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Avons-nous vraiment deux Papes?

Dès 1974, le théologien jésuite Karl Rahner aurait eu l'intuition que c'était un moyen d'auto-détruire la Papauté. Un article du site <conciliovaticanosecondo.it> (7/6/2014)

     

Cet article du site <conciliovaticanosecondo.it> apporte une pièce supplémentaire à un dossier déjà bien fourni, dont mes lecteurs ont pu suivre le développement, à partir de la controverse ouverte par Antonio Socci en février dernier, jusqu'à la récente recension par Vittorio Messori d'une étude du thélogien Stefano Violi sur la Rivista teologica di Lugano (traduction à venir...), et tout récemment la réflexion du canoniste Tomaso Scandroglio.
Le Pape François lui-même a apporté sa contribution au dossier par sa déclaration dans l'avion de retour de Tel Aviv où il a dit entre autre qu'une porte avait été ouverte au concept de "Pape émérite".
Je n'ai évidemment aucune certitude, mais je ne peux pas m'empêcher de me poser des questions...

     

AVONS-NOUS VRAIMENT DEUX PAPES?
Nicodemo Grabber
4 juin 2014
www.conciliovaticanosecondo.it/articoli/abbiamo-davvero-due-papi/
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En Février de cette année, le journaliste catholique bien connu Antonio Socci publiait dans le quotidien «Libero» une enquête en quatre volets intitulée «Deux papes à Saint-Pierre. Les pourquoi d'un événement jamais vu en deux mille ans». Dans ces articles, Socci posait la question loin d'être insignifiante de la co-présence de deux papes, de la «papauté dite émérite», de la nature de la renonciation de Benoît XVI, etc ...

Aux questions Socci, le monde du journalisme, de la culture ecclésiale répond essentiellement par le silence, à l'exception de Vatican Insider, protagoniste d'une dure polémique contre Socci. Polémique que Tornielli a voulu résoudre au profit de ses propres thèse, recourant à Benoît XVI lui-même, auquel il a fait parvenir une série de demandes écrites. Les réponses que Tornielli dit avoir reçues du pape émérite, non seulement n'ont pas éteint la controverse mais plutôt engendré encore plus de doutes.

Nous ne voulons pas ici retracer les étapes du débat, les éclaircissements fournis par le secrétaire du pape émérite et préfet de la Maison pontificale,la question des armoiries «de Pape émérite» proposées à Benoît XVI par le cardinal Montezemolo [*] et refusées per lui pour conserver ses armoiries précédente (celles de Pape, avec les clefs de saint Pierre, la mitre papale et pallium), etc.

Et nous ne voulons pas non plus souligner le rôle significatif et pas toujours caché que joue encore Benoît XVI: il participe en habit papal à des cérémonies publiques telles que la bénédiction du monument à l'Archange Saint Michel ou la canonisation de Jean XXIII et Jean-Paul II, il revoit, apportant des correction certains documents du magistère du Pape François (il serait intéressant de connaître ces corrections / ajouts pour évaluer la dialectique entre les deux papes), etc ... (ndt: ces corrections ont été faites APRÈS la publication)

Le 28 mai, sortait sur le «Corriere della Sera», l'article «Voici pourquoi nous avons vraiment deux papes» signé par Vittorio Messori, où le prince de journalistes catholiques, malgré les différences de style et sans les préoccupations ecclésiologique de Socci, développe une analyse centrée sur la reconnaissance de la co-présence de deux Papes. Le lendemain, Socci intervenait à nouveau avec un article intitulé «Maintenant, même le Corriere et Messori découvrent qu'il y a deux papes».

Avec le style serein et loin des éclats de voix qui lui est propre, Messori touche en vérité des nerfs sensibles et suggère des hypothèses à la portée ecclésiologique inquiétante.

S'appuyant sur une étude du canoniste Stefano Violi, Messori analyse le texte de la déclaration de renonciation prononcé par Benoît XVI, relevant que le pape Benoît aurait renoncé non au munus Petrinum mais seulement au ministerium, c'est-à-dire à l'exercice de cet office. En outre, Benoît XVI n'aurait même pas renoncé entièrement à l'executio du ministère pétrinien mais seulement à l'exercice du gouvernement, se réservant l'exercice spirituel du ministerium même. Benoît XVI n'aurait donc pas renoncé à la têche du Successeur de Pierre, mais seulement à son exécution concrète.

Nous aurions ainsi Benoît XVI encore pleinement investi du munus Petrinum, en pleine possession du ministerum spirituel du vicaire du Christ, mais plus du pouvoir de gouvernement universel, qui serait en revanche dans les mains du pape François.

L'audace d'une telle thèse et les conséquences qu'elle implique n'échapperont à personne. Une parmi toutes: si le munus petrinum était encore entre les mains de Benoît XVI (parce qu'il n'y aurait jamais renoncé, restant ainsi encore Pape), il faudrait supposer, contre le dogme et la constitution de l'Eglise, un titre du même (ou d'un égal) munus dans les mains de François ( munus Petrinum partagé ou dédoublé). Ou bien dire que le Pape (titulaire du munus Petrinum) est encore Benoît XVI, tandis que François ne serait que l'exécutant du pouvoir de gouvernement universel. Toutes hypothèse gravement problématiques, pour ne pas dire inacceptables.

Ce n'est pas notre intention d'apporter de nouvelles contributions polémiques aux archives déjà fournis d'articles, essais, interviews, déclarations sur le sujet. Pas non plus de faire une analyse de l'étude réalisée par Stefano Violi et relancée par Messori. Nous nous limitons à signaler un état de fait, et nos craintes. Le fait est que deux des plus grands journalistes catholiques italiens ont soulevé la question dans deux journaux à diffusion nationale et qu'aujourd'huiu, la question est débattue au niveau international entre théologiens, canonistes, prêtres et simples fidèles, à la grande confusion et à la désorientation de beaucoup. C'est comme si Socci et Messori avaient déclaré au monde entier que l'empereur est nu; que faire alors?

La plus grande préoccupation, cependant, est que cette situation de fait avec deux Papes ensemble dans l'enclos de Saint-Pierre, un régnant et un émérite dont le statut ecclésiologique est confus et source de confusion, ne devienne l'occasion d'une tentative d'(auto) destruction de papauté selon un schéma pensé par Rahner déjà en 1974. Dans les pages initiales de Vorfragen zu einem okumenischen Amtsverstandnis, le jésuite Karl Rahner prévoyait de libérer le munus Petrinum de la responsabilité directe du gouvernement dans les mains d'une seule personne - le pape - pour en confier l'exercice à deux personnes ou plus.

Il est indéniable que l'hypothèse ecclésiologique de Rahner, mutatis mutandis , est celle qui se prêterait le mieux pour justifier théologiquement une condition de la papauté comme celle esquissée par Violi-Messori, si telle était vraiment la situation créée par la renonciation de Benoît XVI et l'élection de François. Malheureusement, ce serait une solution ecclésiologique contraire à la volonté positive du Christ, à la constitution essentielle de l'Eglise, au dogme catholique. Ce serait la mort de la Papauté!

La pierre a désormais été lancée, la confusion est grande et on ne voit pas comment on peut en sortir. Seul le Vicaire du Christ peut apporter la clarté.
Prions pour que le Seigneur pourvoie vite à son Église!

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[*] On pourra lire à ce sujet cet intéressant (et très "religieusement incorrect") article de Antonio Mastino: www.qelsi.it/2014/benedetto-dal-gran-rifiuto-al-piccolo-rifiuto-dello-stemma-di-emerito/