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Célibat des prêtres: c'est reparti

Les "femmes de prêtres" interpellent le Pape. Dossier (18/5/2014, mise à jour le 19)

     

Vingt-six compagnes de prêtres ont demandé au pape François de réfléchir au célibat des hommes d'Eglise, dans une lettre ouverte publiée samedi par le site Vatican Insider.
«Nous aimons ces hommes et ils nous aiment», écrivent ces femmes qui signent de leur prénom et avec l'initiale de leur nom, dans ce courrier envoyé en recommandé au Vatican et dont le site spécialisé dans les informations religieuses a obtenu copie (ndlr: cela n'a donc aucune valeur: il s'agit purement et simplement de lettres anonymes)

«Cher pape François, nous sommes une groupe de femmes de toutes les régions d'Italie (et pas seulement) qui t'écrivons pour rompre le mur du silence et de l'indifférence sur lequel nous butons chaque jour. Chacune de nous vit, a vécu ou voudrait vivre une relation d'amour avec un ecclésiastique, dont elle est amoureuse», affirment-t-elles.

Ces femmes, qui ont laissé leur numéro de téléphone au bas de la lettre, veulent, «avec humilité, porter à (tes) pieds notre souffrance jusqu'à ce que quelque chose change, non seulement pour nous, mais aussi pour le bien de toute l'Eglise».
(http://www.lefigaro.fr/flash-actu/)

     

Comment le Pape va-t-il se sortir de ce nouvel imbroglio?

L'article de Vatican Insider dont il est question est signé d'Andrea Tornielli et j'ai eu la curiosité de le lire en vo ici.

Voici la suite (on voit qu'une fois de plus, il est nécessaire d'appeler Benoît XVI à la rescousse)

     

Bergoglio

Andrea Tornielli,
http://vaticaninsider.lastampa.it/news/dettaglio-articolo/articolo/francesco-francisco-francis-preti-priests-sacerdotes-34149//pag/1/
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Comme on le sait, Bergoglio, comme cardinal de Buenos Aires, mais aussi dans les premiers mois de son pontificat jusqu'à la mort de la femme, en Novembre de l'année dernière, avait gardé le contact avec Clelia Luro, la veuve de l'ancien évêque Jerónimo del Podestà. En 2000, l'archevêque Jorge Mario Bergoglio avait assisté Podestà sur son lit de mort. En 1966 Podesta, quarante-cinq ans, évêque du diocèse de Avellaneda, avait rencontré Clélia - alors trente-neuf, séparée et mère de six filles - commençant avec elle une relation qui le conduira à abandonner l'épiscopat l'année suivante. En 1972, il était démis de l'état clérical et avait épousé la femme.

Néanmoins, Bergoglio ne s'est jamais exprimé pour l'annulation de la tradition latine du célibat.
Dans le dialogue avec le rabbin Abraham Skorka publié dans le livre «Il cielo e la terra», il avait dit:
«C'est une question qui est examinée dans le catholicisme occidental, à la demande de certaines organisations. Pour l'instant, on garde fermement la discipline du célibat. Plusieurs personnes disent, avec un certain pragmatisme, que nous perdons "de la main-d'œuvre". Si, par hypothèse, le catholicisme occidental devait examiner la question du célibat, je pense qu'il le ferait pour des raisons culturelles (comme en Orient), et non comme une option universelle».

«Pour le moment - poursuivait Bergoglio - je suis en faveur du maintien du célibat, avec tous les avantages et les inconvénients que cela comporte, car ce sont dix siècles d'expériences positives plutôt que d'erreurs ... La tradition a un poids et une validité. Les ministres catholiques ont choisi progressivement le célibat. Jusqu'à 1100, il y en avait qui le choisissaient, et d'autres pas ... c'est une question de discipline et non de foi (mais que dit le futur Pape??). On peut changer. Personnellement l'idée de me marier ne m'a jamais traversé l'esprit».

Ce que le futur pape ne pouvait pas tolérer, c'était la double vie des prêtres.
«Si l'un d'eux vient me voir et me dit qu'il a mis une femme enceinte, je l'écoute - dit Bergoglio dans le dialogue avec le rabbin - j'essaie de le rassurer et peu à peu je lui fais comprendre que la loi naturelle vient avant son droit en tant que prêtre. Par conséquent, il doit quitter le ministère et prendre en charge l'enfant, même s'il décide de ne pas épouser la femme. Parce que de même que cet enfant a le droit d'avoir une mère, il a également le droit d'avoir un père avec un visage. Je sm'engage à régulariser tous ses documents à Rome, mais il doit tout quitter. Maintenant, si un prêtre me dit qu'il s'est laissé emporter par la passion, qu'il a fait une erreur, je l'aide à se corriger. Il y a des prêtres qui se corrigent, d'autres non. Certains, malheureusement, ne viennent même pas le dire à l'évêque».
Se corriger, pour Bergoglio signifie «faire pénitence, respecter le célibat. La double vie ne nous fait pas de bien, je n'aime pas ça, c'est donner de la substance au mensonge. Parfois, je leur dis: "Si tu n'es pas capable de le supporter, rends une décision".»

À propos du célibat, il ne faut pas oublier que, sans changer la position traditionnelle, confirmée par ses prédécesseurs et les Synodes des évêques, Benoît XVI en Novembre 2009 a entrebaillé une nouvelle porte, même si elle est limitée aux communautés anglicanes décidées à rejoindre la communion catholique. Comme on le sait, par la Constitution apostolique "Anglicanorum Coetibus", le pape Ratzinger a institué les ordinariats anglo-catholiques. Dans le deuxième paragraphe de l'article 6 de la Constitution, après qu'ait été réaffirmée la règle du célibat pour l'avenir, le Pontife allemand prévoyait la possibilité d'«admettre au cas par cas aux ordres sacrés des hommes mariés, selon des critères objectif approuvés par le Saint-Siège».

Dans tous les cas, comme cela ressort aussi de la pratique des Eglises orthodoxes et les Eglises orientales en communion avec Rome, il n'a jamais été question d'accorder au prêtre ordonné la possibilité de prendre une femme, mais seulement d'admettre au sacerdoce (jamais à l'épiscopat) des hommes déjà marié.

     

Messori

A ce sujet, ans un article paru en février 2008 sur l'hebdomadaire Oggi (version italienne de Paris-Match, pour faire court) Vittorio Messori écrivait, sur le ton de l'humour:

Dans une societé où on se marie de moins en moins et où plus de la moitié des couples finit devant le juge, il y a seulement deux catégories qui demandent passionnément le mariage, le regardant comme une merveilleuse Terre Promise. Ce sont les gays et les prêtres…

Avant d'ajouter, plus sérieusement:

D'abord, l'entrée au séminaire est volontaire et, comme cela se produit pour chaque choix sérieux, il y a des règles à respecter. Le célibat est parmi celles-ci.
Aujourd'hui, en Occident, on ne rencontre plus les cas de très jeunes gens poussés à se faire prêtres par des conditions de pauvreté, de recherche de statut social, de pression familiale. Beaucoup de ceux qui, une fois ordonnés, se sont ensuite « repentis », sont sortis au cours des décennies passées et ils ont convolé à ces noces qu'ils désiraient si ardemment. Dans les monastères, les couvents, les séminaires, il y a donc aujourd'hui de vrais « volontaires »: on ne voit pas pourquoi ils se sont engagés si les règles ne les convainquent pas. Dans tous les cas, les portes sont toujours ouvertes (vers la sortie) pour ceux qui ne sont pas contents.

En outre il est illusoire de répéter qu'un clergé marié résoudrait les problèmes. Les pasteurs protestants, les popes orthodoxes, les rabbins juifs se marient depuis toujours. Pourtant, même dans ces communautés la «crise des vocations» perdure et les aspirants sont de moins en moins nombreux.

Enfin, il n'est pas vrai que ce n'est qu'après de nombreux siècles que l'Église aurait imposé d'autorité la chasteté aux prêtres et aux soeurs.
Dans un livre publié récemment, j'ai reconstitué cette longue histoire, en arrivant à la conclusion (fondée sur des documents inattaquables) que la virginité consacrée, ou bien l'abandon de l'épouse en cas de « vocation tardive », remonte non pas au Moyen-âge mais à l'époque même des Apôtres et se base sur les propres paroles du Nouveau Testament.
(http://benoit-et-moi.fr/2008-II)

     

Küng

Evidemment, Hans Küng ne pouvait pas être en reste dans ce débat.
Il écrivait en 2010, dans une tribune largement médiatisée et publiée en particulier dans Le Monde, où il dénonçait le célibat des prêtres comme cause de la pédophilie (http://benoit-et-moi.fr/2010-I/):

Le célibat n'était pas encore en vigueur pendant le premier millénaire de l'ère chrétienne. En Occident, il a été institué au XIe siècle sous l'influence de moines (qui, eux, étaient des célibataires par choix). On le doit au pape Grégoire VII, celui-là même qui a contraint l'empereur du Saint Empire romain germanique à s'agenouiller devant lui à Canossa (1077), et cela en dépit de l'opposition virulente du clergé italien et plus encore du clergé allemand.
...
La règle du célibat devait (..) devenir - en même temps que l'absolutisme papal et le renforcement du cléricalisme - un pilier essentiel du "système romain". Contrairement à ce qui a cours dans les Eglises d'Orient, le clergé occidental, ainsi voué au célibat, apparaît de ce fait comme complètement séparé du peuple chrétien : comme une classe sociale dominante singulière, fondamentalement au-dessus des laïcs, mais totalement soumise à l'autorité pontificale romaine. Or l'obligation du célibat constitue aujourd'hui la cause principale du déficit catastrophique en prêtres, de l'abandon - lourd de conséquences - de la pratique de la communion et dans bien des cas de l'effondrement de l'assistance spirituelle personnalisée (1).

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(1) Lire à ce sujet l'article d'Yves Chiron dans Présent que j'avais heureusemnt archivé ici: benoit-et-moi.fr/2010-I

     

Ratzinger

Il est temps (une fois de plus, et je reprends ici un article déjà publié) de faire appel au pape émérite, et de relire ce qu'il disait à Peter Seewald en 1997 dans "Le Sel de la terre" (http://benoit-et-moi.fr/2010-I)

Joseph Ratzinger sur le célibat sacerdotal
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À l'origine [du célibat des prêtres], il y a une parole du Christ. Il y a, est-il dit, ceux qui renoncent au mariage au nom du royaume des cieux et qui de toute leur existence témoignent du royaume des Cieux. L'Église est arrivée très tôt à la conviction qu'être prêtre signifie donner ce témoignage.

Si nous avons tant de difficulté aujourd'hui à comprendre cette sorte de renoncement, c'est parce que notre relation avec le mariage et les enfants a radicalement changé. Mourir sans enfants signifiait autrefois avoir vécu inutilement : la trace de ma vie se perd, et je suis tout à fait mort. S'il existe des enfants de moi, je continue à vivre en eux, c'est une sorte d'immortalité que j'obtiens grâce à ma descendance. Aussi, la première condition pour vivre vraiment, c'est d'avoir une descendance et de rester ainsi sur la terre des vivants.

...Le renoncement au mariage et à la famille doit être compris de ce point de vue : je renonce à ce qui est humainement non seulement le plus normal, mais aussi le plus important. Je renonce à fournir de la vie à l'arbre de vie, à avoir ma propre terre de vie, et je crois que mon pays est réellement Dieu - et ainsi je rends crédible aux autres l'existence du royaume de Dieu.
Le célibat a donc en même temps un sens christologique et apostolique. Il ne s'agit pas seulement d'économiser du temps - j'ai un peu plus de temps à ma disposition parce que je ne suis pas père de famille -, cela serait une vue trop primitive et trop pragmatique. Il s'agit vraiment d'une existence qui mise tout sur la carte de Dieu et abandonne ce qui seul rend en principe une existence adulte et lui donne de l'avenir.

Ce n'est certainement pas un dogme. C'est une habitude de vie, qui s'est formée très tôt dans l'Église pour des motifs fondés, tirés de la Bible. De nouvelles recherches montrent que le célibat remonte encore bien plus loin que les sources juridiques connues ne le disent, jusqu'au IIème siècle.

Ce qui révolte aujourd'hui les gens contre le célibat, je crois, c'est de voir que tant de prêtres ne l'admettent pas en eux-mêmes, le vivent hypocritement, ou mal, ou pas du tout, ou au milieu de grands tourments...

[...] Il faut comprendre que dans les époques où le célibat est en crise, le mariage l'est également. Car aujourd'hui nous ne sommes pas confrontés aux seules ruptures du célibat, le mariage lui-même, comme base de notre société, est de plus en plus fragile. Dans les législations des États occidentaux, nous voyons qu'il est de plus en plus placé sur le même niveau que d'autres modes de vie et de plus en plus souvent dissous devant les tribunaux. La difficulté de vivre vraiment le mariage n'est pas moindre, en fin de compte. Pratiquement parlant, tout ce que nous obtiendrions après l'abolition du célibat, ce serait une autre sorte de problématique, celle du divorce des prêtres. L'Église protestante ne l'ignore pas.

[...Nous devons] choisir avec plus de soin encore les candidats au sacerdoce.
Le sacerdoce ne doit être assumé que librement, il ne s'agit pas de dire : Eh bien, je voudrais devenir prêtre, je m'arrangerai de ça comme du reste. Ou de dire : Allons, les filles ne m'intéressent pas tellement, je m'en sortirai bien. Ce n'est pas une base de départ. Le candidat au sacerdoce doit reconnaître que la foi est la force de sa vie et doit savoir qu'il ne pourra assumer ce mode de vie que dans la foi.
...
Je dois faire clairement entendre qu'en tout cas le serment prononcé avant l'ordination empêche qu'il y ait des célibataires forcés. On n'est admis au sacerdoce que si on le veut de son plein gré.

Cela paraît tout à fait flagrant [...] qu'il y a un rapport entre la crise du célibat et la crise du mariage. Dans les deux cas, il s'agit d'une décision de vie définitive, qui concerne le centre de ma propre personnalité : puis-je dès maintenant, disons, à vingt-cinq ans, disposer de ma vie entière ?
L'homme est-il capable d'une telle chose ? Est-il possible de supporter cela et de s'épanouir comme être vivant et de mûrir - ou ne dois-je pas plutôt me garder constamment ouvert à d'autres possibilités ? Au fond, la question se présente ainsi : l'homme a-t-il la possibilité de fixer définitivement le domaine central de son existence ? Peut-il, en décidant de sa manière de vivre, assumer un lien définitif ? À cela je répondrai deux choses : il ne le peut que s'il est réellement et solidement ancré dans la foi ; et deuxièmement, c'est seulement ainsi qu'il arrive à la plénitude de l'amour humain et de la maturité humaine. Tout ce qui reste inférieur au mariage monogame est trop peu pour l'être humain.

Je crois que l'on n'améliorera rien au fond en renonçant à cette condition, mais que l'on ne fera que masquer une crise. Naturellement, c'est une tragédie pour une Église quand beaucoup de prêtres mènent plus ou moins une double vie. Ce n'est malheureusement pas la première fois. Â la fin du Moyen Âge, nous avons eu une situation semblable, ce fut l'une des causes de la Réforme. C'est un processus tragique, sur lequel on doit réfléchir, au nom aussi des hommes qui en souffrent réellement. Mais je crois, et d'après le résultat du dernier synode épiscopal c'est la conviction de la grande majorité des évêques, que la véritable question est la crise de la foi. En cédant sur ce point, nous n'aurions pas des prêtres plus nombreux et meilleurs, mais nous masquerions cette crise et nous obtiendrions malhonnêtement des solutions par un moyen illusoire.

Il ne faut cependant pas considérer comme tout à fait absolue une habitude de vie de l'Église, si profondément ancrée et fondée soit-elle. Il est certain que l'Église devra toujours se poser la question, elle vient de le faire lors de deux synodes.
Mais je pense, d'après toute l'histoire de la chrétienté occidentale et aussi d'après la vision intérieure qui préside à l'ensemble, que l'Église n'aurait pas grand-chose à gagner en s'orientant vers cette dissociation ; elle perdra beaucoup si elle le fait.
...
Je ne crois pas que l'argument [selon lequel le célibat doit être aboli pour la seule raison, déjà, que sans cela l'Église n'aura plus de prêtres] soit vraiment fondé.
La question du renouvellement des prêtres a plusieurs aspects. Elle est d'abord en relation avec le nombre d'enfants. Si aujourd'hui la moyenne du nombre d'enfants est de 1,5, la question des vocations possibles se pose tout autrement qu'en des temps où les familles étaient nettement plus nombreuses. Et les familles d'aujourd'hui ont des projets bien différents. Nous constatons que les principaux obstacles au métier de prêtre viennent souvent des parents. Ils nourrissent de tout autres espoirs pour leurs enfants. C'est le premier point. Le second point, c'est que le nombre de chrétiens actifs est beaucoup plus réduit et donc que le groupe où le choix pourrait se faire est devenu plus petit. Relativement au nombre d'enfants et au nombre des membres vraiment croyants de l'Église, le renouvellement des prêtres n'a sans doute pas faibli. Il faut donc tenir compte de cette proportion. La première question à poser est celle-ci : y a-t-il des croyants ? Et ensuite seulement vient la seconde question : donnent-ils des prêtres ?

     

Mise à jour le 19

Commentaire de Monique
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Le Pape n'a pas fini d'être soumis à un feu nourri de revendications.
Après les synodes, il s'occupera peut-être de cette question.
Je note que, contrairement à Benoît XVI et à Messori, il ne croit pas à l'antiquité de la discipline du célibat. Tous les adversaires du célibat des prêtres (qui sont incapables de percevoir la valeur spirituelle de la consécration exclusive à Dieu) disent qu'il a été instauré au XIe siècle pour des raisons pécuniaires.
Le Cardinal Bergoglio se dit partisan du maintien de la discipline du célibat. Un archevêque ne peut pas dire autre chose que le Pape. Je ne suis pas persuadée que le Pape Bergoglio maintiendra cette position d'une façon absolue, même si elle a sa préférence. S'il aborde cette question, il consultera largement, comme il l'a fait pour le synode, et il sera sensible à certains arguments en faveur de l'abandon de cette discipline. La miséricorde jouera son rôle. Dans un premier temps, il acceptera peut-être l'ordination presbytérale de diacres mariés. Il n'ouvrira peut-être pas toutes les vannes, créant beaucoup de déceptions.