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Le cimetière comme lieu d'espérance

Méditation sur la Toussaint, par le cardinal Ratzinger [*] (1er/11/2013)

>>> Illustration ci-contre: Il campo santo teutonico, au Vatican (cf. fr.wikipedia.org)

     

Aux pieds de la cathédrale Saint-Pierre

La place du Campo santo teutonico, le cimetière allemand de Rome, faisait jadis partie du cirque de Néron qui allait jusqu'à l'actuelle place Saint-Pierre. C'est là que le premier martyr est mort pour le Christ. Néron faisait de la mort un spectacle en faisant par exemple brûler certaines de ses victimes comme des torches vivantes ou en jetant les autres, placées à l'intérieur de peaux d'animaux recousues, à des chiens sauvages qui les déchiquetaient. Tout près de cet endroit se trouve aussi le cimetière où est enterré Pierre et dont on peut à présent visiter la plus grande partie. L'endroit où Néron mettait en scène son macabre jeu de mort est devenu un lieu sacré pour les chrétiens. Le tyran finit par se suicider et l'empire romain prétendu indestructible est lui aussi allé vers son déclin. La foi des martyrs, la foi de Pierre survécut au tyran et à l'empire romain. Cette foi s'apparentait à ces forces qui permettent de reconstruire un monde nouveau après la disparition d'une civilisation.

Autour de l'an 800, les Francs qui dominaient alors l'Europe occidentale y ont construit un cimetière où ils enterraient leurs pèlerins qui se rendaient à Rome.
Il est finalement devenu le cimetière allemand de Rome.
Il n'est guère difficile de deviner à quoi pensaient les Francs: la tombe de Pierre n'était pas une tombe comme les autres. Elle témoigne du pouvoir de Jésus capable de triompher de la mort. Le symbole de l'espérance est plus fort que la mort: se faire enterrer ici, c'est avoir cette espérance et la foi victorieuse de Pierre et des martyrs chevillée au corps. La tombe de Pierre évoque, comme n'importe quelle tombe, le caractère inéluctable de la mort mais elle renvoie surtout à la résurrection. Elle nous dit que Dieu est plus fort que la mort. On voulait être à proximité de Pierre, pouvoir prier à côté des martyrs pour être en bonne compagnie dans la mort et la résurrection. On voulait rejoindre les saints et profiter du pouvoir de salut de Jésus-Christ. La communion des saints englobe la vie et la mort: c'est à elle qu'on se raccroche dans la mort pour ne pas tomber dans le néant, et être emmenés par eux vers la vraie vie, être en leur compagnie, ne pas être seul devant le juge et pouvoir être auprès d'eux au moment de l'heure cruciale du jugement.
Le cimetière est un lieu de deuil évoquant la fragilité de l'existence. Il est devenu un lieu d'espérance. Se faire enterrer ici c'est dire : « Je crois en Toi, Jésus-Christ le Ressuscité. » Je m'accroche à toi. Je ne viens pas seulement dans la solitude mortelle de celui qui ne savait pas aimer, je viens dans la communion des saints qui ne me laisse pas seul dans la mort. Cette transformation d'un lieu de deuil en lieu d'espérance est perceptible dans l'apparence extérieure de ce cimetière, comme des cimetières chrétiens en général: il est décoré de fleurs et d'arbres qui symbolisent l'amour et le lien qui nous unit à Lui. C'est comme un jardin, un petit paradis de paix dans un monde sans paix, un symbole de renouveau.

Le cimetière comme lieu d'espérance. Mais il convient d'ajouter que l'espérance ne suffit pas pour éliminer le deuil.
La foi est humaine, et elle est sincère si elle nous offre un autre horizon, un regard de réconfort vers la vie éternelle, elle nous laisse aussi à l'endroit où nous sommes. Inutile de refouler le deuil, acceptons-le et grâce à ce regard vers demain, ce deuil se transforme lentement et nous purifie, il nous rend plus lucides. Le fait qu'on ait jadis renoncé à l'Alléluia dans la liturgie de la messe des morts et accordé au deuil toute sa place partait d'un souci très humain. Nous ne pouvons pas faire abstraction du moment présent dans nos vies. C'est seulement en acceptant le deuil que nous pouvons apprendre à découvrir l'espérance dans les ténèbres.

Il est aisé de déchiffrer ce qui s'exprime dans l'église qui fait partie du cimetière : elle est dédiée à la Mère de Dieu dans sa souffrance, Madonna della Pietà en italien. Qui a pu, mieux que Marie, croire en la résurrection? Qui mieux qu'elle a pu être dans l'espérance? Mais malgré sa foi en la résurrection elle souffre, la mort de son fils lui fait mal, l'instant du vendredi saint est indiciblement sombre. Elle souffre de son amour. Débordante d'amour, elle est toute entière compassion.
Sur le grand autel de l'église, Marie est représentée penchée au-dessus du corps de son fils porté par deux hommes. Son visage exprime le deuil mais aussi la bonté. Sa douleur vient de sa bonté et elle est dépourvue de toute amertume, de toute volonté d'accuser. Cette image nous réconforte, elle nous apprend que le deuil et la douleur acceptée, purifient et font mûrir. La souffrance nous aide à mieux mettre les choses en perspective dans la vie. Elle nous apprend à nous tourner toujours davantage vers l'éternel. Elle nous apprend à aimer et à partager la souffrance de ceux qui la subissent.
Le message de ce cimetière revêt donc différents aspects. Il renvoie à la mort ainsi qu'à la vie éternelle. Il nous parle en particulier aussi de notre vie actuelle, de notre quotidien. Il nous encourage à réfléchir à la fragilité de la vie mais aussi à sa dimension définitive. Il nous invite à ne pas perdre la mesure des choses et à ne pas perdre de vue l'objectif. Ce qui compte ce n'est pas ce que nous avons mais ce que nous sommes face à Dieu et pour les hommes. Voilà cela qui compte. Le cimetière nous invite à vivre de manière à ne pas tomber en dehors de la communion des saints. Il nous invite à chercher ce qu'il peut y avoir dans la mort et l'éternité et à vivre dans cette perspective.

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[*] La gloire de Dieu aujourd'hui, Pages 189-192