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Vérités ultimes

Lors d'un échange avec les prêtres de Rome, en 2008, puis en 2010 dans "Lumière du monde", Benoît XVI parlait de ces "novissimi" évoqués par Mario Palmaro... (18/11/2013)

Cf.
Une interviewe bouleversante de Mario Palmaro

Au cours de l'interviewe publiée par la revue dehonnienne, Mario Palmaro soulignait que «l'Eglise est aujourd'hui plus que jamais appelée à résister à l'esprit du monde», alors qu'au contraire, par beaucoup de choix de l'après-concile, elle semble de plus en plus lui céder.
Parmi les symptômes de cet alignement, il citait « l'abolition de facto des "novissimi", quand le thème du salut des âmes (et du danger de la damnation éternelle), est le seul argument surnaturel qui distingue l'Eglise d'un organisme philanthropique».

Ce mot «novissimi» (il s'agit d'un terme latin qui désigne traditionnellement les 4 réalités ultimes: mort, jugement , enfer, paradis) qui résonne comme une antiquité à nos oreilles modernes a éveillé en moi un écho... lié à Benoît XVI.

     

1. Lumière du Monde

Le dernier chapitre du livre-entretien avec Peter Seewald s'intitule justement «Des choses dernières»

Peter Seewald: Dans votre discours de Lisbonne, vous avez déclaré que l'une des missions prioritaires de l'Église était aujourd'hui de rendre l'homme capable «de voir au-delà des avant-dernières choses - afin de chercher les dernières». La théorie des «choses dernières» est au coeur de la foi. Elle traite des sujets comme l'enfer, le purgatoire, l'antéchrist, la persécution de l'Église à la fin des temps, le retour du Christ et le Jugement dernier. Pourquoi la Proclamation fait-elle peser un silence aussi frappant sur des thèmes eschatologiques qui, contrairement à certains «sujets brûlants permanents» internes à l'Église, sont tout de même de nature existentielle et concernent tout un chacun ?

Benoît XVI: C'est une question très sérieuse. Notre prédication, notre proclamation est effectivement orientée en bonne partie sur la seule création d'un monde meilleur, alors que le monde réellement meilleur n'est pratiquement plus mentionné. Nous devons sur ce point procéder à un examen de conscience. On tente, bien sûr, d'aller au-devant de nos auditeurs, de leur dire ce qui se trouve à leur horizon. Mais notre mission est aussi d'ouvrir cet horizon, de l'élargir et de regarder vers ce qui vient à la fin.
Ces idées-là sont difficiles à admettre pour les gens d'aujourd'hui. Elles leur paraissent irréelles. Ils préféreraient avoir des réponses concrètes pour ce qu'ils vivent maintenant, pour les tourments du quotidien. Mais ces réponses restent des demi-réponses si elles ne font pas aussi ressentir et comprendre intimement que je vais au-delà de cette vie matérielle, qu'il existe un Jugement, qu'il existe la Grâce et l'Éternité. Dans cette mesure, nous devons aussi trouver de nouveaux mots et de nouvelles manières pour permettre aux gens de franchir le mur du son de la finitude.

     

2. Rencontre avec le clergé romain (2008)

C'était le 7 février 2008, lors de la rencontre annuelle avec les prêtres du diocèse de Rome: le Pape répondait a braccio à leurs questions sur les sujets les plus variés, et l'un des prêtres l'avait interrogé sur les «novissimi»
Voici la question de don Pietro Riggi, un salésien, et la réponse de Benoît XVI, où il propose rien de moins qu'une grille de lecture de son encyclique Spe Salvi.

Question: Très Saint-Père, je travaille dans un patronage et dans un centre d'accueil pour les mineurs à risque. Je voulais vous demander la chose suivante: le 25 mars 2007, vous avez prononcé un discours improvisé (ndt: lequel?), dans lequel vous avez fait part de votre regret que l'on parle très peu aujourd'hui des Novissimi. En effet, dans les catéchismes de la Conférence épiscopale italienne utilisés pour l'enseignement de notre foi aux jeunes qui se préparent à la confession, à la communion et à la confirmation, il me semble que l'on a omis certaines vérités de foi. On ne parle jamais de l'enfer, jamais du purgatoire, une seule fois du paradis, une seule fois du péché, uniquement le péché originel. En l'absence de ces parties essentielles du credo, ne vous semble-t-il pas que s'effondre le système logique qui conduit à voir la rédemption du Christ? Le péché étant absent, sans parler de l'enfer, la rédemption du Christ est, elle aussi, diminuée. Ne vous semble-t-il pas que soit favorisée la perte du sens du péché et donc du sacrement de la réconciliation et de la figure salvifique, sacramentelle, du prêtre qui a le pouvoir de donner l'absolution et de célébrer au nom du Christ? Mais aujourd'hui malheureusement, lorsque l'Evangile parle de l'enfer, nous aussi prêtres nous évitons l'Evangile lui-même. On n'en parle pas. Et nous ne savons pas non plus parler du paradis. Nous ne savons pas parler de vie éternelle. Nous risquons de donner à la foi une dimension uniquement horizontale, ou bien trop détachée entre la dimension horizontale et verticale. Et cela vient malheureusement à manquer dans la structure portante de la catéchèse des enfants, si ce ne sont pas les prêtres qui en ont l'initiative. ...


Benoît XVI: Vous avez parlé à juste titre de thèmes fondamentaux de la foi, qui apparaissent malheureusement rarement dans notre prédication. Dans l'Encyclique Spe salvi, j'ai précisément voulu parler du jugement dernier, du jugement en général, et dans ce contexte du purgatoire, de l'enfer et du paradis. Je pense que nous sommes encore tous victimes de l'objection des marxistes, selon laquelle les chrétiens ont seulement parlé de l'au-delà et ont négligé la terre. Ainsi, nous voulons montrer que nous nous engageons réellement pour la terre et que nous ne sommes pas des personnes qui parlons de réalités lointaines, qui n'aidons pas la terre.
A présent, bien qu'il soit juste de montrer que les chrétiens travaillent pour la terre - et nous sommes tous appelés à travailler pour que cette terre soit réellement une cité pour Dieu et de Dieu - nous ne devons pas oublier l'autre dimension. Si nous n'en tenons pas compte, nous ne travaillons pas bien pour la terre.
Montrer cela a été l'un de mes buts fondamentaux en rédigeant l'Encyclique. Lorsqu'on ne connaît pas le jugement de Dieu, on ne connaît pas la possibilité de l'enfer, de l'échec radical et définitif de la vie, on ne connaît pas la possibilité et la nécessité de la purification. L'homme ne travaille alors pas bien pour la terre, car à la fin il perd les critères, il ne se connaît plus lui-même, ne connaissant pas Dieu, et il détruit la terre. Toutes les grandes idéologies ont promis: nous prendrons les choses en main, nous ne négligerons plus la terre, nous créerons un monde nouveau, juste, correct, fraternel. En revanche, ils ont détruit le monde. Nous le voyons avec le nazisme, nous le voyons aussi avec le communisme, qui ont promis de construire le monde tel qu'il aurait dû être et, en revanche, qui l'ont détruit.

Lors des visites "ad limina" des Evêques des pays autrefois communistes, je m'aperçois toujours à nouveau que dans ces terres on a détruit non seulement la planète, l'écologie, mais surtout et plus gravement les âmes. Retrouver la conscience vraiment humaine, illuminée par la présence de Dieu, est le premier travail de réédification de la terre. Telle est l'expérience commune de ces pays. La réédification de la terre, en respectant le cri de souffrance de cette planète, ne peut être réalisée qu'en retrouvant Dieu dans l'âme, en ayant les yeux ouverts vers Dieu.

C'est pourquoi vous avez raison: nous devons parler de tout cela, précisément car nous sommes responsables envers la terre, envers les hommes qui y vivent aujourd'hui. Nous devons aussi parler du péché comme de la possibilité de se détruire soi-même, ainsi que les autres parties de la terre.
Dans l'Encyclique, j'ai cherché à démontrer que c'est précisément le jugement dernier de Dieu qui garantit la justice. Nous voulons tous un monde juste. Mais nous ne pouvons pas réparer toutes les destructions du passé, toutes les personnes injustement tourmentées et tuées. Seul Dieu lui-même peut créer la justice, qui doit être justice pour tous, également pour les morts.
Et comme le dit Adorno, un grand marxiste, seule la résurrection de la chair, qu'il considère irréelle, pourrait créer la justice. Nous croyons dans cette résurrection de la chair, lors de laquelle tous ne seront pas égaux.

Aujourd'hui, on a l'habitude de penser: qu'est-ce que le péché? Dieu est grand, il nous connaît, le péché ne compte donc pas, à la fin Dieu sera bon avec tous. C'est une belle espérance. Mais il y a la justice et il y a la faute véritable. Ceux qui ont détruit l'homme et la terre ne peuvent pas s'asseoir tout de suite à la table de Dieu avec leurs victimes. Dieu crée la justice. Nous devons garder cela à l'esprit. C'est pourquoi il me semblait important d'écrire ce texte également sur le purgatoire, qui pour moi est une vérité tellement évidente et nécessaire, mais aussi réconfortante, qu'elle ne peut pas manquer. J'ai cherché à dire: peut-être que ceux qui se sont détruits de cette façon, qui sont incurables pour toujours, qui n'ont plus aucun élément sur lequel puisse reposer l'amour de Dieu, qui n'ont plus en eux la moindre capacité d'aimer, ne sont-ils pas si nombreux. Cela serait l'enfer. D'autre part, ceux qui sont purs au point de pouvoir entrer immédiatement dans la communion de Dieu sont certainement peu nombreux - ou quoi qu'il en soit pas très nombreux. Un grand nombre d'entre nous espèrent qu'il y ait quelque chose de guérissable en nous, qu'il y ait une volonté finale de servir Dieu et de servir les hommes, de vivre selon Dieu. Mais il y a tellement de blessures, tellement de salissures. Nous avons besoin d'être préparés, d'être purifiés. Telle est notre espérance: même avec tant de salissures dans notre âme, le Seigneur nous donne à la fin une possibilité, il nous lave finalement avec sa bonté qui vient de sa croix. Il nous rend ainsi capables d'être à Lui pour l'éternité. Et ainsi le paradis est l'espérance, c'est la justice qui finalement se réalise. Et il nous donne aussi les critères pour vivre, pour que ce temps soit d'une certaine manière un paradis, une première lumière du paradis. Là où les hommes vivent selon ces critères, le paradis est un peu présent dans le monde et cela se voit. Cela me semble aussi une démonstration de la vérité de la foi, de la nécessité de suivre la route des commandements, dont nous devons parler davantage. Tels sont réellement les indicateurs du chemin et ils nous montrent comment bien vivre, comment choisir notre vie. C'est pourquoi nous devons aussi parler du péché et du sacrement du pardon et de la réconciliation. Un homme sincère sait qu'il est coupable, qu'il devrait recommencer, qu'il devrait être purifié. Telle est la merveilleuse réalité que le Seigneur nous offre: il y a une possibilité de renouveau, d'être nouveaux. Le Seigneur commence avec nous à nouveau et nous pouvons ainsi recommencer avec les autres dans notre vie.

Cet aspect du renouvellement, de la restitution de notre être après tant d'erreurs, après tant de péchés, est la grande promesse, le grand don qu'offre l'Eglise. Et que, par exemple, la psychothérapie ne peut pas offrir. La psychothérapie est aujourd'hui très répandue et aussi nécessaire face à tant d'âmes détruites ou gravement blessées. Mais les possibilités de la psychothérapie sont très limitées: elle peut seulement chercher à rééquilibrer un peu une âme déséquilibrée. Mais elle ne peut pas apporter un véritable renouvellement, un dépassement de ces graves maladies de l'âme. C'est pourquoi elle reste toujours provisoire et jamais définitive. Le sacrement de la pénitence nous donne l'occasion de nous renouveler totalement avec la puissance de Dieu - ego te absolvo -, ce qui est possible car le Christ a pris sur lui ces péchés, ces fautes. Il me semble que cela soit aujourd'hui vraiment nécessaire. Nous pouvons être guéris. Les âmes qui sont blessées et malades, comme chacun en fait l'expérience, ont besoin non seulement de conseils mais d'un véritable renouveau, qui ne peut venir que du pouvoir de Dieu, du pouvoir de l'Amour crucifié. Il me semble que cela soit le grand point commun des mystères qui, à la fin, marquent véritablement notre vie. Nous devons nous-mêmes les méditer encore et ainsi les faire arriver à nouveau à notre peuple.

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