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François et Benoît: homélies de consistoire

Un article d'Andrea Tornielli, qui donne à réfléchir (25/2/2014)

>>> Image ci-contre sur Le Figaro.
>>> Texte de l'homélie de François: http://www.vatican.va

L'homélie prononcée par François dimanche matin devant les cardinaux a beaucoup plu aux media - qui détestent l'Eglise: pensez donc, les "princes" de cette institution honnie étaient sévèrement fustigés par son Chef lui-même. Une station de radio que je ne savais pas si assidue à la messe, nous a même offert un extrait du sermon papal.
Il est probable que cette punition était méritée par certains... mais son caractère collectif, et surtout sa dureté sont quand même assez surprenants, et tranchent avec le ton d'admonestation paternelle adopté par Benoît XVI dans des circonstances analogues .

Fait inédit: Andrea Tornielli a fait un "travail" que je me suis à plusieurs reprises risquée à faire dans ces pages - non sans quelque mauvaise conscience, puisque certains m'ont accusée d'opposer vainement les deux papes. Aucun soupçon de ce type ne peut effleurer Andrea Tornielli, qui a mis en parallèle l'homélie de François avec deux homélies prononcées par Benoît XVI lors de consistoires. Sans doute dans le but de souligner la continuité, plus nécessaire que jamais au moment où François s'engage sur la voie difficile des réformes... et que le consensus n'est plus aussi assuré.

     

François et Benoît contre le carriérisme

Les mots sans ambiguïté de Bergoglio sur les intrigues, les "cordées" et le favoritisme sont en continuité avec les messages (non entendus) de son prédécesseur
Andrea Tornielli
http://vaticaninsider.lastampa.it
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Les paroles adressées hier matin à Saint-Pierre par François aux nouveaux cardinaux sont sans équivoque et il est difficile de ne pas y lire un reflet de la saison des Vatileaks: «Le Cardinal - a dit le Pape - entre dans l'Eglise de Rome, il n'entre pas dans une cour. Evitons tous et aidons nous mutuellement à éviter les habitudes et les comportements de cour: intrigues, ragots, "cordées", favoritisme, préférence. Que notre langage soit celui de l'Evangile: «Oui, oui, non, non», que nos attitudes soent celles des Béatitudes, et notre chemin celui de la sainteté».

Esprit de cour, intrigues, ragots, favoritisme, préférences (on pourrait aussi ajouter népotisme) ne sont donc pas des catégories inventées par les journalistes (!!!). Si le pape cite ces pathologies, les appelant par leur nom, cela signifie qu'ils représentent plus qu'un risque passé.
François, dans son homélie de la messe concélébrée par les cardinaux, a également dressé un portrait-robot du cardinal: « Être saint n'est pas un luxe, c'est nécessaire pour le salut du monde. Chers Frères Cardinaux, le Seigneur Jésus et la Mère Eglise nous demandent de témoigner avec plus de zèle et d'ardeur ces attitudes de sainteté. C'est justement dans ce supplément d'oblativité gratuite que réside la Sainteté d'un cardinal. Par conséquent, aimons ceux qui nous sont hostiles; bénissons ceux qui nous calomnient; saluons avec un sourire ceux qui ne le méritent peut-être pas; n'aspirons pas à nous faire valoir, mais opposons la douceur à l'arrogance, oublions les humiliations subies. Laissons-nous toujours guider par l'Esprit de Christ, qui s'est sacrifié sur la croix, afin que nous soyons des «canaux» dans lesquels court sa charité. C'est cela l'attitude, c'est cela la conduite d'un cardinal».

Et à l'Angelus, peu de temps après, François a rappelé: «ceux qui ont reçu un ministère de la conduite, de la prédication, d'administrer les sacrements, ne devraient pas se considérer comme les propriétaires de pouvoirs spéciaux, mais se mettre au service de la communauté, l'aidant à marcher avec joie sur le chemin de la sainteté», ils doivent être «serviteurs», et non pas «maîtres».
Se mettre au service, pas sur un piédestal, pour être honoré. Ce portrait-robot du pasteur qui vit au milieu du troupeau pour le servir, et n'a pas la mentalité du prince, est l'un des thèmes récurrents du pontificat (1).

L'invitation à ne pas considérer l'élévation à l'épiscopat ou au cardinalat comme un «pouvoir», mais comme un «service» a été récurrent aussi chez Benoît XVI.
Le 12 septembre 2009, présidant la messe pour l'ordination de plusieurs nouveaux évêques (parmi lesquels se trouvait le nonce Pietro Parolin, aujourd'hui secrétaire d'État), Ratzinger a rappelé : «La première caractéristique, que le Seigneur exige du serviteur est la fidélité. Il a reçu un grand bien, qui ne lui appartient pas. L'Eglise n'est pas notre Eglise, mais son Eglise, l'Eglise de Dieu; le serviteur doit rendre compte de la façon dont il a géré le bien qui lui a été confié. Nous ne lions pas les hommes à nous, nous ne recherchons pas le pouvoir, le prestige, l'estime pour nous-mêmes. Nous menons les hommes vers Jésus Christ et ainsi vers le Dieu vivant».

Et dans son homélie à l'occasion du consistoire pour la création de nouveaux cardinaux, 18 Février 2012, au début de Vatileaks, Benoît XVI disait:
« Le service de Dieu et des frères, le don de soi : c’est là la logique que la foi authentique imprime et développe dans notre vécu quotidien et qui, par contre, n’est pas le style mondain du pouvoir et de la gloire...
Domination et service, égoïsme et altruisme, possession et don, intérêt et gratuité : ces logiques profondément opposées se confrontent à toute époque et en tout lieu. Il n’y a aucun doute sur la voie choisie par Jésus : il ne se limite pas à l’indiquer par ses paroles aux disciples de l’époque et d’aujourd’hui, il la vit aussi dans sa propre chair. Il explique en effet : « Aussi bien, le Fils de l'homme lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (v. 45). Ces paroles éclairent d’une intensité particulière le Consistoire public d’aujourd’hui. Elles résonnent au plus profond de l’âme et sont une invitation et un appel, une consigne et un encouragement spécialement pour vous, chers et vénérés Frères, qui allez devenir membres du Collège cardinalice.» (http://www.vatican.va)

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(1) Ici François ne fait que répéter son aversion pour le comportement de "prince": pour justifier son absence au fameux concert donné en son honneur pour la conclusion de l'année de la foi, il avait dit "je ne suis pas un prince de la rennaissance"