oui, l’Année de la Foi est son héritage, c’est l’héritage que nous devons prendre au sérieux. Dans l’Église, dans la perspective du futur, l’apologétique doit avoir un rôle fondamental, parce, si ce n’est pas la base véritable, tout le reste est absurde. Benoît XVI nous laisse la certitude de ce que nous devons redécouvrir les raisons de croire.

- Si nous parlons d’héritage, nous pensons immédiatement à celui qui pourra le recueillir. C’est vrai que la question nait chez ceux qui partagent cette priorité.

- Nous ne pouvons voler son travail à l’Esprit Saint. Les prévisions de ceux que l’on appelle les experts, quand il s’agit du Conclave, se réalisent par le fait qu’ils sont démentis. Normalement ils ne trouvent jamais. L’impression c’est que l’Esprit Saint s’amuse en se moquant de nous avec des promesses : les grands porte-parole, les grands experts, les grands vaticanistes donnent pour sûr l’un ou l’autre, et ensuite un autre différent est élu. Je me rappelle en 1978, je travaillais à La Stampa, j’étais à la rédaction quand le Pape Luciani a été élu : quand cela a été annoncé il y a eu une grande panique, parce que les grands vaticanistes que nous avions nous avaient demandé d’avoir prêtes quelques biographies, puisque le Pape sortirait, c’était sûr, de l’échantillon de ceux qui pouvaient être papes, et dans le cas contraire, rien ; quand a été élu Luciani, nous nous sommes rendus compte que dans le dossier de La Stampa, nous n’avions même pas une photo. La même histoire s’est répétée deux mois plus tard avec Wojtyla : tout le monde avait prévu celui là ou cet autre, et au contraire, quand ils l’ont annoncé, de nouveau la panique : nous ne savions même pas comme l’on écrivait son nom.

- En pendant à ces années de pontificat, on laisse entrevoir le fait qu’il n’a pas été très « heureux » dans le choix de ses collaborateurs, qu’ils l’ont mis souvent en grandes difficultés.

- Ratzinger a été pendant un quart de siècle préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, mais il a vécu toujours à part, j’ai toujours eu l’impression qu’il était un peu isolé par rapport à la Curie. Il avait un lien très fort avec Wojtyla, il fonctionnait en tandem avec lui, il n’y a eu aucune décision théologique que Wojtyla ait prise sans avoir consulté avant Ratzinger. Mais, j’ai toujours eu l’impression que c’était, je dirais, par sa décision propre, étrangère à la Curie, à ses cercles, à ses jeux, à ses formations. Et je crois, qu’une fois élu Pape, à sa grande surprise, dans le fond il n’avait pas de connaissances suffisantes sur les mécanismes ou les personnes. Après certaines décisions étaient d’une certaine façon obligées, mais sûrement il n’était pas suffisamment au courant de comment étaient les choses.

- On dit que la Curie ne l’a jamais aimé…

- C’est certain que la Curie ne l’a jamais aimé. Wojtyla avait choisi de faire un pontificat itinérant et, de cette façon, il a laissé la Curie aller de l’avant d’une manière autonome, et c’est ainsi que la Curie en a profité, et en plus quelques vieux renards des dicastères se trouvaient à leur aise avec Wojtyla, le Pape était loin, il ne s’occupait pas des affaires du quotidien. Au contraire Ratzinger a peu voyagé (ndt enfin façon de parler, car en faisant une règle de trois entre son temps de pontificat et le nombre de jours en voyage, ce n’est pas mal non plus pour un homme de plus de 80 ans), il voulait savoir, il voulait mettre son nez [dans les affaires]. Du fait qu’il savait peu de choses sur la Curie, il a commencé par s’informer et a commencé à faire des changements, des départs en retraite, des avancements, encore avec sa délicatesse. Et cela n’a pas plu, de sorte que, même comme Pape, il a continué à être isolé.

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Note de Carlota

(1) Vittorio Messori parle de maladie physique car c’est vrai que Lourdes s’est fait connaître pour des guérisons de maladies physiques mais depuis déjà plusieurs décennies les malades mentaux (dit handicapés) qui étaient encore jugés incurables avant les travaux toujours en progrès réalisés notamment par la fondation Jérôme Lejeune, y sont reçus, tous comme les malades psychiques, pour le bien des malades eux-mêmes, que de leurs accompagnants et des accueillants.

(2) Je vois que le 24 septembre prochain, la chaîne française de télévision publique, toujours à la pointe du progrès va diffuser en début de soirée « Ombres sur le Saint-Siège » (2013), un document « inédit » (puisqu’on nous le dit !) d’un certain Mattieu Verboud, avec comme accroche du journal télé : « Un état des lieux et des révélations sur une Église de Rome rongée par l’opacité, la corruption et les scandales ». Et puis au cas où cela ne suffirait pas, en fin de soirée un autre documentaire « Révélations sur la femme de Jésus ». Ils ne pensent qu’à cela !
Faut-il qu’ils aient tant peur de Son Église, pour qu’ils La combattent ainsi, mais c’est vrai que c’est sans danger, surtout à Paris, et pas en Irak, en Égypte, en Syrie, aux Philippines et bien d’autres lieux encore de la planète où l’on tue sans répit des chrétiens. Mais cela ne mérite pas des émissions sur les chaines publiques françaises.