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Cardinaux: 2 "lectures" des choix de François

Celle du "gauchiste" italien Marco Politi. Et celle du blogueur espagnol plutôt conservateur (?) Francisco José de la Cigoña. Ils n'ont pas vraiment vu la même chose (14/1/2014)

Voir aussi sur ce sujet:
¤ Pas de pourpre pour Mgr Léonard
¤ Le nouveau collège cardinalice
¤ Des consistoires de Benoît XVI

     

Basculement vers le Sud

C'est sans doute le visage de la papauté de demain qui commence à s'esquisser ici.
Le basculement vers le Sud est voulu, et inexorable comme je le disais à chaud ici: Le nouveau collège cardinalice.
Le contraste entre les réactions aujourd'hui, et les critiques autrefois contre Benoît XVI ne laissent aucun doute que le "monde" approuve ce choix (Des consistoires de Benoît XVI ).
Le sens des nominations italiennes et curiales, tel que les interprète le blogueur espagnol est à moduler selon l'analyse très juste de Marco Tosatti (Pas de pourpre pour Mgr Léonard).
Et les "oublis" (pas seulement Mgr Léonard, mais l'Amérique du Nord, sur laquelle Benoît XVI semblait compter) sont très significatifs.

Nos remarques en italique, entre crochets...

Vu d'Espagne
Francisco José de la Cigoña (traduction de Carlota)

Le blogueur espagnol Francisco José de la Cigoña, très intéressé depuis fort longtemps par le sujet - donc expert en la matière - et évidemment par le monde de l’Hispanité (où se trouvent encore le plus grand nombre de catholique, des Amériques aux Philippines) a fait un bilan à chaud des nominations. Pour lui, rien de révolutionnaire pour le moment. Il s’en explique ici.
(Carlota)

Pas le moindre indice de révolution dans le grand nombre d’Italiens qui, une fois de plus, sont les grands bénéficiaires des créations cardinalices. Des 19 nouveaux cardinaux en comptant les trois de plus de 80 ans qui ont été créés, et par conséquent sans droit à participer à un éventuel conclave, cinq sont italiens. Et même six si nous comptons le Chilien Ezzati qui est né en Italie [la nomination de l'italien Mgr Capovilla, 98 ans, secrétaire de Jean XXIII a une valeur uniquement symbolique!]
Quatre sont de la curie, soit le quart des seize "électeurs", ce qui n’est pas non plus une mauvaise proportion. Et à l’intérieur de la curie, trois Italiens. Encore un presque rien par rapport à l’universalisation.

L’absence de Nord-Américains surprend. Même pas un. Avec le poids que cette Église a dans le catholicisme, l’oubli papal de cette nation ne tombe pas bien.

Mauvais résultat aussi pour l’Europe qui ne voit que deux nominations: l’archevêque de Londres - la Grande Bretagne n’avait au électeur au Sacré Collège car l’Écossais O’Brien n’avait même pas assisté au Conclave qui a élu François après le scandale pour sa conduite sexuelle - et celui de Pérouse.
A noter une nouvelle fois l’ajournement de Turin et de Venise qui devront attendre un autre consistoire. Deux sièges de beaucoup plus de tradition cardinalice que celui de Basseti.
En ce qui concerne Nosiglia et Moraglia, cela ne s’explique pas non plus par l’existence parmi les votants des cardinaux émérites de ces diocèses parce que ce n’est pas le cas.

Que le Patriarche de Lisbonne n’ait pas été créé peut s’expliquer par le fait que les Portugais Policarpo et Monteiro disposent encore du vote, et trois électeurs de la même nationalité seraient beaucoup.
La France est complètement oubliée.
Et la Belgique n’a aucun cardinal électeur. Peut-être à cause de l’état totalement anorexique de son catholicisme.
Si l’Allemagne a obtenu un cardinal c’est par le biais de la curie et non pas de la nationalité.
Pologne: rien. Ni l’Irlande des scandales.
L’Espagne a eu au moins un prix de consolation avec l’archevêque émérite de Pampelune bien que déjà sans droits électoraux. On dit que c’est la personne à qui François se réfère sur la situation de l’Église espagnole. Si c’est vrai nous ne sommes pas en de mauvaises mains. Mais la situation espagnole est trompeuse. Si aujourd’hui nous avons cinq cardinaux électeurs, dans trois ans, s’il n’y a pas d’autres nominations, nous n'en aurons plus qu'un: Cañizares.

Le Canadien [en 2014 aura lieu le jubilé de la fondation de la première paroisse catholique d’Amérique du Nord à Québec], le Chilien et l’Argentin - l’immédiat successeur de l’actuel Pape - étaient dans tous les pronostics.
Le Brésil ne sera pas satisfait avec seulement l’archevêque de Rio car il en espérait plus. Et le Mexique n’a même pas été pressenti, ni le conservateur de Monterrey ni le progressiste Aguiar.
Managua s'explique peut-être par la situation philocommuniste et chaviste et que le Pape a voulu fortifier l’archevêque de Managua.
Pour l’évêque haïtien, lui-même ne doit pas y croire. Peut-être comme geste de solidarité avec la tragédie de ce pays [penser aussi que ce pays d’un catholicisme historique depuis plusieurs siècles est, sous couvert d’ONG, particulièrement soumis aux prosélitismes néo-protestants nord-américaines, par exemple].

Les deux Africains, Côte d’Ivoire et Burkina Fasso, ont été nommés comme auraient pu l’être un évêque de Madagascar, de l’Angola, du Mozambique… Avec deux Africains ils ne s’en sortent pas mal.
Deux Asiatiques aussi. Séoul était obligatoire. Le second philippin beaucoup plus surprenant. L’immense majorité des catholiques n’a jamais entendu parler de l’archidiocèse de Cotobato.

Aucun représentant des Églises Orientales, aujourd’hui dans un si terrible situation.
Et le secrétaire de Jean XXIII, cela semble être un clin d’œil du Pape au Souverain Pontife qu’il va canoniser. Capovilla, avec ses 98 ans, il est bien possible qu’il ne pourra même pas aller au consistoire.
Le Sacré Collège n’a pas non plus beaucoup rajeuni. Le plus jeune des cardinaux, Baselio Cleemis (né en 1959, chef de l'Eglise catholique syro-malankare), est une création de Benoît XVI.

Des illusions ultra-progressistes de voir cardinaux: Casaldáliga, Gutiérrez, Küng, Gaillot... de même que des cardinaux au féminin, eh bien, rien de rien.
Un consistoire donc de ce qu’il y a de plus normal et qui surprend surtout pour ceux qui n’ont rien eu. De révolutionnaire, pas du tout […]
D’ici un an, à ces mêmes dates, le Pape disposera de 9 sièges vacants, sauf imprévus, et on commencera à parler d’un nouveau consistoire.

     
Vu d'Italie (de gauche)
Marco Politi (qui prend peut-être ses désirs pour des réalités, mais qui dit des choses à retenir)

Voici le vent du Sud

François déroute une fois de plus: il n'y a pas de place pour l'Europe parmi les Cardinaux.
Marco Politi
Il Fatto quotidiano (www.finesettimana.org)
14 Janvier 2014
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Voici le vent du Sud.
Les nouvelles nominations cardinalices du pape François intensifient le processus de mondialisation de l'Église et du Collège des Cardinaux. Sur les seize futurs cardinaux électeurs, un vient de Haïti, quatre d'Amérique latine, trois d'Afrique, deux d'Asie. On a calculé que d'ici cinq ou six ans, François aura rénouvelé plus de la moitié du conclave et donc laissera un collège électoral plus représentatifs des cinq continents, dans lequel le poids de l'Europe et de l'Italie sera inévitablement destinés à diminuer, car l'avenir du catholicisme n'est plus dans le Vieux Continent, mais parmi les masses du Tiers-Monde.
En attendant, la composante de l'Amérique latine est renforcée, parce que c'est là que vivent près de la moitié des catholiques du monde. Les archevêques de Buenos Aires, Rio de Janeiro, Santiago du Chili et Managua deviennent cardinaux .

Lex choix, comme c'est l'habitude du pape Bergoglio, ont été faits avec grande attention [!!] et avec la volonté de transmettre une série de signaux de politique ecclésiale. Et là, comptent aussi ceux qui ont été exclus. Et même, c'est de là qu'on peut partir.
Rino Fisichella, président du Conseil pour la nouvelle évangélisation institué par Benoît XVI, ne devient pas cardinal [on se souvient pourtant de l'ingratitude de Fisicchella envers Benoît XVI, lors de la présentation de l'Encyclique Lumen Fidei, apparemment, la flagornerie n'a pas payé, et c'est un bon point pour François]. Il n'avait pas reçu la barrette rouge lors des consistoires de 2012, parce que c'était «trop tôt». Il la perd aujourd'hui, parce qu'il est trop tard.
La «nouvelle évangélisation», François la fait personnellement avec ses interventions quotidiennes, peut-être en baptisant dans la Chapelle Sixtine - le coeur symbolique de la papauté - l'enfant d'un couple catholique marié civilement.
Il n'est même pas dit que le Conseil (pour la nouvelle évangélisation) survivre à la réforme de la Curie, qui requiert un allégement. Au-delà des sympathies de centre-droit de Fisichella et du pardon accordé aux blasphèmes de Berlusconi (choses pour lesquelles le pape argentin a peu d'intérêt, car il a déclaré close la saison des alliances politiques de l'Église), l'exclusion affecte l'un des champions des «principes non négociables» chers à Benoît XVI [ça m'avait franchement échappé!]: ligne idéologico-doctrinaire qui a longtemps tranformé l'Eglise en une «douane» [l'expression est de François] sélectionnant inexorablement les bons et les mauvais dans les domaines spirituels et civils. Exactement l'opposé de l'horizon dans lequel évolue François, pour qui prévaut évangéliquement la relation humaine d'une Eglise «hôpital de campagne» [idem!] pour les blessés de l'époque contemporaine.
Un pape qui invite à affronter la réalité d'une petite fille qui vit avec sa mère et la «fiancée de maman», ne peut pas donner la pourpre (au-delà de la personne) à quelqu'un qui considérait comme essentiel que l'Eglise empêche à tout prix une loi sur les couples civils.

Que l'archevêque de Turin ou le patriarche de Venise ne deviennent pas cardinaux est un autre signal: cela signifie que des Sièges prestigieux n'assurent pas automatiquement l'avancement de carrière.
La nomination inattendue de Gualtiero Bassetti, archevêque de Pérouse, montrant en revanche que François continue à chercher des outsider dans la province italienne, comme il l'a fait avec le nouveau secrétaire de la Conférence épiscopale, Mgr Galantino.
La pourpre accordée au préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Gerhard Müller, un ratzingérien convaincu, apparaît d'une importance particulière. Elle rentre dans la politique inclusive de François, qui ne veut pas créer une "cordée" [i.e. un groupe défendant des intérêts, avec une connotation péjorative] de bergogliens, mais qui croit que n'importe qui - quelle que soit son orientation ecclésiale - devrait participer à la réforme de l'Église vers laquelle il tend. Muller a ouvertement critiqué sur l'Osservatore Romano l'hypothèse d'accorder la communion aux divorcés remariés. François l'a créé cardinal, parce qu'il croit - comme Paul VI au temps du Concile - que dans des temps de "tournant", tout le monde doit pouvoir s'exprimer librement et avec autorité dans l'Église [on est en route vers la cacophonie?].

On pourrait trouver prévisibles - et dans une certaine mesure, elle le sont - les nominations concernant le secrétaire d'Etat Pietro Parolin, le préfet de la Congrégation pour le Clergé Beniamino Stella, le secrétaire du Synode des Évêques Lorenzo Baldisseri, mais il y une caractéristique qui les rend spéciales: ce sont tous des représentants de la classe diplomatique, qui ont été formés à l'école de finesse de Paul VI et Agostino Casaroli. Religieux, mais pas sectaires. C'est sur cette frange que François s'appuie dans le gouvernement central de l'Église