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Benoît XVI raconté par Georg Gänswein

Angela Ambrogetti fait le compte-rendu d'une rencontre qui se tenait hier à Rome sur le thème "Voyage des papes: diplomatie et communication" (8/6/2014)

"Je ne pouvait pas entrer dans une route où il n'y avait pas de décombres, il fallait d'abord nettoyer la route".

     

Il y a à peu près un an, Angela Ambrogetti publiait un livre intituté «Sull’aereo di Papa Benedetto», recueil commenté des conférences de presse en avion de Benoît XVI durant les huit années de son pontificat riche en voyages (quoi qu'en aient dit les médias par la suite).
>>> benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/magistere-volant.html (présentation d'Andrea Gagliarducci)
A ce jour, le livre n'a pas été traduit en français et je ne pense pas qu'il le sera (un livre sur le même sujet et du même auteur, consacré aux voyages de JP II l'avait pourtant été...).
J'avais traduit la belle introduction d'Angela Ambrogetti (/benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/dans-lavion-de-benoit-xvi)

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Cette semaine avait lieu à Rome un symposium sur le thème «Voyages des papes entre diplomatie et communication», inspiré justement par ce livre.
Les deux intervenants étaient le journaliste de La Stampa Marco Tosatti, qui a parlé principalement des gestes du pape François, de leur impact communicatif et de leur portée diplomatique, et Georg Gänswein qui a fait un exposé sur les «Discours politiques de Benoît XVI dans ses voyages apostoliques en Italie».
J'ai traduit le compte-rendu de la rencontre par Angela Ambrogetti. Elle l'a fait d'après ses notes, reproduisant le langage parlé du Secrétaire de Benoît XVI.
On sent de la part de ce dernier une pointe (voire plus) d'amertume, pour le traitement qui a été réservé à son Pape pendant huit ans.

PAROLE OU GESTE, BENOÎT ET FRANÇOIS RACONTÉS PAR GEORG GÄNSWEIN
7 juin 2014
Angela Ambrogetti
http://www.korazym.org/15476/parola-gesto-benedetto-francesco-raccontati-georg-ganswein/
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Gestes et mots, logos et image, comment un pape peut-il communiquer plus efficacement, comment peut-il efficacement «faire de la diplomatie»? Questions adaptées à une rencontre universitaire. Comme celle vécue à l'Université Pontificale de la Sainte Croix en un après-midi ensoleillé en Juin, quelques jours avant un grand événement médiatique et diplomatique: la prière du pape dans les jardins du Vatican avec les présidents d'Israël et de Palestine. Dans une université, on ne fait pas l'information, on l'étudie. Même cela, pour les médias semble désormais inutile. Ainsi est née l'idée d'une journée d'étude qui avait comme «prétexte» le livre «Sull’aereo di Papa Benedetto» que j'ai publié l'an dernier en rassemblant les conférences de presse de Benoît XVI en avion. La préface était de Georg Gänswein, préfet de la Maison pontificale et secrétaire de Benoît.

Qui mieux que lui pourrait nous aider à comprendre le sens même de certains mots et le contexte de la façon de communiquer de Joseph Ratzinger dans les grands discours politiques? A ses côtés Marco Tosatti, vaticaniste d'expérience, qui a raconté le sens des gestes dans les déplacements papaux et en particulier a «lu» la gestualité du pape François .

Les exposés ont été l'occasion d'une étude plus approfondie. Les gestes et les paroles des papes, leur 'être' «diplomatie et communication vécues». En quelque sorte, le pourquoi d'un livre rassemblant des textes qui semblent destinés à être consommés rapidement. Du reste, les anciens discours de Benoît nous aident à comprendre le magistère de François. Une preuve que les «points de rupture» entre un pontificat et l'autre restent de simples lectures journalistiques (??). Parce que l'Église avance par pas, et non par sauts. Et c'est c'est sa grandeur.

L'archevêque Gänswein l'a bien expliqué en répondant aux questions de la salle à la fin de la conférence (*).

«Pour moi, au début, c'était toujours surprenant de lire sur un même discours, sur un même geste, sur le même fait, deux, trois, quatre, cinq, six journaux.
Et je me disais: mais ils parlent de la même chose? On voit que chaque journaliste, voit, interprète, présente pour ceux qui le lisent. Mais ce n'est pas toujours comme ça. Après un certain temps, la question que je me posais était: Je suis curieux de voir ce qu'ils ont fait dire au pape, comment il a été présenté?
La question était: comment ou combien est authentique ce qu'ils disent ou ce qu'ils écrivent? Ce n'est pas une critique. Plusieurs fois, des voyages ont commencé avec un vent très contraire, le pape Benoît a dû s'habituer au «vent contraire», contrairement à ce qui se passe aujourd'hui. Mais je me souviens comment l'atmosphère changeait. En Angleterre, je me souviens quand nous sommes sortis de l'avion, l'atmosphère était très froide, puis peu à peu, après les premiers discours, les premières rencontres, on pouvait voir un changement qui est ensuite parvenu au top après le discours à Westminster Hall, un discours qui a renversé la situation. Il y avait l'archevêque (d'alors) Nichols qui a dit «marvellous»! Nous avons compris que cela avait retourné l'atmosphère et de ce moment, le «vent» a changé. Et cela s'est répété dans d'autres voyages.

Mais les mots sont-ils plus clairs et éloquents que les gestes? Ou les gestes peuvent-ils aussi être être mal compris?

Marco Tosatti a expliqué que «même pour les discours d'une grande importance et s'une grande beauté , il suffit d'une "bêtise de circonstance" pour faire le titre, et le beau discours se résume à deux lignes. Et cela est encore plus fréquent à l'époque des 140 caractères.»
Pour le pape François, dit-il, le geste est une stratégie et aussi vient de sa formation: «sa formation est de "laisser faire", de jeter une idée et de voir les réactions, comment elles se développent. Il le fait aussi sur des questions controversées au sein de l'Eglise».

L'archevêque a rappelé comment naissent les gestes du pape François: «il en a lui-même donné l'interprétation, souvent ils ne sont pas pensés à l'avance, il se laisse toucher par l'Esprit, il les laisse lui venir à l'esprit à l'improviste. C'est une de ses caractéristiques et je le vois tous les jours, en travaillant avec lui, en l'accompagnant, en l'écoutant, en lui parlant. C'est une 'forma mentis', il ne faut pas oublier que le pape François est au début d'un pontificat, mais il a 77 ans. Je me souviens qu'il a tout de suite dit: j'ai 76 ans, je ne change pas. C'était une idée claire: le titre, sous-titre, et également le texte. La forme, l'expérience, les convictions, justement, qui l'ont conduit de Buenos Aires à Rome, sont réalisées et mises en œuvre maintenant non plus comme archevêque de Buenos Aires, mais comme évêque de Rome et Pasteur de l'Église universelle. L'aspect des gestes, pour lui, est une caractéristique très forte et cela aussi le distingue du Pape Benoît qui est un homme de pensée. Et même si lui aussi parlait souvent a braccio, il l'avait préparé. C'était son style, son expérience, sa 'forma mentis'. Pour le monde des médias il est clair qu'un geste parle beaucoup plus clairement, frappe davantage, un discours est beaucoup plus exigeant.
Avec le changement du monde des médias, il est plus facile de suivre un geste après l'autre, s'il y a un geste fort, clair, il reste.
Je pense qu'un geste qui en soi est clair peut également être délibérément mal interprété, mais se comprend très bien. Les gestes du pape François en Terre Sainte sont clairs, c'est autre chose si quelqu'un les interprète d'une autre manière. Et du reste, il a dit aux évêques italiens, n'oubliez pas les gestes, et il donne son exemple»

Différent était le contexte dans lequel Benoît XVI a évolué:
« Le Pape Benoît - a dit le préfet de la Maison pontificale - a eu le grand avantage de travailler pendant 23 ans à côté de Saint-Jean-Paul II. Il était connu au Vatican et aussi à l'extérieur. Mais malheureusement, il y avait beaucoup de préjugés contre le Cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Pour moi, cela a toujours été incompréhensible, mais c'était comme cela, et ça l'est resté. Au début de son pontificat, c'était peut-être un peu caché par l'enthousiasme, mais tout au fond, cela continuait. Mais à partir de Ratisbonne, le 12 Septembre 2006, à partir de ce moment, les préjugés étaient un peu comme les prétoriens: ils étaient toujours là. Malheureusement. Ensuite, dans ses voyages, sa présence a fait comprendre qu'au fur et à mesure qu'il vieillissait, les verrous des préjugés fondaient comme neige au soleil. Mais avant, il y en avait, et cela a été mon expérience, je ne pouvait pas entrer dans une route où il n'y avait pas de décombres, il fallait d'abord nettoyer la route. Et ensuite, c'est aussi ce qu'il disait, et pas seulement sa présence, qui passait dans le cerveau, mais aussi touchait le cœur. Quiconque connaît la personne d'un peu près le comprend bien.
Présence, contenu, mais ensuite, on pouvait voir que Benoît XVI a dû souffrir, mais il n'a jamais attaqué, il a essayé de répondre de manière humble, de manière claire, authentique et il n'a jamais fui, il n'a jamais essayé de ne pas affronter les vrais problèmes qui existent, mais il a essayé de donner la réponse la plus appropriée et authentique selon lui».

Un après-midi d'étude appréciée aussi par la presse qui a eu l'occasion de poser quelques questions plus personnelles à l'archevêque sur la façon dont Benoît suit le pontificat du pape François. «Il le suit chaque jour, et il a également suivi le voyage en Terre Sainte. Il fait peu de commentaires, c'est sa nature. Il pense beaucoup, mais ne parle pas beaucoup».
Et à propos de la prière de dimanche, il a dit: «C'est une invitation importante, espérons qu'elle portera des fruits».

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(*) L'exposé de Mgr Gänswein est ici en italien: www.korazym.org/15481/fondamento-giustizia-discorsi-politici-benedetto-xvi/
Je suis en train de le traduire (Les discours politiques de Benoît XVI (I) )