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Hans Küng le (néo)-romain

Monique T m'envoie un texte récent mais non daté du théologien ex-dissident (il a changé de statut le 13 mars 2013) issu d'un site canadien hyper progressiste www.culture-et-foi.com (1): Hans Küng nous explique les nouvelles pauvretés, et ressasse ses obssessions (1er/5/2014)

Küng est, à présent, très soucieux de se trouver en phase avec "le système romain"... qu'il a combattu toute sa vie, me dit Monique.
Comme tous les bourgeois progressistes, la pauvreté matérielle l'intéresse fort peu. Ce qu'il appelle pauvreté, c'est la communion refusée aux divorcés remariés, les femmes qui se voient refuser la contraception et l'avortement, le célibat imposé aux prêtres.

On commence cependant à percevoir une certaine impatience dans ses propos: il note que "Le pape François n’a pas encore donné de preuve convaincante de sa volonté d’engager une réforme" et parle plus loin "des réformes constamment reportées"

     

Le vrai défi de la réforme du pape François : toucher ceux qui sont pauvres spirituellement
Hans Küng
http://www.culture-et-foi.com/nouvelles/articles/hans_kung_pape_francois_defi.htm
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Le pape François fait preuve de courage : pas seulement parce qu’il est allé dans les bidonvilles brésiliens de Rio-de-Janeiro, mais aussi parce qu’il a engagé un dialogue ouvert avec des intellectuels incroyants. Il a adressé une lettre ouverte (benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/franois-ecrit-a-scalfari.html ) au grand humaniste italien (n'en jetez plus!!!) Eugenio Scalfari, fondateur et longtemps directeur du grand (!!) quotidien de gauche La Repubblica (2). Cette lettre du pape ne doit pas être considérée comme un document officiel, mais bien plutôt comme comme un échange amical d’arguments d’égal à égal.

Des douze questions que Scalfari pose dans La Repubblica du 11 septembre dernier, la quatrième me paraît avoir une importance particulière au moment où la tête de l’Église semble prête à engager des réformes : le Christ était d’avis que son royaume n’était pas de ce monde (« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »), écrit Scalfari, mais l’Église succombe trop souvent à la tentation du pouvoir temporel et oublie la dimension spirituelle de sa nature pour des préoccupations profanes (3). D’où la question de Scalfari : « Est-ce vraiment la priorité du pape François de faire de l’Église une Église pauvre et pastorale plutôt qu’une Église institutionnelle et soucieuse de réalités profanes? »

Regardons bien les faits suivants :

- Depuis le début de son pontificat, le pape François a mis de côté le protocole papal traditionnel et a favorisé un contact direct avec les gens.
- Par ses paroles et par ses gestes, il a évité de se présenter comme un prince et le seigneur des seigneurs; il préféré adopté l’attitude du serviteur des serviteurs de Dieu (selon la formule de Grégoire le Grand).
- Devant les nombreux scandales financiers et l’avarice des leaders de l’Église, il a entrepris de grandes réformes de la Banque du Vatican (manifestement, l'article date) et de l’État pontifical, et a il adopté une politique de transparence dans les affaires financières.
- En créant une Commission de huit cardinaux de différents continents, il a souligné la nécessité de réformes de la Curie romaine et l’affirmation de la collégialité des évêques.

Le pape François n’a pas encore donné de preuve convaincante de sa volonté d’engager une réforme. Il me paraît tout à fait naturel et vraisemblable qu’un évêque d’Amérique latine accorde la priorité aux pauvres des bidonvilles des grandes métropoles. Mais le pape de l’Église catholique ne doit pas perdre de vue qu’il existe, dans d’autres pays, des types différents de « pauvreté » qui touchent d’autres groupes de personnes. Ces groupes se battent pour améliorer leur situation et le pape est davantage en mesure d’aider ces pauvres que ceux des bidonvilles qui peuvent être mieux pris en charge par des organismes gouvernementaux et par la société en général.

Les Évangiles synoptiques ont une conception plus large de la pauvreté. Dans l’Évangile de Luc, l’expression « bienheureux les pauvres » désigne sûrement les vrais pauvres, les pauvres au sens matériel. Quand, dans son Évangile, Mathieu écrit : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre », il pense plus aux pauvres de cœur, à la pauvreté spirituelle des personnes qui sont à la recherche de Dieu et qui sont conscientes de leur pauvreté spirituelle. La béatitude de Mathieu ne se limite pas aux pauvres au sens matériel et aux affamés, mais désigne aussi les malheureux, les laissés pour compte, les marginaux, les négligés, les exclus, les exploités, les désespérés. Jésus s’adresse à tous ceux qui sont dans une situation de misère et de grande affliction (Luc) et à ceux qui sont atteints d’une profonde détresse intérieure (Mathieu), à tous ceux qui sont dans la misère et qui se trouvent dans un état de lassitude ou d’accablement, y compris l’accablement de se sentir coupables.

Alors, le nombre de pauvres ayant besoin d’être secourus augmente considérablement. L’aide du pape, en raison du poste qu’il occupe, est de toute première importance. En fait, cela tient au fait que le pape est le représentant d’une institution et d’une tradition ecclésiastique; on attend de lui non seulement des paroles de réconfort et d’encouragement, mais aussi des gestes de miséricorde et de charité.
Quand il est question de « pauvres » dans l’Église, on pense spontanément à trois groupes de personnes.

Le premier groupe est constitué de millions de personnes divorcées dans de nombreux pays. Ces personnes sont privées des sacrements de l’Église pendant toute leur vie parce qu’elles sont engagées dans une seconde union. Il faut dire qu’à notre époque une plus grande mobilité sociale, une souplesse et une liberté plus grandes, jointes à une durée de vie plus longue, rendent plus difficile l’harmonie au sein d’un couple pendant toute une vie. Il est certain que le pape voudra maintenir l’indissolubilité du mariage malgré ces conditions plus difficiles. Mais l’indissolubilité ne doit pas être comprise comme une condamnation absolue des personnes qui ont connu un échec, sans qu’elles puissent espérer de pardon.
Plutôt, ce commandement exprime un idéal de fidélité pour toute une vie, comme cela est vécu par un grand nombre de couples, mais sans aucune garantie de durée. En vertu de la miséricorde que le pape François prêche, l’Église autoriserait les personnes divorcées et remariées à avoir accès aux sacrements si tel est leur désir profond.

Le second groupe de « pauvres » est celui des femmes ostracisées à cause de la position officielle de l’Église sur la contraception, l’insémination artificielle et l’avortement. Il y a des millions de femmes dans le monde à souffrir d’une détresse spirituelle. Seule une faible minorité de femmes catholiques acceptent la position de l’Église sur la l’interdiction de la contraception « artificielle », et plusieurs par contre ont recours en toute bonne foi à l’insémination artificielle. On doit éviter, bien sûr, de banaliser l’avortement et de l’utiliser comme moyen de contraception. Sauf que les femmes qui, pour des raisons graves, ont recours à l’avortement et sont en proie à de grands problèmes de conscience, méritent compréhension et miséricorde.

Le troisième groupe de « pauvres », ce sont les prêtres qui ont quitté leur état pour se marier. Ils sont des milliers sur tous les continents. On sait que bien des jeunes hommes aptes au sacerdoce ne deviennent pas prêtres à cause de l’obligation du célibat. Le célibat librement accepté continuera toujours d’avoir sa place dans l’Église catholique. Mais la règle du célibat obligatoire pour les clercs est contraire à la liberté garantie dans le Nouveau Testament, à la tradition œcuménique du premier millénaire et aux droits humains d’aujourd’hui. L’abolition du célibat obligatoire serait le remède le plus efficace au manque criant de prêtres et à la disparition progressive de la pastorale dans le monde. Si l’Église maintient la règle du célibat obligatoire, l’accès souhaitable des femmes à l’ordination sacerdotale devient impensable.

Le pape François aura maintenant d’importantes décisions à prendre. A ce jour, il a fait preuve d’une grande sensibilité et d’une profonde empathie pour les problèmes des gens, et il n’a pas manqué de courage dans diverses situations. Ces qualités le rendent apte à prendre les décisions nécessaires et attendues sur des questions qui sont des problèmes depuis des siècles.

Dans l’interview qu’il a accordée aux revues jésuites du monde, comme La Civiltà Cattolica et America, et publiée le 20 septembre (benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/le-pape-jesuite.html), le pape François reconnaît l’importance de questions telles que la contraception, l’homosexualité et l’avortement. Mais il refuse de donner à ces questions une place trop centrale dans la mission de l’Église. Il souligne l’importance d’un « nouvel équilibre » entre ces problèmes d’ordre moral et les appels de l’Évangile lui-même.
Mais cet équilibre ne pourra être atteint que lorsque des réformes constamment reportées seront enfin réalisées et que ces questions morales secondaires n’enlèveront pas à l’annonce de l’Évangile sa nouveauté et son attrait. Tel sera le grand défi du pape François.

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Ndlr

(1) Il est éclairant à ce sujet de lire la rubrique consacrée à Benoît XVI (www.culture-et-foi.com/dossiers/benoit_xvi/index.htm)

(2) Selon le site italien de ragots Dagospia (très bien informé! même Sandro Magister a dit une fois qu'il le lisait!), repris par différents médias, dont "Tempi" (merci à Marie-Christine de me l'avoir signalé), Scalfari aurait obtenu un nouvel entretien en tête-à-tête avec l'hôte de Sainte Marthe... mais il aurait reçu d'un secrétaire du Pape l'injonction ferme de ne pas le reproduire. Adieu le scoop!
L'article de Dagospia est très amusant, mais irrévérencieux (il est illustré d'un montage photo avec Scalfari habillé en pape, dans toute la pompe à laquelle François a désormais renoncé).

(3) Comme on peut le constater à la lecture de cette tribune, les préoccupations de Küng sont éminemment spirituelles et pas du tout profanes!!