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L'aube d'un Pontificat

Reprise d'un article de Sandro Magister de décembre 2006 (10/11/2013)

L'article part de la recension d'un livre-album de Jeff Israely (cf. Un homme pour une mission ).
Il fait allusion au discours devant la Commission théologique internationale, prononcé par Benoît XVI le 6 octobre 2006 (Silence et contemplation ).

Je l'avais traduit à l'époque en français, mais depuis lors, le site de Sandro Magister est devenu multilingue...
Cela fait vraiment du bien de lire sous la plume d'un observateur autorisé que Benoît XVI, en 2006, n'était pas le vieil homme fatigué dont certains sont en train de bâtir la légende pour l'opposer à François, mais un véritable aimant qui attirait Place Saint-Pierre, par la force de sa prédication, une foule double de son prédécesseur.

     

Habemus Papam: vingt mois après, un portrait.
http://www.chiesa.espressonline.it/dettaglio.jsp?id=103921 , ma traduction
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Benoît XVI ne cherche pas les applaudissements, il ne harangue pas les foules, et pourtant, il est extrêmement populaire. Son secret, il l'a expliqué lui-même: c'est " l'obéissance à la vérité, non à la dictature des opinions communes".

A vingt mois de son élection comme pape, Benoît XVI est désormais devenu un sujet d'étude au niveau mondial.
Un indice qui le confirme est le portrait en paroles et en images qu'en retrace le livre "Benoît XVI, l'aube d'un pontificat" (Benedetto XVI, l’alba di un nuovo papato) sorti ces jours-ci simultanèment en italien et en anglais (et aussi en allemand...).... dont les auteurs sont le grand photographe italien Gianni Giansanti, et le rédacteur en chef de l'antenne romaine du Time, Jeff Israely.

Voici entre autres ce qu'écrit Israely:
"Les gestes de son prédecesseur ont impressioné le monde. Benoît XVI, au contraire se fait remarquer par la force de sa prose. Mais ses paroles ne sont pas un simple exercice intellectuel: elles sont l'expression de sa foi et de son humanité. Le messager rend visible le message".
C'est le même jugement qu'on a pu lire dans l'Espresso, dans un portrait de Papa Joseph Ratzinger publié à la veille de son voyage en Turquie:
"Jean-Paul II dominait la scène. Benoît XVI offre à la foule sa parole nue. Mais il s'emploie à focaliser l'attention sur quelque chose qui se situe au-delà de sa personne".
Il faudrait dire bien davantage pour 'cueillir' le profil unique de ce pape.
Voici le portrait de Benoît XVI publié dans l'Espresso du 30 novembre 2006:

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Benoît XVI, un pape armé de "chasteté"
par Sandro Magister

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Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Benoît XVI est le pape le plus populaire de l'histoire, si, par peuple, on entend celui qu'il attire comme un aimant Place Saint-Pierre, chaque dimanche à l'Angelus, et chaque mercredi à l'audience générale, venant de Rome et du monde entier.
Les présences sont systématiquement plus du double de ce qu'elles étaient pour son prédecesseur Jean-Paul II, qui, à son tour, avait pulvérisé tous les records (ndr: il faut admettre que ce genre de comparaison est contestable, car depuis les dernières décennies, les déplacements de population ont eux aussi explosé...et Internet n'existait pas, qui nous rend le Saint-Père si proche). Mais ce qui étonne le plus, c'est le lien étroit entre l'offre et la demande. Le "produit à succès" que Benoît offre à la foule, c'est sa parole nue...

A l'Angelus, deux fois sur trois, Papa Joseph Ratzinger explique l'Evangile de la messe de ce dimanche à un auditoire qui ne va pas toujours à la messe. Il l'explique avec des mots simples, mais qui exigent de l'attention, et qui l'obtiennent. Tandis qu'il parle, le silence, Place Saint-Pierre, est impressionnant. Et au terme de sa très brève homélie, il enchaîne instantanément avec la prière de l'Angelus. C'est sa manière à lui, et qui marche, de ne pas faire éclater les applaudissements. Ceux-ci viendront, mais seulement à la fin, lors des salutations dans les différentes langues..

En tant que Pape, Benoît XVI ne concède rien aux clichés dont on l'avait affublé comme cardinal. Il ne "fulmine" nulle condamnation, il ne lance pas d'anathèmes. Il raisonne de façon inflexible, mais mesurée. Ses critiques de la modernité, et des "pathologies" qu'il rencontre jusque dans l'Eglise, sont argumentées. C'est aussi pour cela qu'il a rendu muet les progressistes catholiques: non pas parce qu'ils seraient devenus ses amis, mais parce qu'ils ne parviennent pas à lui opposer des arguments aussi persuasifs.
Benoît XVI ne donne nullement l'impression d'être écrasé par la comparaison avec son prédécesseur. Il ne l'imite en rien. Jean-Paul II marchait d'un pas solennel. Papa Ratzinger, à pas pressés, va droit au but. Jean-Paul II dominait la scène. Benoît XVI cherche à détourner l'attention vers quelque chose qui est au-delà de sa personne.

Mémorable reste la veillée nocturne avec le million de jeunes accourus en Allemagne, en Août 2005, première grande épreuve médiatique affrontée par le nouveau pape. Pendant d'interminables minutes, Benoît XVI reste silencieux, à genoux, devant l'hostie consacrée posée sur l'autel. Cela ne dérange pas les jeunes. Mais les preneurs d'images et les chroniqueurs de télévision sont mal à l'aise, ils ne savent plus quoi dire ou quoi faire pour remplir ce "vide" avec lequel le Pape a bouleversé la kermesse attendue.

C'est le premier pape théologien dans l'histoire de l'Eglise. Mais il sait aussi enseigner la théologie aux simples. Même aux enfants. Un des modes de communication de son invention est l'intervention au débotté, sur le mode des questions-réponses, avec les auditoires les plus variés. Il l'a fait avec des dizaines de milliers d'enfants de la première communion, âge moyen 9-10 ans, réunis Place Saint-Pierre (ndr: 19 octobre 2005). Un des enfants lui demande: "Ma cathéchiste m'a dit que Jésus est présent dans l'eucharistie. Mais comment? Je ne le vois pas!". Réponse: "Oui, nous ne le voyons pas, mais il y a tant de choses que nous ne voyons pas, mais qui existent et qui sont essentielles. Par exemple, nous ne voyons pas notre raison. Et pourtant, nous avons une raison".

Avec la raison , Benoît XVI a entamé une partie audacieuse. C'est sur le rapport entre la raison et la foi, qu'il a axé son discours, devenu le plus fameux et le plus contestée de cette première année et demi de pontificat: la "lectio magistralis" tenue par lui à l'Université de Ratisbonne, le 12 septembre 2006.
Il n'est pas hasardeux de dire que Ratzinger est un pape "illuministe", c'est lui-même qui l'a déclaré, en cette époque où la raison trouve peu de défenseurs. Ceux qui s'attendaient à trouver dans l'ex-chef du Saint-Office un chevalier garant du dogme sont servis. Pour lui, ce n'est pas seulement Jérusalem, mais aussi l'Athène des philosophes grecs, qui sont à l'origine de la foi chrétienne.

Benoît XVI ne craint pas de soumettre à des critiques sévères les religions, et en premier lieu la religion chrétienne, justement au nom de la raison. Entre la raison et la religion, il veut voir s'établir un rapport mutuel de contrôle et de purification. Les deux tiers de sa leçon de Ratisbonne étaient consacrés à la critique des phases où le christianisme s'est détttaché de ses fondements rationnels.
Et il a proposé à l'islam de faire pareil: qu'il entremêle la foi et la raison, unique moyen de le séparer de la violence. Trente huit penseurs musulmans de nombreux pays et de différents courants, lui ont répondu par une lettre ouverte qui, à elle seule, a davantage de prix que mille dialogues protocolaires. Donnant en partie raison à SES raisons.

La leçon de Ratisbonne n'est pas le seul texte que Benoît XVI ait écrit de sa main, sans consulter d'experts qui l'auraient probablement expurgé. Il en est de même du discours sur la shoah, prononcé à Auschwitz, entièrement de lui. Ce discours aussi a été l'objet de contestations et de polémiques, tant politiques que théologiques, de la part de juifs, de laïcs et de religieux. Comme pape, Ratzinger agit souvent avec une imprudence que nul n'aurait pu soupçonner chez lui.

Et le pourquoi de ses propos "opportuns et importuns", il l'a lui-même expliqué le 6 octobre dernier, dans une homélie prononcée devant trente théologiens de la commission théologique internationale ( Silence et contemplation ):

" ... il me vient à l'esprit une très belle parole de la Première Lettre de saint Pierre, dans le premier chapitre, verset 22. En latin, elle dit ceci: "Castificantes animas nostras in oboedentia veritatis". L'obéissance à la vérité doit "rendre chaste" notre âme, et conduire ainsi à la parole juste et à l'action juste. En d'autres termes, parler pour susciter les applaudissements, parler en fonction de ce que les hommes veulent entendre, parler en obéissant à la dictature des opinions communes, cela est considéré comme une sorte de prostitution de la parole et de l'âme.
La "chasteté" à laquelle fait allusion l'Apôtre Pierre est de ne pas se soumettre à ces règles, ne pas rechercher les applaudissements, mais rechercher l'obéissance à la vérité. Telle est, selon moi, la vertu fondamentale du théologien, cette discipline quelquefois difficile de l'obéissance à la vérité qui fait de nous des collaborateurs de la vérité, bouche de la vérité, parce que nous ne parlons pas nous-mêmes dans ce fleuve de paroles d'aujourd'hui, mais réellement purifiés et rendus chastes par l'obéissance à la vérité, pour que la vérité parle en nous. Et nous pouvons vraiment être ainsi des porteurs de la vérité.
"

Benoît XVI est ainsi: il se sent tellement revêtu de cette armure de "chasteté" qu'il ne craint pas d'être contaminé. Certains ont trouvé scandaleux qu'il ait reçu en audience privée à Castelgandolfo la belliqueuse Oriana Fallaci. Mais un an plus tard, il a reçu aussi Henry Kissinger, le plus réaliste des zélateurs de la RealPolitik. Le prince des théologiens anti-romains, Hans Küng, a été aussi l'un de ses hôtes inattendus.
Benoît XVI n'est pas l'homme qu'une contestation, une satire, une fatwa, puisse faire reculer.