Benoît XVI: le révolutionnaire de la raison
Un hommage à Benoît XVI datant du 11 février, par Samuel Gregg, un chercheur américain, directeur de recherche à l'Institut Acton (3/12/2013)
Le révolutionnaire de la raison
Samuel Gregg
11 février 2013
(original en anglais, ma traduction)
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Depuis que j'ai commencé à écrire sur Joseph Ratzinger à la fin des années 1990, deux qualités sur l'homme m'ont impressionné.
La première était son amour, serein mais d'une clarté cristalline, du Christ comme une personne vivante plutôt que la vague abstraction de théologiens libéraux, souvent athées.
La deuxième était la véritable humilité de Ratzinger.
Intellectuellement, Ratzinger était loin au-dessus des habituels soupçons qui veulent transformer le catholicisme en quelque chose entre la catastrophe par ailleurs connue comme l'Église d'Angleterre, et le triste activisme gauchiste de religieuses vieillissantes restées coincés en 1968. Mais contre les éclats de plus en plus absurdes d'un Hans Kung ou d'un Leonardo Boff, Ratzinger a simplement continué à défendre et à expliquer la rationalité essentielle du christianisme orthodoxe avec une modestie qui fait défaut à ses adversaires.
Ce qui m'amène à ce que je pense que sera le dernier héritage de ce grand Pape. Dans les prochaines semaines, il y aura de nombreux commentaires (ndt: eh bien, pas tant que cela, en fait...) sur ce que ce Pape a réalisé en un temps relativement court. Cela va de ses efforts pour éradiquer ce que Ratzinger appelait autrefois la «saleté» des perversions sexuelles, qui ont infligé de tels dommages au sacerdoce, jusqu'à la réussite de sa main tendue aux frères orthodoxes, ses nominations épiscopales généralement excellentes, es réformes de la liturgie.
Mais nous devons nous rappeler que Benoît XVI est sans doute LE pape le plus intellectuel à avoir occupé la chaire de Pierre depuis des siècles, même plus que son saint prédécesseur, qui n'était certainement pas en reste dans le domaine des idées. Et s'il y a une seule chose qui se démarque dans le pontificat de Benoît, c'est ceci: l'accent "au laser", mis sur la cause profonde de la crise intellectuelle qui explique non seulement comment la culture occidentale actuelle se vautre dans le relativisme facile qui s'expose en "plein écran" dans la vacuité rhétorique du politicien moyen de l'UE, mais aussi le traumatisme qui explique la violence et la rage qui continuent de secouer le monde islamique et que l'Islam semble incapable de résoudre par lui-même.
Et ce problème est un problème de raison.
Comme Benoît l'a précisé dans quatre discours-clés qui méritent d'être relus avec attention - sa fameuse "Conférence de Ratisbonne", en 2006, son discours de 2008 au monde intellectuel français (Bernardins), son discours au Bundestag en 2011, et ses observations au monde de la politique britannique en 2010 à Westminster Hall (cadre, et ce n'est pas un hasard, du procès-pectacle de St Thomas More en 1535) - l'homme, en particulier l'homme occidental, a perdu confiance dans le pouvoir de la raison d'en savoir plus la vérité emirique.
Et quel est le résultat? Les discussions les plus basiques de la politique, ou prononcés dans les milieux universitaires, ne suivent plus les lignes depuis longtemps indiquées par des figures comme Aristote et Thomas d'Aquin. Au contraire, tout est seulement une question de pouvoir, qui est plus fort, et capable d'évoquer le plus haut degré d'humanitarisme sentimental chez des personnes à la recherche de guides dans des sociétés de plus en plus incohérentes.
Dans le monde religieux, la crise de la raison signifie deux choses.
Ou bien Dieu est réduit à l'état d'un ours en peluche câlin incapable de distinguer entre le bien et le mal et qui, comme Benoît l'a écrit, «ne fait rien d'autre que nous auto-affirmer». Ou, à l'inverse, Dieu devient une créature qui nous demande de nous comporter de façon déraisonnable - comme de lancer des camions bourrés d'explosifs contre des églises catholiques au Nigéria, ou d'autres actions innommables dont ceux qui s'occupent de dialogue interrelogieux ne veulent même pas entendre parler.
La majeure partie du monde n'a pas été intéressée par ce qu'a dit constamment Benoît XVI à ce sujet. Pourquoi? Pas parce que c'est un argument difficile à comprendre. Mais plutôt parce que certaines religions considèrent Dieu comme un tendre mais finalement pathétique ours en peluche; ou comme la simple manifestation cruelle de la Pure Volonté. Abandonner ces positions signifierait changer fondamentalement leur nature même de religions.
Dans d'autres cas, embrasser les thèses de Benoît impliquerait un changement dans les modes de vie, ce que beaucoup de gens ne veulent tout simplement pas faire. Mais le devoir d'un pape n'est pas de dire aux gens ce qu'ils veulent entendre. Au contraire, il est de leur enseigner que Jésus est le Christ, qu'il est la Caritas, et aussi le Dieu qui est Logos : la raison divine qui nous aime tellement qu'elle veut nous sauver de notre arrogance, et qu'elle a imprimé sa raison à notre nature même, pour nous aider connaître et choisir librement la vérité et le bien.
Contrairement à ceux que nous considérons aujourd'hui comme de grands hommes, Joseph Ratzinger ne rentrera pas dans le circuit des conférences internationales, ni ne participera à une énième commission de l'ONU privée de sens, ou à un Parlements syncrétiste des Religions, il ne cherchera pas à améliorer sa réputation en écrivant ses mémoires comme Clinton. Au lieu de cela, il vivra probablement ses jours dans un monastère, écrivant, pensant, mais surtout priant Celui qui, comme Benoît XVI le sait, le rappellera à la maison du Père.
Mais, comme un autre Benoît, qui a passé une grande partie de sa vie dans un monastère, réussissant malgré tout à sauver la civilisation occidentale, Joseph Ratzinger sait que, à long terme, le monde a besoin de quelque chose en plus, d'un renouvellement de la raison dans toute sa plénitude. Et cela, c'est la sainteté: la sainteté d'un Thomas More, d'une Thérèse de Lisieux, ou d'un Jean-Paul II, qui nous ont montré cette vision de la bonté sans peur et indestructible qui change vraiment l'histoire. Récemment, Benoît a traité cette question de belle façon, quand il a prononcé ces paroles au cours d'une veillée de prière avec des milliers (??) de jeunes catholiques lors de la Journée mondiale de la Jeunesse à Cologne en 2005:
Les saints sont. . . les vrais réformateurs. . . . Seulement des saints, seulement de Dieu vient la véritable révolution . . . Ce ne sont pas les idéologies qui sauvent le monde, mais seulement se tourner vers le Dieu vivant, notre créateur, le garant de notre liberté, le garant de ce qui est véritablement bon et vrai. La véritable révolution consiste simplement à se tourner sans réserve vers Dieu qui est la mesure de ce qui est juste et qui en même temps est amour éternel.
Et qu'est-ce qui pourrait bien nous sauver sinon l'amour?
