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Ce Pape qui plaît trop

Une recension, dans Il Corriere della sera, du livre de Giuliano Ferrara cosigné par Mario Palmaro (15/3/2014)

>>> Cf.
Mario Palmaro, un prophète

Le livre rassemble les articles de Gnocchi et Palmaro publiés sur Il Foglio, parmi lesquels certains ont eté traduits ici (1).

     

LE PAPE POP QUI PLAÎT À TROP DE GENS.
Les risques pour l'Eglise lorsque le consensus vient des non-croyants

Pierluigi Battista
Il Corriere della Sera (Source: ilsismografo.blogspot.fr)
Traduction benoit-et-moi.
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Le sous-titre de «Questo Papa piace troppo», le livre de Giuliano Ferrara, Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro qui vient d'être publié énonce: Une lecture critique passionnée.
En fait, deux fois passionnée. Dans le sens où elle est écrite avec passion. Et parce que le sujet du livre est passionnant, la première année du pontificat de François, traité avec respect, mais aussi, comme l'a noté Ferrara, avec l'«ouverture d'esprit» des trois auteurs.

Trois auteurs très différents.
Giuliano Ferrara, qui est «hors de l'Église» et qui n'a pas la foi, mais qui considère comme «perdue l'humanité sans la foi, fanatisée et formatée par l'incrédulité comme religion des Lumières et du politiquement correct».
Et le duo Gnocchi et Palmaro, «fidèles catholiques» qui aiment l'Église romaine, la papauté, la doctrine, la «plenitudo potestatis du vicaire du Christ», la liturgie, les parements, le christianisme qui sait vivre «en contradiction avec le monde», et qui n'acceptent pas l'idée d'un conflit irréductible entre la miséricorde et la rigueur.
Juste à la veille de la sortie de l'ouvrage, Palmaro a quitté ce monde (ndt: il m'est difficile de ne pas y voir un signe). Sa culture et sa verve polémique, que beaucoup d'entre nous ont connu peut-être trop tard, manqueront. Mais Palmaro, combattant subtil et ironique, n'aurait pas voulu d'éloge funèbre, mais plutôt des discussions ouvertes sur les thèses qu'avec Gnocchi il a voulu exposer d'abord sur «Il Foglio» puis dans ce livre.
Donc, deux dévots de la tradition catholique, qui n'aiment pas, et même considérent comme dangereuse la dérive "clericalpop" vers laquelle le pape François conduirait une église réduite à un «hôpital de campagne». Et un non-croyant amoureux de la combinaison entre Foi et Raison théorisée et promue par le pape Ratzinger (dans le sillage de Jean-Paul II) et qui, aujourd'hui, est alarmé par le nouveau Pontife qui «plaît trop».

Il plaît trop? Et à qui? Et pourquoi l'«alarme»?
Sur la part purement doctrinale et d'histoire ecclésiastique de cette discussion, d'autres, comme Alberto Melloni et Vittorio Messori, pourraient intervenir dans ces colonnes mieux que l'auteur de ces lignes, ponctuellement et avec responsabilité.
Mais le pape François a donné le coup d'envoi à une révolution qui pèsera sur l'ordre moral du monde, et pas seulement les catholiques et les croyants, qui passera à l'histoire, qui redessinera le rôle de l'Église dans les sociétés sécularisées.
Et c'est précisément cette préoccupation qui unit Ferrara et les deux fidèles: que la façon révolutionnaire du pape de se présenter soit également le prologue médiatique d'une révolution de la doctrine qui perturbe la manière d'être même de l'Église catholique.
Ou encore «parfois je pense que l'aventure va mal se terminer, mais à ma façon, j'espère», dit Ferrara. Qui semble plus enclin à relier les choix du jésuite Bergoglio à l'enseignement d'Ignace, le fondateur de la Compagnie de Jésus, pour «se rendre aimable» pour «conquérir» les hérétiques de notre temps», afin qu'ils nous aiment et nous fassent bon accueil. Ou du moins, on espère fortement qu'il en sera ainsi «une reconquête mimétique du siècle en utilisant des moyens acceptables par lui».

Alors que Gnocchi et Palmaro voient dans le style «pop» du nouveau Pape non seulement les prémisses de possibles révolutions doctrinales mais aussi la marque d'une proximité excessive entre l'Eglise et le monde, entre sa sacralité et la dimension profane du siècle. Qui est ce qui plaît aux non-catholiques, et est en train de faire du nouveau pape une icône à consommer.

Palmaro et Gnocchi n'aiment pas «l'abaissement de la marche sur laquelle était posée la Chaire». L'excès de confiance. Le désir de plaire et de faire tomber les barrières de la méfiance qui ont été érigées à l'époque du pontificat de Ratzinger. Ils n'aiment pas qu'ait «éclaté la paix» à cause des gestes d'un pape qui, quand il va à Assise, «se met en phase avec son temps». Le pape, qui sourit, qui pénètre dans l'avion qui l'emmène au Brésil avec le sac à la main, qui fait un «impressionnant affichage de pauvreté». Le pape des «danses à Copacabana». Et les chaussures déformées, et l'appartement à Santa Marta, et le «buona sera». Ferrara écrit qu'à travers les gestes du pape François, et les jugements qui semblent céder au relativisme éthique critiqué par Benoît XVI, «les mécréants d'antan ont soudainement embrassé une idée confortable de la foi qui les met à l'abri de conséquences de la culture chrétienne». Il les appelle «les laïcs dévots», pour se venger de ceux qui l'avaient appelé «athée dévot».
Mais le livre, plein de doutes, est une bouffée d'oxygène, trahissant un véritable désir de déchiffrer les signes d'une papauté qui marquera de toutes façons un tournant dans l'histoire moderne.

Et certes, l'image de l'Église comme un «hôpital de campagne» reflète l'angoisse d'un pape qui a vu le monde sécularisé tourner le dos à l'enseignement chrétien, mettre sous accusation les institutions ecclésiastiques et témoigner de l'intélorance envers les rigidités doctrinales et morales d'un catholicisme qui n'est pas prêt à renoncer à une identité forte. Une image que Gnocchi et Palmaro n'ont décidément pas appréciée. Et que Ferrara regarde avec «alarme», espérant que François «décevra le demi-monde qui l'applaudit, le courtise, le cajole par tous les moyens».
D'où ce livre exprimant des doutes quant à un pape qui «a licencié la raison et l'intelligence de la foi de l'avant-scène, inversant les paramètres de ses deux prédécesseurs immédiats, maîtres de Lumières chrétiennes».
Un pape qui plaît trop, et qui, dans ces pages, déplaît plutôt.

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(1) Note