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Le premier discours au chateau de Prague

le 26 septembre 2009, aux autorités politiques et au corps diplomatique (30/9/2013)

C'est en cherchant l'autre discours, celui devant les universitaires et le monde de la culture (cf. Benoît XVI parle au monde de la culture), que je me suis souvenue de celui-là.
J'aurais voulu lui donner un titre claquant (ç'aurait pu être "Hommage à la culture européenne", "Racines chrétiennes", ou bien '"La vraie liberté", ou bien encore "L'Europe est une maison", mais chacun de ces titres est trop réducteur devant la variété des thèmes abordés.
Je l'avais traduit, à l'époque, et j'avais retenu particulièrement ce splendide passage:

L'éblouissante beauté de ses églises, château, places et ponts ne peut que guider nos esprits vers Dieu. Leur beauté exprime la foi. Ce sont des manifestations (épiphanies) de Dieu qui nous permettent de considérer les merveilles auxquelles nous, créatures, pouvons aspirer lorsque nous permettons à la dimension esthétique et cognitive la plus profonde de notre être de s'exprimer. Comme ce serait tragique si on admirait ces exemples de la beauté, en ignorant le mystère transcendant qu'ils indiquent.

     

Excellences ,
Mesdames et Messieurs,

Je suis reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée de rencontrer dans ce cadre extraordinaire, les autorités politiques et civiles de la République tchèque et les membres de la communauté diplomatique. Je remercie vivement Monsieur le président Klaus pour les aimables paroles de bienvenue qu'il m'a adressées en votre nom. Je voudrais également exprimer ma gratitude à l'Orchestre philharmonique tchèque pour une exécution musicale qui a ouvert notre rencontre, exprimant avec éloquence tant les racines de la culture tchèque que l'importante contribution de cette nation à la culture européenne.

Ma visite pastorale en République tchèque coïncide avec le vingtième anniversaire de la chute des régimes totalitaires en Europe centrale et orientale, et la "Révolution de velours" qui a rétabli la démocratie dans cette nation.
L'euphorie qui a suivi a été exprimée en termes de liberté.
Deux décennies après les profonds changements politiques qui ont transformé ce continent, le processus de redressement et de reconstruction se poursuit, aujourd'hui dans le contexte plus large de l'unification européenne et d'un monde toujours plus globalisé. Les aspirations des citoyens et les attentes envers les gouvernements réclamaient de nouveaux modèles dans la vie publique, et dans la solidarité entre les nations et les peuples, sans lesquelles l'avenir de justice, de paix et de prospérité, tant attendu, serait resté sans réponse. Ces désirs continuent à évoluer.
Aujourd'hui, surtout parmi les jeunes, émerge de nouveau la question sur la nature de la liberté conquise. Dans quel but vit-on en liberté? Quelles sont ses vraies caractéristiques distinctives ?

Chaque génération a le devoir de s'engager à nouveau dans la difficile recherche d'ordonner correctement les réalités humaines, s'efforçant de comprendre le bon usage de la liberté (cf. Spe salvi, n. 25).
Le devoir de renforcer les "structures de liberté" est essentiel, mais il n'est jamais suffisant: les aspirations humaines s'élèvent au-delà de soi-même, au-delà de ce qu'un pouvoir politique ou économique quelconque pourrait offrir, vers cette espérance lumineuse (ibid, 35), qui prend sa source au-delà de nous-mêmes et pourtant se manifeste en nous-mêmes comme vérité, beauté et bonté.
La liberté cherche un but, et exige par conséquent une conviction.
La véritable liberté implique la recherche de la vérité - du vrai bien - et trouve ainsi son accomplissement dans la connaissance et l'accomplissement de ce qui justement est droit et juste. La vérité, en d'autres termes, est "la norma guida" (?) pour la liberté, et la bonté en est la perfection.
Aristote définit le bien comme "ce à quoi toutes choses tendent", et en arriva à suggérer que " s'il est digne de l'atteindre même par un un seul homme, cependant, il est plus beau et plus divin de l'atteindre par une nation ou tout un peuple " (Etica Nicomachea, 1; cf Caritas in veritate, 2). En effet, la grande responsabilité de garder éveillée la sensibilité pour le vrai et le bien retombe sur tous ceux qui exercent un rôle de guide: dans les domaines religieux, politique ou culturel, chacun selon sa manière. Ensemble, nous devons nous engager dans la lutte pour la liberté et la quête de vérité: ou bien les deux vont ensemble, main dans la main, ou bien elles périssent misérablement (cf. Fides et Ratio, 90).

Pour les chrétiens, la vérité a un nom: Dieu, et le bien a un visage: c'est Jésus-Christ.
La foi chrétienne depuis l'époque de Saints Cyril et Méthode, et des premiers missionnaires, a eu en effet un rôle décisif dans la formation du patrimoine spirituel et culturel de ce pays. Il doit en être de même dans le présent et dans l'avenir. Le riche patrimoine des valeurs spirituelles et culturelles, qui s'expriment l'une à travers l'autre, a non seulement façonné l'identité de cette nation, mais l'a également dotée de la perspective nécessaire pour exercer un rôle de cohésion au cœur de l'Europe. Pendant des siècles, cette terre a été un carrefour de peuples, de traditions et de cultures. Comme nous le savons, elle a connu des chapitres douloureux et porte les cicatrices d'événements tragiques causés par l'incompréhension, la guerre et la persécution. Et pourtant, il est vrai aussi que ses racines chrétiennes ont favorisé la croissance d'un esprit considérable de pardon, de réconciliation et de coopération, qui a rendu la population de ces terres en mesure de recouvrer leur liberté et d'inaugurer une nouvelle ère, une nouvelle synthèse, une espérance renouvelée. N'est-ce pas de cet esprit que l'Europe a besoin d'aujourd'hui?

L'Europe est plus d'un continent. Il s'agit d'une maison!
Et la liberté trouve sa signification la plus profonde justement par le fait d'être une patrie spirituelle. Tout en respectant pleinement la distinction entre la sphère politique et religieuse - une distinction qui garantit la liberté des citoyens d'exprimer leurs convictions religieuses et de vivre en harmonie avec elle - je tiens à souligner le rôle irremplaçable du christianisme dans la formation de la conscience de toutes les générations et pour la promotion d'un consensus éthique fondamental, au service de chaque personne qui appelle ce continent "maison"!

Dans cet esprit, je donne acte à la voix de ceux qui, aujourd'hui, dans ce pays et en Europe, cherchent à appliquer leur foi, de façon respectueuse, mais déterminée, dans l'arène publique, dans l'attente que les normes sociales et politiques soient inspirés par le désir de vivre dans la vérité qui libère chaque homme et chaque femme (cf. Caritas in veritate, 9).

La fidélité envers les personnes que vous servez et représentez exige la fidélité à la vérité, qui seule est garante de la liberté et du développement humain intégral (cf. ibid., 9). En effet, le courage de présenter clairement la vérité est un service destiné à tous les membres de la société; il nous éclaire sur le chemin du progrès humain, il en indique les fondements éthiques et moraux et garantit que les directives politiques s'inspirent du trésor de la sagesse humaine. L'accent mis sur la vérité universelle ne devrait jamais être éclipsé par des intérêts privés, pour importants qu'ils puissent être, car cela ne ferait que conduire à de nouveaux cas de fragmentation sociale, ou de discrimination, que justement ces intérêt ou groupes de pression disent qu'ils veulent surmonter. En fait, la recherche de la vérité, loin de menacer la tolérance des différences et le pluralisme culturel, rend le consensus possible et permet au débat public de rester logique, honnête et responsable, en assurant l'unité que la notion vague d'intégration n'est tout simplement pas en mesure de réaliser.

J'ai confiance qu'à la lumière de la tradition de l'église sur la dimension matérielle, intellectuelle et spirituelle des œuvres de charité, les membres de la communauté catholique, avec ceux des autres églises, communautés ecclésiales et religions, continueront à poursuivre, dans ce pays et ailleurs, les objectifs de développement qui possèdent une valeur plus humaine et humanisante (cf. ibid., 9).

Chers amis, notre présence dans cette grande capitale, souvent appelée «le cœur de l'Europe», nous encourage à nous demander en quoi consiste ce «cœur».
C'est vrai qu'il n'y a pas de réponse facile à cette question, mais un indice en est sûrement les joyaux architecturaux qui ornent cette ville.
L'éblouissante beauté de ses églises, château, places et ponts ne peut que guider nos esprits vers Dieu. Leur beauté exprime la foi. Ce sont des manifestations (épiphanies) de Dieu qui nous permettent de considérer les merveilles auxquelles nous, créatures, pouvons aspirer lorsque nous permettons à la dimension esthétique et cognitive la plus profonde de notre être de s'exprimer. Comme ce serait tragique si on admirait ces exemples de la beauté, en ignorant le mystère transcendant qu'ils indiquent. La rencontre créative de la tradition classique et de l'Evangile a donné vie à une vision de l'homme et de la société sensibles à la présence de Dieu parmi nous. Cette vision, en façonnant le patrimoine culturel de ce continent, a clairement souligné que la raison ne finit pas avec ce que l'œil voit, mais plutôt qu'elle est attirée par ce qui se trouve au-delà, ce à quoi nous aspirons profondément: l'Esprit, pourrait-on dire, de la création.


Dans le contexte de l'actuel carrefour de civilisation, si souvent marqué par une division inquiètante de l'unité entre bonté, vérité et beauté, et donc la difficulté à trouver un consensus sur des valeurs communes, chaque effort pour le progrès humain doit être fondé sur cet héritage vivant. L'Europe, fidèle à ses racines chrétiennes, a une vocation particulière à soutenir cette vision transcendante, dans ses efforts pour servir le bien commun des individus, des communautés et des nations.
D'une importance particulière est la tâche urgente d'encourager les jeunes Européens à travers une formation qui respecte et alimente la capacité, qui leur a été donnée par Dieu, de transcender ces limites dont on a parfois l'impression qu'elles vont les pièger. Dans les sports, les arts créatifs et la recherche universitaire, les jeunes trouvent volontiers l'occasion d'exceller. N'est-il pas vrai que, s'ils sont confrontés à des idéaux élevés, ils aspirent aussi à la vertu morale et une vie fondée sur l'amour et la bonté? J'encourage vivement les parents et les dirigeants de communautés, qu'ils attendent des autorités la promotion de valeurs capables d'intégrer la dimension intellectuelle, humaine et spirituelle dans une formation solide, digne des aspirations de notre jeunesse.
"Veritas vincit". Telle est la devise du drapeau du Président de la République tchèque; à la fin, vraiment, la vérité gagne, non par la force mais par la persuasion, le témoignage héroïque d'hommes et de femmes aux solides principes, au dialogue sincère, qui sait regarder au-delà de l'intérêt, pour les besoins du bien commun. La soif de vérité, de bonté, de beauté, gravée dans tous les hommes et les femmes par le Créateur, est d'amener les gens tous ensemble dans la poursuite de la justice, la liberté et la paix.
L'histoire a amplement démontré que la vérité ne peut être trahie et manipulée au service de fausses idéologies d'oppression et d'injustice. Toutefois, les défis auxquels est confrontée la famille humaine ne nous appellent-ils pas à regarder au-delà de ces dangers?
En fin de compte, qu'y a t'il de plus inhumain et de plus destructeur que le cynisme qui voudrait nier la grandeur de notre recherche de la vérité, et le relativisme, qui corrode les valeurs mêmes qui soutiennent la construction d'un monde uni et fraternel? Nous, au contraire, nous devons reprendre confiance dans la noblesse et la grandeur de l'esprit humain, pour sa capacité à atteindre la vérité, et laisser cette confiance nous guider dans le travail patient de la politique et la diplomatie.


Mesdames et Messieurs, avec ces sentiment, j'exprime dans la prière l'espoir que votre service soit inspiré et guidé par la lumière de cette vérité qui est le reflet de la sagesse éternelle du Dieu le Créateur. Sur vous et sur vos familles, j'invoque une abondance de bénédictions.