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Ce curé qui tutoie le Pape

Une réflexion sur la bonne éducation... et la possible banalisation de la papauté (3/2/2014, mise à jour)

>>> Image ci-dessous: Le Pape François rendant visite au Président de la République italienne Giorgio Napolitano

     

Le très riche site Papale papale a en haut de sa page d'accueil un bandeau défilant, qui propose aux lecteurs des liens vers ses archives. Je ne sais pas si le choix des articles ainsi rappelés se fait de façon aléatoire, ou bien si c'est le webmaster qui les choisit chaque jour (je vais me renseigner...). En tout cas, c'est une superbe ressource.
C'est ainsi que je suis tombée, par hasard, sur cet article datant du 3 décembre 2013 (www.papalepapale.com).
Il était question de la visite que venait de faire le Pape François dans la paroisse romaine de Saint Cyril, confirmant à cette occasion plusieurs jeunes.

L'article a trouvé des échos en moi.
Je me suis souvenue de la lettre envoyée par le Pape aux cardinaux qui seront créés au cours du Consistoire du 22 février, où François lui-même utilisait le tutoiement "démocratique" (www.news.va): même en admettant l'excuse de son origine latino-américaine, le Pape est désormais le Pasteur de l'Eglise du monde entier, et le tutoiement collectif et ostentatoire me gêne (il en va évidemment tout autrement du tutoiement que l'on réserve à un ami, comme par exemple celui entre Benoît XVI et le cardinal Meisner).
Et, plus loin dans le temps, je me suis souvenue de la lettre adressée au Pape François par Lucrecia Rego, qui l'avait connu comme cardinal Bergoglio à Buenos Aires (benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/un-cahier-de-doleances-pour-franois).
Bref, l'abandon des formes, la banalisation de la papauté, c'est peut-être ce qui restera de ce pontificat, au moins pour les médias (donc c'est ce que les gens risquent de retenir), et il est permis de s'interroger... et même (au moins en ce qui me concerne) de ne pas apprécier.

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Il Mastino, comme s'appelle lui-même l'auteur du site, Antonio Mastino (c'est un jeu de mot autour de son patronyme, mastino signifiant aussi "mâtin" autrement dit un gros chien) n'est sans doute pas à prendre au premier degré, car il aime provoquer. Mais la saine provocation peut parfois précéder l'indispensable réflexion...

Cette fois, il titre sur:
«LE PRÊTRE QUI TUTOIE LE PAPE ET L'APPELLE PAR SON NOM».
Suit ce qu'il qualifie de "réflexion sur la goujaterie cléricale".

Je ne traduis pas l'article en entier (www.papalepapale.com), et laisse de côté la réflexion sur "l'ennui" évoqué par le pauvre petit curé. Je glisse également sur la grossièreté (pourtant inqualifiable) témoignée à Benoît XVI, c'est d'une telle bassesse que cela ne mérite qu'un haussement d'épaule, et peut-être de la pitié: je me contente de quelques passages, autour du tutoiement, et d'abord du résumé qui est contenu dans l'introduction, et qui dit tout:

Le curé de Saint-Cyrille à Rome (photo ci-contre), en saluant le pape, ose s'adresser à lui ainsi:
«Merci, François, parce que tu es ici parmi nous ... nous avons vraiment besoin d'un pape qui réveille nos cœurs du long sommeil de l'ennui».

Il a tout dit! Sur lui-même et sur l'autre, le pape.
La révolution commence toujours par un «tu» et des coups de pied à la bouche de tout qu'«il y avait avant».
Non pas la «révolution du pape François», mais la révolution de la goujaterie cléricale, après quoi vient le chaos.

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Il Mastino poursuit:

Les questions soulevées par ces affirmations d'un prêtre lambda sont nombreuses, aucune n'est sympathique et elles vont au-delà du protocole, elles tournent au contraire autour de choses essentielles, ou, en admettant que la «forme», au moins l'éducation, ne soient pas «essentielles», autour de l'Essentiel.
Et ici le mauvais exemple vient directement du pape, dont les implications néfastes de la tournure qu'il a inaugurée, même en toute bonne foi, se verront plus tard, sur le clergé plus que sur les fidèles.

Il Mastino met directement en cause la formation reçue dans les Séminaires aujourd'hui (je ne peux pas trancher, et pour cause! mais je pense qu'il n'y a pas de raison que cela soit tellement différent de ce qui se passe dans nos lycées et nos universités), allant jusqu'à affirmer qu'autrefois, à la sortie du Séminaire, on ne pouvait pas distinguer le fils d'un prince du fils d'un paysan, tous avaient reçu une "éducation". Alors qu'aujourd'hui selon lui (je le laisse évidemment responsable de ses propos): «si tu entres au séminaire avec une éducation, tu en sors plouc. Et si tu y entres comme fils du peuple, tu en sors populiste et démagogue à quatre sous. Avide et ambitieux, et aussi atteint d'episcopite aigüe».

A ce propos, Il Mastino évoque le souvenir d'un professeur à lui qui, se présentant aux élèves le jour de la rentrée, leur dit immédiatement: «Ne me vouvoyez pas (en italien, il s'agit du Lei, de la troisième personne de politesse), on se tutoie».
Ce professeur-là, ce "prof sympa", il n'était pas respecté, encore moins aimé, et il n'a rien appris à ses élèves, qui au contraire "détestaient" - en réalité vénéraient - les professeurs qui conservaient les distances et les formes, auprès de qui ces élèves ont appris ce qu'ils savent encore.

Et il conclut:

Voilà, imaginez tout cela et appliquez le même schéma à la relation entre enseignants et séminaristes, prêtres et évêques, prêtres, évêques, et le pape. Et entre les fidèles et le prêtre. Additionez, soustrayez, et vous remarquerez que le résultat ne change pas. C'est la même chose. Là où manque l'éducation, tôt ou tard, tout le reste suit. Et du «tu», il n'y a qu'un pas au «va c...vieux c...!» (je censure!!!), adressée par le séminariste au recteur du séminaire, par le prêtre à l'évêque, par l'évêque au pape, par tous à tous. Maintenant, essayez d'imaginer le même schéma appliqué à, disons, l'armée... : le résultat ne change pas. Le chaos!

L'éducation est faite pour l'homme, comme l'homme est fait pour être éduqué. De gré ou de force. Tout cela commence souvent par un «Vous» à la place du «tu».

Il Mastino apporte une image pour illustrer son propos. Celles des cardinaux Roncalli (futur Jean XXIII) et Siri. Je la trouve magnifique, comme son commentaire:

Roncalli et Siri: ils semblent deux princes, parce l'Eglise se sert de "seigneurs", qui se font serviteurs des serviteurs. Ils semblent deux princes, mais l'un est le fils d'un paysan, et l'autre d'un concierge. Entrés dans la plus grande et vraie démocratie du monde: l'Eglise.

Plus récemment, le cardinal Ratzinger, fils d'une modeste famille bavaroise, mais toujours d'une élégance royale, dans sa mise, ses manières, ses paroles, n'en est-il pas le plus magnifique des exemples?

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Mise à jour:
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Merci à Belgicatho pour le beau commentaire: http://belgicatho.hautetfort.com/archive/2014/02/03/a-propos-du-tutoiement-5288936.html