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La lettre de Jeannine du 24 mars

L'énigme François (25/3/2014)

19 mars 2014 ; premier anniversaire de la messe d'intronisation du nouveau pape.
Je savais que les miracles étaient surtout liés à Lourdes et bien je me trompais lourdement. Le Vatican a bien été le lieu d'un récent miracle lors de l'élection de François. Je pense que celui-ci sera homologué sans besoin de consultations pour en attester la véracité tant, selon les médias, le consensus est inespéré et atteint des sommets jamais vus de mémoire de pape.

Le porte-parole du cardinal Bergoglio à Buenos Aires, répond à l'éventualité de résistances: «Le Pape est la plus haute autorité à l'intérieur de l'Eglise, c'est une personne qui a autorité et qui sait comment l'imposer», et aussi «ce Pape est en train de marquer la fin de la cour pontificale» (http://fr.radiovaticana.va ).
Une chance qu'il apprécie les personnes âgées car il nous aurait mis notre Benoît à un régime d'austérité drastique au sujet de son entourage. Tout un programme !!

Paris Match, Point de Vue ( le journal people aux titres racoleurs) : deux hebdomadaires qui ne jurent plus que par lui.
Entre CP qui s'épanche mais avec une certaine tenue (c'est nouveau) et Point de vue qui titre avec une noble assurance: UNE ANNÉE DE PONTIFICAT PAPE FRANÇOIS L'HOMME QUI CHANGE LE MONDE (cf. Et ça continue! ), les éloges fleurissent comme les pâquerettes sur les pelouses de mon jardin. Entre Arielle Dombasle: «Alléluia, il est là», Gloria de Tours et Taxis: «C'est un pape très sympathique, caramba, olé» (dit peut-être avec humour?), je me demande si le QI lambda que je pensais avoir n'est pas surévalué. Rien de grave, je m'en remettrai.

L'ombre de Benoît XVI, avec son absolue discrétion afin de se fait ignorer le plus possible, pèse bien sur le pontificat. François garde des ratzingériens à des postes importants en politique et finances, mais paraît les éloigner pour les charges purement ecclésiastiques. Un anti Benoît XVI avait déclaré que le prochain pontificat serait ratzingérien, ce qu'il regrettait vraiment car il n'accorderait pas tout ce que l'on attendait de lui en matière de réformes pour moderniser cette Eglise moribonde. Etrange, je ne savais pas que le nouveau pape émérite, de surcroît en fort mauvais état ainsi qu'il était annoncé depuis longtemps, pouvait avoir autant d'influence alors qu'il s'était mis hors jeu! Si François voulait être starisé que pourrait-il faire de plus?

François va en Terre Sainte et emporte dans ses bagages un rabbin et un imam mais ne trouvera pas le temps de rencontrer les chrétiens de Nazareth qui regrettent fort cette décision (pour le moment, en effet, la visite ne prévoit pas d'étape à Nazareth). Pour moi qui suis logique, il y a là un hiatus que je relève et qui me choque. Le rabbin Skorka dit que ce voyage va inaugurer une nouvelle ère de dialogue entre juifs et chrétiens. Que dit le musulman? Le 14 mai 2009, pendant son voyage en Terre Sainte, Benoît XVI avait consacré cette journée-là à Nazareth, simple rappel.

Selon Sandro Magister (http://chiesa.espresso.repubblica.it) les canonisations accélérées sont toujours en cours, on arrive à six nouveaux saints sous la forme exceptionnelle.
Rien d'illégal, tout est prévu mais personnellement je ne vois pas l'utilité d'une telle précipitation. En tout état de cause, François est l'évêque de Rome dans ses paroles mais par ses actes de gouvernement il est le Souverain Pontife qui, avec une poigne de fer dissimulée sous un visage très contrasté oscillant entre bonhommie et dureté, actionne toutes les manettes du pouvoir. Grâce à un motu proprio il change sans bruit la donne en matière d'économie tout en continuant à parler de collégialité. Avoir assimilé en si peu de temps toutes les finesses, toutes les opportunités offertes par cette élection m'incite à penser que le terrain était préparé, d'où l'éclosion d'une "super nova" dans le ciel du Vatican. Benoît XVI avait été plongé au cœur d'un tsunami. Jean-Paul II avait mis, paraît-il, seize années pour acquérir une notoriété aussi brillante. La perle rare a été trouvée.

Je me plains du climat général en France car ce pays qui a été si brillant, un phare dans le monde, se nivelle par le bas. Mais ce n'est pas que dans l'hexagone que l'on trouve ce manque de créativité, cette uniformité rampante qui gagne tous les milieux.

J'ai lu l'interview de Mgr Gänswein en Allemagne après la messe solennelle dans l'église des Jésuites de Mannheim (cf. Mgr Gänswein: ma place est à Rome).
Pourquoi avoir choisi ce lieu de prédication? Faut-il secouer, comme c'est l'habitude de François, une certaine tiédeur des frères jésuites du Souverain Pontife à son égard, ou bien a-t-il trouvé ce moyen pour leur manifester sa proximité spirituelle et fraternelle?
Que le Préfet de la Maison Pontificale ait signalé que sa place est à Rome n'est sûrement pas anodin en raison de la démission du cardinal Meisner pour cause de départ à la retraite et donc de la vacance du diocèse de Cologne. Que Mgr Gänswein dise rester à Rome me rassure pour Benoît XVI et doit soulager H. Küng qui milite activement pour un évêque très progressiste, choisi selon les vœux du «peuple».
Ce que j'apprécie moins, ce sont les propos très convenus tenus par Mgr Gänswein dans l'interview. Certes il fait bien le distinguo entre applaudissements et foi mais j'aurais apprécié des paroles qui ne reproduisent pas aussi fidèlement celles de François. On y retrouve les lieux communs si chers au Saint-Père, très parlants certes mais, pour moi, d'une banalité d'autant plus affligeante qu'elle est répétitive. Depuis un an on se retrouve toujours avec le même ronron: d'une part la foule qui ne se lasse pas et du côté du pape: l'élan missionnaire, le retour vers l'Eglise présenté par les médias comme universel, l'Eglise pauvre pour les pauvres, la morale quotidienne à Sainte-Marthe.
Du temps de Benoît XVI il y avait davantage de variété.

J'ai regroupé les articles concernant ses principales activités. Angélus, audiences, grandes célébrations, voyages: les jours de grand soleil; et en parallèle les attaques virulentes, odieuses, mesquines: les jours où le Seigneur paraissait dormir. Si la première catégorie me remplissait de joie la seconde me faisait mal car j'aurais aimé qu'il ne soit pas attaqué. Cependant, pendant ces huit années, il a été pour moi la figure d'une papauté controversée certes mais en droite ligne avec le monde des chrétiens et autres (journée d'Assise avec voyage en train, déplacement en autobus et dans une jeep pour aller apporter son soutien à l'Aquilea et circuler dans les décombres) et sa réalité. Les obstacles n'étaient pas gommés et la désinformation faisait partie du jeu de massacre en ce temps-là. Maintenant tout est devenu lisse, et le P. Lombardi le 3 mars affirme:
«Le Pape parle au cœur des personnes .... C'est lui qui intéresse les personnes, qui les touche avec ses formulations, sans avoir besoin de médiation. A tel point que le rôle du directeur de la salle de presse est aujourd'hui simplement de donner des informations d'organisation, de décisions importantes» (http://www.zenit.org/fr/articles/le-pape-parle-au-coeur-des-personnes ).
J'ai souri en lisant ailleurs que François trouve offensant d'être autant médiatisé (1)

Pour parler de la veillée contre la mafia j'ai retrouvé sous la plume des médias et contre Benoît XVI l'argument qui avait été cité pour la rencontre au Mémorial de Yad vaShem: pourquoi ne pas avoir pleuré, car il aurait dû le faire. Pareil pour la mafia: bien sûr Benoît XVI a célébré la messe à Palerme (3/10/2010) mais il aurait dû nommer précisément la mafia et il ne l'a pas fait, alors que François .... Quand j'affirme que les médias et autres sont irrécupérables je n'ai pas tort. Ce sont toujours les mêmes arguments qui sont repris et réactualisés en fonction de celui que l'on veut diminuer ou faire resplendir. L'éditorial de G. Leclerc du 6 octobre 2010 (en soutien de Benoît XVI, après la visite à palerme) est très précis à ce sujet et montre qu'à cette époque c'était Jean-Paul II le grand exemple (2).

Je viens de jeter un coup d'œil à votre dernier article sur Mgr Gänswein (Mgr Gänswein attaqué dans The Tablet) et sur le conseiller secret du pape (Le conseiller secret du Pape François). Ils sont à relire posément. On trouve dans les paroles du secrétaire de Benoît XVI un curieux mélange de soutien au nouveau pape et une prise de distance avec le religieusement correct qu'il devrait observer. N'est-ce pas inquiétant? Que sait-il que nous ignorons? Lorsque je parle de soutien j'ai tort. Il se base sur des données visuelles, matérielles, concernant la popularité ,mais il ne l'encense pas, il est bien trop discret pour se livrer à des félicitations assourdissantes. Malgré cette entente cordiale qui paraît régner, je dois reconnaître que je ne suis pas vraiment tranquille comme si j'appréhendais un changement. Cela me rappelle mon inquiétude pendant les derniers mois du pontificat et je n'aime pas du tout cela.

Merci pour toutes ces précisions qui viennent remettre en question des aspects trop lisses. Qui aurait pu penser que notre Benoît si discret, si "effacé", allait entraîner un tel changement. D'ailleurs les cardinaux, qui ont tant insisté pour que les scandales cessent et que la curie soit réformée , avaient-ils seulement envisagé un tel bouleversement dans l'exercice de la papauté, l'avaient-ils souhaité? Je me demande s'il n'y a pas eu un certain malentendu.

A bientôt
Jeannine

* * *

Notes

(1) Communication directe. Dans l'interviewe au Corriere della sera, le 5 mars dernier, le Pape disait:
Je n'aime pas les interprétations idéologiques, une certaine mythologie du pape François. Quand on raconte, par exemple, que je sors la nuit du Vatican pour aller pour nourrir les sans-abri dans la Via Ottaviano. Cela ne m'est jamais venu à l'esprit. Sigmund Freud a dit, si je ne me trompe pas, que dans chaque idéalisation, il y a une agression. Dépeindre le pape comme une sorte de superman, une espèce de star, me semble offensant. Le pape est un homme qui rit, qui pleure, qui dort bien et qui a des amis comme tout le monde. Une personne normale.

(2) http://www.france-catholique.fr/Desinformation-a-propos-du-Pape.html
Désinformation à propos du Pape, Gérard Leclerc, mercredi 6 octobre 2010
Benoît XVI était à Palerme, en Sicile, dimanche. L’évènement n’a été suivi qu’en Italie. Pourtant, il avait une dimension internationale. D’abord, il y avait énormément de monde à la messe le matin sur le Foro Italico. Deux cent cinquante mille personnes selon l’agence italienne, Ansa, qui est l’équivalent de notre AFP. Pourquoi donc le site de l’Express n’annonçait-il que trente mille personnes ? Je sais bien que la querelle des chiffres n’est pas seulement une affaire française. Mais il y a comme cela des petites énigmes qui sont révélatrices d’un certain inconscient médiatique. Et si nous passons du site de l’Express à celui du Point, surgit une autre surprise. Plus qu’une surprise. Flaubert avait inventé un joli mot pour qualifier ce genre de bévue : Hénaurmité.
Oui, c’est une belle énormité que de prétendre que le Saint-Père aurait pudiquement évoqué la mafia et ses crimes, sans jamais osé nommer explicitement l’organisation criminelle. C’est tout simplement une contre-vérité. Benoît XVI a parlé de la mafia aux jeunes siciliens dans la soirée et il n’a cessé d’en parler durant tout son séjour à Palerme. A la cathédrale, devant les prêtres et les séminaristes, il a exalté la mémoire de Don Pino Puglisi, ce curé de quartier assassiné en 1993, pour avoir refusé de céder aux menaces de la Cosa Nostra, et d’ailleurs en voie de béatification. Avant de quitter la Sicile, Benoît XVI a tenu à poser un geste extrêmement symbolique. Il s’est arrêté à l’endroit précis où avaient été assassinés le juge Falcone, son épouse et trois gardes du corps par la même mafia. Il a déposé une gerbe de fleurs auprès de la stèle commémorative et prié pour toutes les victimes de l’entreprise criminelle. Alors il ne faut pas se moquer du monde, aussi bien à l’Express qu’à l’agence Reuters qui semble être à l’origine de la désinformation. La vérité l’emportera toujours sur le mensonge.