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L'AVENT : Un souvenir qui réveille l'espérance

Une merveilleuse méditation du cardinal Ratzinger dans le livre récemment cité "La gloire de Dieu aujourd'hui" (4/12/2013)

     

Un souvenir qui réveille l'espérance

Dans un conte de Noël, l'écrivain anglais Charles Dickens raconte l'histoire d'un homme dont la mémoire du cœur disparait. Cela signifie concrètement que l'écheveau de sentiments et de pensées qui se constitue en tout homme au contact de la souffrance lui est amputé. L'amour effacé de sa mémoire devrait lui permettre d'être soulagé du passé; or il apparait très vite que c'est tout l'individu qui s'en trouve changé. La confrontation à la souffrance ne réveille plus aucun souvenir de bonté en lui. La disparition de la mémoire a pour effet de tarir en lui la source de toute bonté. Devenu froid, il ne peut plus répandre autour de lui que froideur.

Goethe relate la reprise des festivités autour de saint Roch, interrompues tout au long des guerres napoléoniennes, en faisant référence à la même idée. Il observe la procession des gens qui se pressent dans l'église et qui passent devant l'image du saint. En s'attardant plus particulièrement sur leurs visages, il note que celui des enfants rayonne autant que ceux des adultes : ils reflètent la joie de ce jour sacré. En revanche, Goethe remarque que le visage des jeunes gens n'exprime pas la même chose. Ils passent leur chemin en affichant indifférence et ennui. Il en conclut que, nés à une époque sombre, ces jeunes gens n'avaient aucun bon souvenir et n'avaient par conséquent rien à espérer. C'est donc que seul celui qui se souvient peut espérer. Celui qui n'a jamais fait l'expérience du bien et de la bonté ne sait rien à leur sujet.

Un autre témoignage concordant est celui d'un directeur spirituel consulté par de nombreuses personnes au bord du désespoir. Il parlait de son expérience en ces termes : s'il parvenait à susciter chez la personne désespérée le souvenir d'une expérience positive, cette personne pouvait à nouveau croire dans le bien et réapprendre à espérer. Elle pouvait alors sortir de son désespoir. Le souvenir et l'espoir sont inséparablement liés. Empoisonner la mémoire revient à retirer l'espoir et à détruire les fondements psychiques de ce dernier.

C'est comme si parfois l'histoire de Dickens renvoyait à mes propres expériences. L'homme chez qui la mémoire du cœur a été effacée, l'homme auquel on subtilisait ainsi tout espoir, n'est-il pas de cette génération, victime des promesses illusoires de la pédagogie de la libération? D'où peut bien provenir le pessimisme que l'on observe dans une partie des jeunes générations ? La mémoire de la présence du bien en l'homme qui lui permettrait d'espérer ne lui fait-elle pas défaut au beau milieu de la surabondance matérielle ? N'avons-nous pas tout simplement foulé au pied la racine de l'espoir en affichant de mépriser les sentiments et en ironisant sur le fait d'éprouver de la joie ?

Ces réflexions nous mènent directement à la signification du temps de l'Avent.
Car justement l'Avent renvoie au lien entre la mémoire et l'espoir si vital pour l'homme. L'Avent veut réveiller en nous la mémoire la plus authentique et la plus profonde du cœur, la mémoire de ce Dieu qui s'est fait enfant. Cette mémoire guérit, elle est porteuse d'espérance. Tout au long de l'année liturgique, il s'agit d'arpenter sans cesse la grande histoire des souvenirs, de réveiller la mémoire du cœur et d'apprendre ainsi à voir l'étoile de l'espérance. Toutes les fêtes de l'année liturgique sont des événements de la mémoire et donc des événements de l'espérance. Les temps forts de la mémoire de l'humanité qui rythment l'année liturgique doivent renvoyer aux souvenirs personnels de l'histoire de chaque individu. Pour constituer ce lien entre la mémoire collective et la sienne propre chacun de nous peut puiser dans la liturgie et les coutumes liées aux moments sacrés de l'année. Les souvenirs personnels se nourrissent des temps forts de là mémoire de l'humanité et ces derniers ne sont préservés que par leur transposition dans la sphère de la vie personnelle. La foi des hommes demande qu'il leur soit donné d'apprivoiser la foi sur leur chemin de vie et d'entrevoir l'humanité de Dieu à travers l'humanité de certains hommes. Lequel d'entre nous tous ne pourrait raconter ici sa propre histoire et ce que ses souvenirs de fêtes comme Noël ou Pâques lèvent en lui?
Tout l'intérêt du temps de l'Avent réside dans le fait de pouvoir s'offrir mutuellement des souvenirs du bien donné ou reçu afin d'ouvrir des portes d'espérance.

     

Ce livre contient deux autres méditations sur le temps de l'Avent, que je ne peux pas reproduire ici.
Je renvoie mes lecteurs, pour leur lecture, à La goire de Dieu aujourd'hui , publié aux éditions Parole et silence. Plus qu'un livre de chevet, un manuel de survie spirituelle.