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Un homme pour une mission

Reprise: un portrait de Benoît XVI par Jeff Israély qui fut le correspondant de Time Magazine à Rome (8/11/2013)

Européen de l'Année

En 2005, Time Magazine élisait Benoît XVI "européen de l'année".

     

Un homme pour une mission.

Après huit mois de travail, le Pape Benoît XVI a inventé une forme de charisme qui lui est propre.
Jeff Israeli (ma traduction)
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L'homme qui devait devenir Benoît XVI a commencé l'année derrière un bureau. Le cardinal Joseph Ratzinger avait longtemps été salué par les conservateurs comme l'artisan de la politique doctrinale de Jean-Paul II, et calomnié par les progressistes comme le « panzerKardinal » qui défendait l'orthodoxie de la doctrine catholique avec l'impénétrabilité d'un tank.

Pourtant, le quotidien de Ratzinger était celui d'un bureaucrate (???) haut-placé de la hiérarchie catholique. Travailler en équipe pendant 23 ans dans les instances dirigeantes de l'Eglise, signifiait surtout étudier et sauvegarder l'Evangile, plus que la prêcher.

Le 31 mars, Ratzinger était à son bureau du Vatican quand la sonnerie du téléphone lui apporta de mauvaises nouvelles. Le long et courageux combat de Jean-Paul II contre la maladie approchait de son terme, et, en tant que Doyen du Sacré-Collège, il revenait à Ratzinger d'informer ses frères cardinaux quand le Pape serait mort.

Ratzinger se hâta, et fut conduit dans une Mercédès noire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, par le chemin à une voie derrière la Basilique Saint-Pierre, vers l'ascenseur qui le mènerait vers les appartements privés du Pape.

Il était près de minuit quand le cardinal arriva au chevet du Saint-Père. L'état de Jean Paul avait empiré le matin même. L'infection de la gorge qui l'avait déjà envoyé deux fois à l'hôpital Gemelli, avait commencé à se répandre dans son corps. Indépendamment de sa position à la Curie, Ratzinger était l'un des plus proches et des plus chers amis du Pape, et les familiers du Vatican avaient spéculé sur le contenu de l'entretien entre les deux hommes. Selon certaines sources vaticanes, on peut vraiment penser que le Pape prophétisa à Ratzinger que l'allemand serait son successeur. Quelle que fut l'issue de cette conversation, l'Administrateur de l'Eglise fut finalement choisi trois semaines plus tard par ses frères cardinaux pour succéder à Jean-Paul II.

Le nouveau Pape s'est engagé sur la scène mondiale avec élégance et chaleur, et ce sont ces qualités qui nous ont conduits à le choisir comme "Européen de l'année".

Un homme souvent décrit comme méthodique et contemplatif, - et même franchement timide - a créé un charisme à sa manière, qui défie notre société du "paraître" du "faire-savoir" et du "m'as-tu-vu".


A 78 ans, Benoît est l'archétype du croyant de longue date, serein, et qui soudain voit arriver son tour pour s'exprimer, une âme d'expérience redevenue juvénile, et étonnamment bien équipée pour faire face à sa mission.

Le père Joseph Fassio, qui connaît le Pape depuis les années 70, dit que son ancien professeur "semble actuellement en meilleure forme, plus jeune, plus rayonnant, plus en paix", depuis qu'il est monté sur le trône pontifical.

En fait, la contenance sereine de Ratzinger donne une idée fausse de son âme énergique. Le nouveau Pape est l'homme d'une mission, déterminé à réaffirmer l'orthodoxie catholique face aux défis de la modernité, et à faire une fois de plus de l'Eglise le point central de l'identité européenne, une entité géographique autrefois liée au royaume du Christ, mais aujourd'hui sécularisée. L'image de Ratzinger peut sembler plus douce que ce que beaucoup attendaient, mais ses convictions n'ont pas changé. Il a rendu évident que les enseignements traditionnels de l'Eglise Catholique sur l'avortement, l'accès des femmes à la prêtrise et l'homosexualité, ne seraient pas remis en cause sous son pontificat. Après la publication d'un nouveau document du Vatican interdisant l'accès à la prêtrise à toute personne ouvertement gay, même chaste, l'écrivain Andrew Sullivan, un catholique gay, a dit que "Benoît a identifié un groupe de gens, et a affirmé, sans se préoccuper de leur comportement ou de ce qu'ils font, qu'ils sont indignes de servir Dieu. Ce n'est pas ce qu'ils font, qui est en cause. C'est ce qu'ils sont"

Pourtant, loin de ses positions les plus controversées, le Pape a démontré une habileté à prêcher avec éloquence sur les questions les plus cruciales de l'existence moderne - le Bien et le Mal, la charité et le consumérisme, et la pente glissante de la satisfaction immédiate des besoins.

Ratzinger, dit un proche collaborateur d'un cardinal européen progressiste, "possède l'art de résumer un concept en une seule phrase. Il est capable de dégager une vision claire de ce qui ne va pas dans notre société."

La mission du nouveau Pape est celle qu'il suit depuis qu'il a été ordonné prêtre dans sa Bavière natale.

Mais les convictions de Ratzinger n'ont jamais été perçues aussi clairement que pendant – et après- les dernières heures de son prédécesseur.

Le soir du 1er Avril, un de ses assistants de longue date raconte comment, ce matin-là, son patron avait rassemblé les employés de La Congrégation pour la Doctrine, afin de leur faire réciter le Rosaire, et de les informer de sa visite à Jean-Paul. "Je ne l'avais jamais vu aussi ému", raconte le fonctionnaire du Vatican.

Dix jours plus tard, il revint à Ratzinger de présider le service de funérailles de Jean-Paul. Ce fut sans doute la cérémonie de ce type la plus regardée dans l'histoire de l'humanité, avec plus d'un million de fidèles et des dizaines de chefs d'état pressés autour de la Place Saint-Pierre, et dix millions de personnes en plus regardant à la télévision. Ratzinger fut un modèle de sérénité, guidant la liturgie solennelle avec sang-froid, et prononçant une homélie pleine de chagrin et d'émotion. C'était la première preuve publique pour les fidèles - et les cardinaux électeurs- qu'il était bien un pasteur, capable de guider la foule du monde entier.

Dans les jours qui suivirent, Ratzinger fut amené à conduire une série d’huis-clos et de rencontres de pré-conclave avec ses confrères cardinaux, qui par la suite évoquèrent son sens de l'écoute, ses talents de polyglotte, et même son humour. Pour le bien de l'Eglise, il fallait un seul pilote pour prendre en charge la Papauté pendant cette période de vacance du pouvoir.

Ses responsabilités ne cessaient de croître. "Après la mort de Jean-Paul", racontait récemment un cardinal résidant à Rome, "il semblait que Ratzinger portât seul l'Eglise toute entière sur ses épaules".

Quelques heures avant le début du vote, il délivra sa dernière homélie en tant que cardinal, un plaidoyer passionné pour l'orthodoxie dans lequel il dénonçait "la dictature du relativisme".

Le jour suivant, il était Pape. Depuis la loge des bénédictions d'une Place Saint-Pierre noyée de brume, rayonnant, le Pape Benoît annonçait au monde entier que les Cardinaux avaient élu "un humble travailleur dans les vignes du seigneur".

Il se mit rapidement au travail. Benoît accéléra la route de Jean-Paul vers la sainteté, nomma son propre successeur à la tête de la Congrégation pour la Doctrine, et prépara sa première encyclique - à paraître aux alentours de Noël-.

En Août, il se rendit dans son Allemagne natale pour les Journées Mondiales de la Jeunesse, où il rendit une visite historique à la synagogue de Cologne, s'exprima avec force contre le terrorisme lors d'une rencontre avec les leaders de la communauté musulmane allemande, et gagna le cœur d'un million de jeunes - dont beaucoup étaient venus là pour voir leur bien-aimé Jean-Paul II. Ce fut là, sans doute, que le monde entier apprécia que le nouveau Chef de l'Eglise catholique ne fût pas un simple remplaçant.

L'attrait public de Benoît XVI vient des manières qu'il a toujours eues.


Sa voix a une cadence mélodieuse, et son sourire illumine son visage.

Il ne mâche pas ses mots. "La vraie révolution ne peut venir que de Dieu", a-t-il dit aux jeunes rassemblés à Cologne.

Le nouveau Pape a fait en sorte de mettre ses pas dans ceux de Jean-Paul II, sans chercher à rivaliser avec son magnétisme hors du commun, et, ce faisant, il a révélé un aspect de sa personnalité qu'il ne connaissait peut-être pas lui-même. Le Cardinal de Venise, Angelo

Scola, qui connaît Ratzinger depuis 1971, a dit que la papauté avait révélé le meilleur de son mentor.

"Ratzinger, - a dit Scola au Time - a le don de parler aussi bien à l'homme le plus simple, qu'au plus cultivé. En 35 ans, chaque fois que je l'ai vu ou entendu, j'ai appris quelque chose de nouveau. "

Le nouveau Pape lui-même semble prêt à apprendre. Durant l'été, en un seul mois il a rencontré le leader des ultra-tradionnalistes lefebvristes, puis Hans Kung, un théologien originaire de Suisse, en désaccord profond avec la doctrine de Ratzinger. Il n'a semblé donner de gage à aucun des deux, mais il a écouté. Lors du synode des évêques, en Octobre, il a introduit pour la première fois des moments de discussion libre, et il y a pris part. "Que le Pape lui-même prît la parole, c'était la preuve qu'il voulait un dialogue direct et immédiat avec ses frères évêques - le signe précieux d'une saine collégialité ", dit Scola, que Benoît chargea de présider les débats pendant ces 3 semaines.

Et partout, il parvient à toucher son troupeau. Benoît a déjà prononcé une série d'homélies pénétrantes, dans un langage qui souvent ne ressemble pas à celui d'un Pape. Dans un passage où il est question du péché, il parle de "la tentation de composer un peu avec le diable, en pensant que garder une part de liberté vis-à-vis de Dieu est une bonne chose, peut-être même nécessaire. Mais si nous regardons le monde autour de nous, il n'en est pas ainsi. Le mal aussi empoisonne". Par sa touche poétique, son prédécesseur donnait du poids aux mots. Benoît, lui, se sert du pouvoir de sa prose.

Mais, outre son érudition, et son sens de sa mission, la grande surprise du pontificat de Benoît, jusqu'à présent - au moins pour ceux qui ne le connaissaient pas personnellement - est sa tranquille humanité.

A la fin d'une audience générale, en Août, il a passé un long moment non prévu auprès des malades et des personnes âgées pour les saluer personnellement.
Une fillette de 8 ou 9 ans s'approcha, tenant sa mère par la main, et serrant un ours en peluche. Ses cheveux étaient rasés et son visage bouffi à cause des médicaments. Le Pape la regarda droit dans ses yeux avides, et passa sa main sur son front en une bénédiction. Et puis, sans attendre, il atteignit l'ours en peluche qu'il bénit de la même façon.

Parmi ceux pour qui la doctrine est le point-clé, les convictions inébranlables de Benoît XVI lui vaudront à la fois des fans et des ennemis. Pour ceux d'entre nous qui sont moins sûrs de leur foi -et même pour ceux qui ne croient pas -, le nouveau Pape nous rappelle simplement que le travail d'un missionnaire n'est jamais fini.