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Deux Papes pour une nouvelle année...

libre de prévisibilité: L'éditorial d'Angela Ambrogetti, à la charnière de deux années (1er/1/2014)

Angela Ambrogetti est l'une des très rares vaticanistes (avec Andrea Gagliarducci et Sandro Magister) non seulement à ne pas avoir oublié Benoît XVI, mais à le rappeler presque systématiquement dans ses éditoriaux.

Ici, elle semble accréditer le concept - glissant - de "pontificat bicéphale". Peut-être, s'il s'agit d'évoquer un Pape priant, et un autre agissant. Mais du point de vue des décisions de gouvernement, c'est à mon avis impensable (1), surtout connaissant la mentalité et la discrétion de Benoît XVI.

Elle dit aussi son souci et son souhait que l'Eglise ne se laisse pas instrumentaliser par des "volontés extérieures" qui cherchent à l'aligner au monde et à la considérer comme une simple entreprise.

     

Deux Papes pour une nouvelle année libre de prévisibilité
31/12/2013
Angela Ambogetti
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Chaque année à ce moment, on fait un bilan. Mais comment, en ce 2013, peut-on faire le bilan d'une innovation? Au plus, on peut travailler sur le futur. L'innovation, pour le Vatican, l'Eglise et le monde, c'est la présence de deux Pontifes. Nous n'y réfléchirons jamais assez. Le grand geste du Pape Benoît n'est pas, comme le voudraient certains, grand parce que "il a compris qu'il n'en pouvait plus". Je crois plutôt que la grandeur est dans l'intuition d'une manière nouvelle d'exercer le ministère pétrinien. Intuition que le Pape François a suivie. Parce que, en plus des rencontres officielles avec caméras et photographes, il y a les rencontres privées, les coups de téléphone, et même les repas.

Nous ne saurons jamais ce que se disent François et Benoît, mais ce qui est certain, c'est que l'échange existe, et qu'il est constant. Voilà l'innovation. En cette année, le meilleur consultant d'un Pape est un Pape.

Et tandis que nous nous approchons de la première année du Pontificat de François, on peut évaluer quelques-uns des choix de Bergoglio à la lumière des lignes tracées par Benoît dans les huit années d'un pontificat vécu à contre-courant.

Au Vatican, dans les derniers mois, après des années de torpeur, il semble que la chose la plus importante soit l'impact médiatique de ce que fait ou ne fait pas le Pape.

Entendons-nous. Dans la société d'aujourd'hui, les médias sont très importants. En ce sens que l'exposition médiatique est excessive pour quiconque. Même les réseaux sociaux ne sont rien d'autre que cela: une surexposition du privé.

Mais au Vatican, ces derniers temps, certains semblent vouloir donner plus d'importance à ce qui s'écrit sur les journaux plutôt qu'aux faits réels. Un syndrome périlleux, qui a porté à surestimer le rôle des "consultants externes", portant le Saint Siège à être comme une quelconque entreprise.

Voilà un des points cruciaux de ce 2013 qui s'achève, et voilà aussi ce que Benoît XVI a cherché à éviter avec sa renonciation: on ne doit pas dénaturer l'Eglise, et on ne doit pas être esclaves de l'opinion "publiée". L'Eglise est pour l'homme, comme le répétait souvent Jean Paul II. Ceci requiert une vision ample, qui ne se limite pas à la réorganisation administrative de quelque bureau.

Les commissions des huit cardinaux que le Pape François a nommés, suivant, comme il l'a dit lui-même, le vouloir des cardinaux lors des Congrégations générales, ont un travail long et complexe, mais ne semblent pas encore avoir une vision large. Celle préposée à la révision économique, en particulier, a pour défi de résister à des volontés extérieures au Saint-Siège, et la compréhension de sa mission.

Et les propositions de réforme de la Curie qui semblent avoir le plus de succès dans le mainstream médiatique sont celles qui ressemblent à un banal plan de réorganisation d'une entreprise. Mais l'Eglise n'est pas une entreprise.
Du reste, c'est le Pape lui-même, dans son discours à la Curie, qui a tracé encore une fois le portrait-robot de l'homme de Curie idéal. Et il ne ressemble pas du tout à un "consultant extérieur"

Voilà donc le pas que l'Eglise du monde entier attend, qu'attendent les Eglises locales qui depuis des décennies cherchent une identité profonde qui vienne du Concile, et non de ceux qui veulent le manipuler. Voilà ce qu'attendent les gens ordinaires, qui cherche dans l'Eglise certitude doctrinale et miséricorde, voilà ce qu'attendent du Saint-Siège les institutions internationales qui se basent sur son expérience millénaire dans les rapports entre les hommes de différentes races, cultures et religions.

C'est l'attente de 2014. Après l'acte courageux de Benoît qui a voulu briser une routine prévisible, à présent, du Pape François, le monde attend tout autant d'actes courageux, libres de l'esclavage du prévisible.

http://www.korazym.org/11970/due-papi-per-un-nuovo-anno-libero-dalla-prevedibilita/

     

(1) A ce sujet, souvenons-nous d'une interviewe (encore plus intéressante, si on la lit aujourd'hui, à la lumière des tensions qui traversent l'Eglise en Allemagne) accordée par le cardinal Kasper à Paolo Rodari, le 6 mars 2013, pratiquement à la veille de l'ouverture du Conclave (cf. benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/kasper-versus-ratzinger-suite)
Le théologien allemand, auquel François rendait un hommage appuyé lors de son premier angélus, répondait à la question "Eminence, que direz-vous à Benoît XVI quand vous irez le trouver, après la fin du conclave?". Et sa réponse était tranchante comme une lame:
- Beaucoup de choses. La première est une recommandation. Je lui suggèrerai de ne se laisser utiliser par personne. C'est un trop gros risque que le gouvernement de l'Eglise subisse son influence. Cela ne doit pas être. Il a fait un choix clair, ce qui suppose de se mettre en retrait. Il devra, par conséquent, être discret. Éviter d'entrer dans les questions relatives à la gouvernance des politiques de l'Église, dans les politiques ecclésiales...