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Alessandro Gnocchi et le Pape François

L'associé de Mario Palmaro s'exprime dans Il Giornale après la mort de son ami, et la publication de leur dernier livre à quatre mains "Ce Pape plaît trop" (26/3/2014)

>>> Dossier: Hommage à Mario Palmaro

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L'Evangile l'enseigne: Malheur à vous quand tous les hommes diront du bien de vous (Luc 6, 26).
Je suis effrayé par l'homogénéité absolue avec les médias, auxquels il est très sensible. Il croit s'en servir, mais à la place, ce sont eux qui l'utilisent selon une clé "mondaine". Maintenant, il est obligé de dire uniquement ce qu'ils attendent de lui...

Qui devient Pape, n'est plus lui-même, il est le vicaire du Christ sur la terre, pas l'archevêque de Buenos Aires. Même s'il s'appelle François, il devrait garder à l'esprit que les plus démunis ne sont pas meilleurs pour le simple fait qu'ils ont faim. La misère ne rend pas meilleurs. C'est la première leçon que Don Camillo donne à Don chichi, un curé progressiste: la pauvreté est un malheur, pas un mérite.

Je partage ses réticences, même si ce n'est pas facile. Sans parler de mon goût pour Guareschi, auquel j'ai consacré un dossier l'été dernier (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II)

A lire sa biographie (en italien) ici: www.zeroconfini.it/risorse/alessandro-gnocchi-giornalista/

«Ce pape ne me plaît pas et le dire est un devoir précis»

Entretien avec le journaliste et écrivain Alessandro Gnocchi
Il Giornale
Stefano Lorenzetto
23/03/2014
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Vittorio Feltri (journaliste italien né en 1943, actuellement éditorialiste à Il Giornale, dont il a dans le passé assumé la direction) , tout en se déclarant athée, dit qu'on ne devrait jamais dire du mal du pape et mentionne comme exemple, le cas d'Umberto Bossi (président de la Ligue du Nord), qui attaqua le Pape Jean-Paul II en 2004 et quelques jours plus tard fut frappé par un AVC.
«Etant catholique, les superstitions ne m'effleurent pas», sourit tristement Alessandro Gnocchi, qui a signé avec Giuliano Ferrara et Mario Palmaro l'essai Questo Papa piace troppo, «un vademecum au vitriol» - comme le présente l'Editeur Piemme - contre Jorge Mario Bergoglio: «Les actes et les paroles du pape François sont une collection de relativisme moral et religieux, ses exhibitions de pauvreté ostentatoires sont écoeurantes et bien peu franciscaines, et sa proclamation de l'autonomie de la conscience est en opposition flagrante au Catéchisme et au Magistère des Papes précédents».

A Gnocchi aussi, en vérité, quelque chose de terrible est arrivé. Mercredi 12 Mars, 24 heures seulement après que le livre soit arrivé dans les librairies, il a dû accompagner au cimetière Palmaro, 45 ans, l'ami de toute une vie, dont en 1998 il avait été témoin de mariage, en même temps qu'Eugenio Corti, auteur du célèbre roman Le Cheval Rouge. «Mardi 4, désormais consumé par le cancer du foie, il voulait m'envoyer quelques notes pour notre article sur le rapport par lequel le cardinal Walter Kasper avait ouvert le consistoire sur la famille, publié le lendemain sur Il Foglio: je garde les notes tapées sur l'ordinateur en caractères rouges comme si c'était une relique. Jeudi 6, il a eu le temps de voir un exemplaire de Questo Papa piace troppo: il était heureux. Dimanche 9, il a rendu son âme à Dieu».

Mais c'est la façon dont cette âme est revenue à Dieu qui peut-être devrait impressionner, plus que le livre, l'auguste personne objet des flèches de Gnocchi et Palmaro.
«Je suis arrivé à la maison de Mario à 19h30. A son chevet, il y avait sa femme Annamaria avec ses enfants Giacomo, 14 ans, Giuseppe, 12, Giovanna, 8, Benedetto, 7, sa belle-mère - parce que sa mère est morte en lui donnant naissance en 1968 - et deux voisines. L'agonie a été douloureuse, terrible. A 22 heures, nous avons chanté le Salve Regina. A 22 heures 10, il a expiré».

Le Pape François savait que son censeur, diplômé en droit de l'Université de Milan, avec une thèse sur l'avortement provoqué, professeur de philosophie théorique, d'éthique et de bioéthique à l'Université pontificale Regina Apostolorum et de philosophie du droit à l'Université européenne de Rome, était gravement malade, sans espoir, depuis près de deux ans. Et le 1er Novembre dernier, jour de la Toussaint, vers 18 heures, il lui a téléphoné à son domicile à Monza, sans passer par le standard du Vatican. «Je suis le Pape François», se présenta-t-il. «Je vous ai reconnu à la voix, Saint-Père», répondit candidement son épouse, «attendez une minute». N'ayant pas de téléphone sans fil, la dame se rendit auprès de son mari, qui était couché dans son lit. «Je sais que vous allez mal, professeur, et je prie pour vous», s'entendit réconforter Palmaro, après avoir rejoint péniblement le combiné. «Mario fut très réconfortéé par l'appel», explique Gnocchi. «Au moment de prendre congé, il dit à François: Sainteté, vous savez peut-être que je vous ai consacré quelques remarques très sévères. Mais je tiens à confirmer que ma fidélité au Successeur de Pierre reste intacte. Le pape a répondu: Je pense que vous avez écrit par amour de l'Eglise. Et de toute façon, les critiques font du bien».

A présent, regardant page 35, le chapitre initial de ce dernier livre, avec cet en-tête beaucoup plus affirmatif que le titre "Ce Pape ne nous plaît pas" (le litre du livre dit seulement "Ce Pape plaît trop"), et cette signature commerciale, "Gnocchi et Palmaro," vous pourriez penser à un scénario grotesque à la Garinei & Giovannini (duo de comiques italiens) ou à un pamphlet injurieux. Au contraire, l'entreprise peu primée Gnocchi & Palmaro, bien connue des lecteurs de "Il Giornale", a été une authentique forge à livres - une vingtaine - toujours documentés, rigoureux, dictés seulement par une ardeur apologétique dans la défense de l'Église, la tradition, la doctrine et de la morale, en un mot de ce qu'on appelait autrefois le «depositum fidei».

Gnocchi, 54 ans, bergamasque, marié, trois enfants, est journaliste professionnel depuis 1992. A l'annulaire gauche, à côté de l'alliance, il porte un chapelet en or de forme circulaire; il garde dans la poche de son pantalon un autre chapelet de moine trappiste, avec des grains en bois qui ressemblent à des grains de café, le crâne au pied de la croix et huit médailles sacrées accrochées. Il est diplômé en philosophie à l'Université catholique, il a écrit en free-lance pour GENTE et OGGI avant d'être embauché à HISTORIA, puis à TV SORRISI E CANZONI. Aujourd'hui, il travaille pour des publications Mondadori. Il est considéré comme le plus grand spécialiste de Giovanni Guareschi, auquel il a consacré cinq essais, ainsi que deux anthologies écrites en collaboration avec Palmaro. «L'amitié avec Mario est née d'une recension qu'il avait consacrée en 1995, sur le [journal] Cittadino di Monza, à mon premier essai sur le créateur de Don Camillo et Peppone».

- Pourquoi cet amour pour Guareschi?
« Don Camillo était le seul livre que mon père, un ouvrier, m'a offert. J'avais 14 ans. Je n'ai plus cessé de le lire».

- Comme êtes-vous arrivé au journalisme?
« Je voulais être chercheur, mais l'université ne garantissait pas le pain. J'ai commencé à collaborer à Candido, l'hebdomadaire fondé par Guareschi. Deux collègues, Maurizio Cabona et Alberto Pasolini Zanelli, m'ont trouvé une place dans le sécrétariat de la rédaction du journal dirigé par Indro Montanelli. C'était en 1987».

- Comment définissez-vous?
« Catholique traditionaliste. Je participe à la messe tridentine célébrée le dimanche à 9 heures dans l'église de Santa Maria della Neve à Bergame. Je ne viens pas d'une famille bigotte. À l'âge de 8 ans, j'ai passé les épreuves (tests) pour devenir enfant de chœur, mais j'ai résisté seulement deux semaines».

- Qu'est-ce qui ne vous a pas convaincu chez le pape François?
« Le consensus général dont il bénéficie. L'Evangile enseigne: Malheur à vous quand tous les hommes diront du bien de vous (Luc 6, 26). Je suis effrayé par l'homogénéité absolue avec les médias, auxquels il est très sensible. Il croit s'en servir, mais à la place, ce sont eux qui l'utilisent selon une clé "mondaine". Maintenant, il est obligé de dire uniquement ce qu'ils attendent de lui».

- Quoi d'autre?
« Il a démoli l'esprit de la liturgie. Il porte une croix pectorale qui doit sembler pauvre. Il s'agit en fait d'argent, pas de fer. Elle me semble faite juste pour attirer l'attention sur la personne qui la porte, plutôt que sur Celui qui y est suspendu. Même cette décision incompréhensible de vivre dans la Casa Santa Marta, plutôt que dans le Palais apostolique ... C'est comme s'il reprochait à ses prédécesseurs de n'avoir pas été à leur place».

- Il dit qu'il s'y serait senti seul.
« Mais le pape est seul! L'homme le plus seul qui existe dans le monde. Avec les pontifes précédents, je percevais qu'ils étaient différents de moi. En François, je ne perçois pas le sens du sacré».

- "L'Église est un hôpital de campagne après une bataille", a-t-il expliqué, pas une forteresse. "Il est inutile de demander à un blessé grave s'il a du cholestérol ou un taux de sucre élevé".
« C'est comme de dire qu'à un malade, on ne doit imposer aucune thérapie. Moi je pense au contraire que le remède pour ceux qui sont loin du Christ est très amer. C'est peut-être l'aspect le plus troublant de son enseignement: faire croire qu'il existe une alternative irrémédiable entre rigueur doctrinale et miséricorde. Mais le Tout-Puissant est avant tout juste, en distribuant les récompenses et les punitions. S'Il était juste bon, nous n'aurions aucune raison de nous améliorer. Quand ensuite, dans un entretien avec Eugenio Scalfari, le pape arrive à dire "je crois en Dieu, pas en un Dieu catholique, un Dieu catholique, cela n'existe pas", il est difficile à L'Osservatore Romano ou à l'Avvenire de s'en prendre à une phrase sortie de son contexte».

- Pourquoi avoir invité à déjeuner précisément Scalfari?
« Quelque conseiller lui aura fait croire que la Repubblica était la chaire idéale pour être entendu par les non-croyants. Mais ce qu'il a dit sur Dieu qui ne serait catholique est une affirmation qui acquiert beaucoup de valeur, même si elle est recueillie par un journaliste, parce que dans le monde sécularisé d'aujourd'hui, une interview compte beaucoup plus qu'une encyclique, elle forme les consciences. Le catholique moyen est ignorant, il pense que le pape est toujours infaillible, même quand il ne parle pas ex cathedra. Voilà, François a transformé un journal laïc en une "cattedra" (chaire), donnant raison à Marshall McLuhan, selon lequel le médium est le message. La presse s'est érigée en chaire du pape et véhicule le verbe pontifical qui lui convient le mieux».

- En moins de six mois François a également donné des interviewes à la Civiltà cattolica, à la Stampa, au Corriere della Sera, à la radio argentine Bajo Flores.
« Il devrait parler moins. Le silence est éloquent. Jean-Paul II a évangélisé davantage avec son agonie muette qu'avec tous ses voyages apostoliques. Je connais beaucoup d'athées qui se sont convertis à le voir cloué sur la croix de la souffrance».

- De l'entretien que Léon XIII accordée en 1892 à Caroline Remy du Figaro, à celle que Paul VI a donnée en 1965 à Alberto Cavallari, du Corriere, 73 ans ont passé. Aujourd'hui, pas un mois ne passe sans une sortie publique.
« Quand je travaillais à Historia, un collègue suggéra: Et si on interviewait le Pape?. Le directeur Gian Piero Piaza, un non-croyant, le fit taire: le Pape ne donne pas d'interviews, parce qu'il est un roi. Il avait compris toute la majesté du rôle».

- Mais un catholique est autorisé à critiquer le Pape?
« C'est même une obligation pour les laïcs en vertu du canon 212, paragraphe 3, du Code de Droit canonique [...] (ndt: cf. benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/peut-on-critiquer-le-pape) Ne croyez pas que c'était facile pour Palmaro et pour moi, de dire à notre père ce que nous pensions de lui. "

- Et pas rentable non plus.
« J'ai été choqué par la façon dont le père Livio Fanzaga, directeur de Radio Maria, nous a chassés après 10 ans d'interventions diffusées gratis et amore Dei. 24 heures à peine s'étaient écoulées depuis l'enterrement de Mario quand je l'ai entendu sévir sur les ondes, se vantant du beau nettoyage effectué parmi les présentateurs [d'émissions]. Il y en a que je voudrais faire descendre de leur chaire pour les faire asseoir sur un tabouret... Parmi les nombreux détracteurs, personne, pas même un prêtre, n'a pris en compte notre bonne foi. Nous avons été inondés de courriels et d'appels téléphoniques d'insultes, on a annulé nos conférences déjà programmées dans toute l'Italie. Ne pouvant démolir les arguments, on a démoli les personnes».

- Savez-vous ce que disait Nello Vian, ami de Paul VI et père de Giovanni Maria Vian, quand le futur directeur de L'Osservatore Romano, alors jeune, osait avancer quelques critiques timides d'un pontife en charge? "Le Pape est le Pape et tu es un scélérat".
« On voit qu'il connaissait bien son fils. Plaisanterie à part, je comprends l'argument: le pape a toujours raison. Je voudrais beaucoup qu'il en soit ainsi. Mais il faudrait relire la prophétie, si chère au père Fanzaga, que le Vierge a faite en 1846 aux enfants français de La Salette, là où elle dit que Rome perdra la foi».

- Comment se fait-il que les hiérarchies soient toujours prêtes à taper sur les défenseurs de la tradition et à courrir après les athées?
« Je me le demande aussi. J'ai vu Giovanni Zenone, éditeur de nombreux livres que j'ai écrit avec Palmaro, relégué au rôle de concierge, puis expulsé de l'enseignement de la religion catholique dans les écoles. L'évêque de Vérone, Giuseppe Zenti, qui conversait en public avec Margherita Hack, a justifié le licenciement par de prétendues lacunes pédagogiques et didactiques. Pourtant, Zenone, marié, père de 6 enfants, diplômé, a plus de titres que tous ses collègues, il est assidu dans les sacrements, et trois mois après la mesure, il a reçu au Vatican le prix Giuseppe Sciacca des mains du Cardinal Darío Castrillón Hoyos, avec ce motif: Professeur d'extraordinaires compétence et qualité pédagogique, il a donné une impulsion à la diffusion d'une saine culture théologique et historique, sans compromis idéologique et uniquement orientée vers des fins spirituelles supérieures dans le respect de la vérité objective, selon l'enseignement éternel du Magistère de l'Eglise».

- Mais vous, qu'attendiez-vous d'un pontife né et ayant vécu dans un pays où 70% des enfants vivent dans la pauvreté, et où toutes les 5 minutes une mère célibataire entre 13 et 17 ans donne naissance à un enfant conçu par hasard?
« Qui devient Pape, n'est plus lui-même, il est le vicaire du Christ sur la terre, pas l'archevêque de Buenos Aires. Même s'il s'appelle François, il devrait garder à l'esprit que les plus démunis ne sont pas meilleurs pour le simple fait qu'ils ont faim. La misère ne rend pas meilleurs. C'est la première leçon que Don Camillo donne à Don chichi,un curé progressiste: la pauvreté est un malheur, pas un mérite».