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Benoît XVI, le constructeur de Papes

Une analyse "continuiste" du pontificat de Benoît XVI (14/4/2014)

A la veille de la canonisation de Jean Paul II, l'auteur de l'article, Fabio Marchese Ragona, inscrit les trois derniers pontificats dans une continuité, dont celui de Benoît XVI est la charnière indispensable. L'idée est belle.
J'ai bien conscience que l'analyse faite ici contredit l'article assez sombre d'Antonio Mastino que j'ai traduit hier (Les cardinaux s'en vont en guerre), dont l'analyse, il est vrai, n'est partagée que par une infimissime proportion de gens, catholiques ou non.

Où est la vérité? Nous l'ignorons, ou du moins, nous n'avons pas de certitude, et du reste, l'avenir est loin d'être écrit.

Andrea Gagliarducci rapportait récemment ces mots de Mgr Gänswein: «Il y a des desseins que nous ne pouvons pas comprendre, et qui viennent de la Providence. On pourra les comprendre seulement dans de nombreuses années» (cf. Propos de Mgr Gänswein )

Quoi qu'il en soit, l'article de Fabio Marchese Ragona, après les "redites" du début", a le grand mérite de restituer au Pontificat de Benoît XVI sa grandeur, et de rappeler ce que lui doit celui du bientôt Saint Jean Paul II.

     

Entre Wojtyla le saint et François le révolutionnaire, voici Benoît XVI, le constructeur de papes
13 Avril 2014
Fabio Marchese Ragona
www.tempi.it (ma traduction)

«Printemps catholique»
Purificateur de l'Eglise. Pionnier du dialogue avec les chrétiens et les non-chrétiens. Gardien d'une foi parler capable de parler avec raison. Voilà pourquoi la haine du monde réussira à minimiser l'importance de Ratzinger.

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Quand le téléphone sonne au couvent Mater Ecclesiae au Vatican, résidence de Joseph Ratzinger, il se peut que de l'autre côté de l'appareil, il y ait le pape François. Le secrétaire de Benoît XVI, mais aussi préfet de la Maison pontificale, Mgr Georg Gänswein, trait d'union entre les deux papes, prend l'appel et en avise immédiatement le maître de maison: «C'est le Saint-Père». À ce moment, le visage du pape émérite s'illumine et l'un des premiers mots adressés à Bergoglio est toujours: «Merci pour la pensée».

Le Pape François le fait très souvent, il appelle Benoît XVI pour lui demander des conseils (dans l'une des dernières occassions, comme l'a révélé Gänswein, Ratzinger, à la requête de François, lui a envoyé quatre feuilles avec les réflexions suscitées en lui par la lecture de l'interview accordée au directeur de La Civiltà Cattolica, le Père Antonio Spadaro), mais surtout parce que, comme l'a dit Bergoglio lui-même «avec lui, c'est comme avoir le grand-père à la maison, mais un grand-père sage».
La sagesse de Ratzinger est, en effet, selon de nombreux cardinaux, l'un des grands trésors du Vatican et de l'Eglise universelle, bien plus précieux que les œuvres des musées ou les manuscrits médiévaux conservés dans les kilomètres de tunnel des archives secrètes. Et l'un des plus ardents partisans de cette thèse est précisément le pape François, qui pour cette raison a choisi d'avoir à côté de lui, toujours présent par la pensée et la prière à l'intérieur de l'enceinte de Saint-Pierre, son vieux prédécesseur.

D'un côté du combiné, il y a le théologien allemand, de l'autre côté le «curé du monde», le pasteur argentin de l'Église des périphéries existentielles; certains ont essayé de les mettre en opposition, mais en réalité, les deux papes sont du même côté, identique, ils mènent le même combat pour le bien de l'Église. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles, en Février, le pape François a voulu que Benoît soit présent dans la basilique Saint-Pierre pour le consistoire. Et qu'il soit à ses côtés, quatre mois après son élection, en Juillet 2013, dans les jardins du Vatican quand Bergoglio a inauguré la statue de Saint-Michel: le pape avait demandé à son prédécesseur l'union dans la prière pour consacrer la petite cité-Etat et le monde entier à l'Archange contre les ruses du démon, souvent protagoniste des homélies du Pape. Cette fois aussi, dans les jardins de l'autre côté du Tibre, les deux papes étaient ensemble, recueillis dans la prière par la volonté de François auquel Ratzinger a promis obéissance à plusieurs reprises: «Parmi vous, - a dit Benoît XVI aux cardinaux le jour de son adieu à la papauté - il y a aussi mon successeur, à qui je promets ma révérence et mon obéissance inconditionnelles».

Une route tracée.
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Quand, le 11 Février 2013, Benoît a annoncé au collège des cardinaux sa renonciation, Bergoglio était encore l'archevêque de Buenos Aires, et comme ceux qui étaient dans la salle du consistoire du palais apostolique, il est resté stupéfait du choix extraordinairement révolutionnaire du Pontife régnant. «Qui l'aurait pensé?», chuchota un vieux cardinal en passant un mouchoir sur ses yeux humides. «Je m'attendais à ce que cela arrive tôt ou tard» répondit à voix basse un autre, tenant une main devant sa bouche et parlant au confrère assis à côté de lui. Mais la plupart des princes de l'Église n'imaginaient même pas que ce geste ouvrirait la voie à une autre grande «révolution» appelée François.
Après tout, Ratzinger l'avait espéré: dans les jours suivantimmédiatement l'annonce historique, le Pape démissionnaire priait nuit et jour pour que le Saint-Esprit donne à l'Eglise un successeur fort et vigoureux qui puisse continuer son travail et en même temps guérir les blessures de l'Eglise, accumulées au fil des ans.

Néanmoins, aujourd'hui encore, beaucoup semblent avoir oublié le chemin tracé par Ratzinger en près de huit ans de son pontificat, à partir de la lutte constante contre le relativisme éthique, jusqu'à la lutte très sévère contre la pédophilie dans l'Eglise, réduisant l'état laïc, en seulement deux ans (2011 et 2012), 400 prêtres coupables d'abus sur mineurs. L'ancien gardien de la foi devenu vicaire du Christ avait encouragé, étape par étape, une Église dévastée par la mort de Jean-Paul II, l'avait entraîné, avec beaucoup de difficultés, à un moment de l'histoire où le monde occidental se dépouillait des valeurs fondamentales. «L'Europe, contrairement à l'Amérique - avait écrit le Cardinal Ratzinger en 2004 dans un dialogue avec Marcello Pera - est sur une trajectoire de collision avec sa propre histoire et se fait souvent le porte-parole d'un refus, presque viscéral, de toute dimension publique des valeurs chrétiennes».

Les conseils de Ratzinger
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Un thème que le Pape va développer tout au long de son pontificat, et qui sera l'objet principal du monumental discours prononcé au Collège des Bernardins à Paris en 2008: «Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable» (http://www.vatican.va). Cette fois encore, Benoît avait brandi la crosse pastorale dans la défense de ces principes «non négociables» en crise, comme l'avait fait Jean-Paul II en prenant conseil de lui quand il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et comme le fait aujourd'hui, avec un style très différent, le pape François, qui trouve toujours d'excellents conseils du sage Papa émérite.

Mais au-delà de ces conseils donnés à son prédécesseur et à son successeur, il y a des racines bien plus profondes, mais souvent sous-évaluées, qui ont distingué le pontificat de Ratzinger: en plus de la déjà citée lutte contre le relativisme éthique et du combat contre la pédophilie, Benoît XVI est le Pape qui a indiqué une affirmation du rôle de l'Eglise dans la relation entre la raison et la foi, «inséparables, se purifiant l'une l'autre». Argument qui était à la base de l'avant-dernière encyclique de Jean-Paul II, Fides et Ratio (dont le futur pape allemand connaissait la genèse), et qui a fait l'objet d'un dialogue intense entre le cardinal Ratzinger et le philosophe Jürgen Habermas.

Ou encore, Benoît XVI est le pape qui a tenté la réconciliation avec les lefebvristes, qui a inauguré le dialogue entre l'Eglise et le monde athée, qui a ouvert la voie pour le dialogue œcuménique avec l'Eglise orthodoxe russe, qui a accompli des voyages-clés en Europe et au Moyen-Orient pour le dialogue avec l'islam. Et en même temps, sur un plan plus pratique, qui a permis la béatification (et par conséquent la canonisation) en un temps record de Jean-Paul II; ou, plus simplement, qui aimait le dialogue non préparé avec les fidèles (il préférait écouter les questions en public et répondre en improvisant); et qui également ouvert à la surprise générale un compte Twitter, aujourd'hui cédé au Pape François, devenu sur le réseau social l'homme le plus influent de la planète.

Mais que d'opposants!
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Malgré cela, pour Ratzinger, les critiques n'ont pas manqué: à Benoît XVI, beaucoup ont reproché d'avoir été un pape trop éloigné des gens, un «pape trop restaurateur» (par opposition à François qualifié au contraire de «démolisseur» [référence au qualificatif rottamatore dont on a affublé le nouveau premier ministre Renzi]), «coupable» aux yeux de nombreux représentants à la fois internes et externes de la curie romaine d'avait signé le décret libéralisant l'usage du missel préconciliaire pour la célébration de la messe en latin, d'avoir restauré l'utilisation de certains parements sacrés ou vêtements et accessoires pour les sorties publiques du pape, désormais tombés en désuétude depuis un certain temps, d'avoir, en un mot, laissé trop d'espace dans l'Eglise aux traditionalistes.

Et parmi les opposants, ceux qui connaissaient le cardinal Ratzinger avant le conclave, le jour de son élection comme évêque de Rome avaient critiqué le nouveau pontife, imaginant que le Pape nouvellement élu allait agir de cette façon, se berçant toutefois de l'espoir que celui de Ratzinger serait «un pontificat bref, de transition».
Mais ce ne fut pas le cas et c'est aussi la raison pour laquelle sont parties, peu de temps après la fumée blanche et à intermittences calculées, des attaques féroces contre le Pape et ses collaborateurs (touchés eux aussi pour mettre le Pape en difficulté); poisons et stratégies destructrices étudiés dans les moindres détails pour blesser le pontificat de Benoît XVI: de «l'affaire de Ratisbonne» à la polémique sur l'utilisation du préservatif; des accusations américaines d'avoir enterré les cas de pédophilie à l'«affaire Williamson», jusqu'au vol de ses documents confidentiels, délit qui a traîné toute l'Eglise dans les troubles de Vatileaks.

Une saison noire, un hiver sombre que toutefois Ratzinger, aujourd'hui vieux et faible, a réussi à transformer en un printemps. Et c'est ainsi qu'est arrivé François, qui suit le chemin tracé avec précision par son prédécesseur et qui l'enrichit avec son style pastoral sans précédent. Tout cela tout en maintenant une ligne directe avec le «grand-père Benoît», gardant vivante une ligne papale, qui certes n'est pas seulement une simple ligne téléphonique.