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La lettre de Jeannine du 24 avril

Jeannine feuillette l'agenda du Pape François depuis le 28 mars jusqu'à Pâques (25/4/2014)

     

Chère Béatrice, 

(…)
Comme je ne suis plus les retransmissions sur KTO et le CTV d'une façon systématique, je ne sais pas si les longs bains de foule des audiences générales de François sont toujours retransmis; cette partie très télévisuelle m'a lassée.
Je me penche donc sur les renseignements fournis par La Croix, le Figaro.
Je constate que la profusion de détails rapportés au début du pontificat a fait place à certains articles mieux ciblés, plus sobres. Je ne parle pas des hebdomadaires "people" qui jouent avec l'image de François et en font la dernière star à la mode.  Alors pour compléter les trous je lis Zenit. Pour suivre l'actualité c'est un excellent support car pour chaque journée il y a les principaux points  relatifs à l'activité de François qui sont traités, mais pas uniquement cela. Consciente de mes insuffisances je ne suis pas exigeante outre mesure.

28 mars : parmi les nouvelles qui émaillent le pontificat, il paraît que la confession du Pape devant les fidèles a valeur d'exemple, à chacun sa façon de voir.

29 mars : Il est question de l’influence d'un pape sur les vocations. Il est bien trop tôt pour évaluer celle de François. Un pape qu'il soit mort ou de son vivant est une figure à suivre mais ce n'est pas suffisant. Il faut d'abord être sûr de soi, de ce que l'on est capable d'offrir, évaluer tout ce à quoi on va devoir renoncer. La vie est là et qu'on le veuille ou non c'est avec soi-même qu'il faut toujours se mesurer. Les grands saints qui veillent sur nous sont des figures attachantes, des points de repère sûrs. Pour parler de vocation il faut cet appel si déroutant qui vous fait prendre conscience que la route est tracée, que tout vous pousse vers elle et que tout autre forme de vie, d'amour, ne vous comblera jamais autant. La décision n'est pas imposée, la réponse n'appartient qu'à celui ou celle qui entend cette voix. S'il faut tant d'années pour "faire" un prêtre c'est bien parce que cette maturation doit progresser pour arriver à la certitude qui engage toute une vie.

31 mars : La réforme de la Curie avance dans le calme. Des nominations, des confirmations, des changements arrivent goutte à goutte, pour le dialogue interreligieux, pour la vie consacrée, pour la culture. Certaines confirmations ne vont que jusqu'à la fin du mandat en cours, donc possibilités de changements : François observe, étudie et reste maître du jeu.

1er avril : L'IOR est de nouveau dans l'actualité car la gendarmerie a mis en échec une tentative de fraude envers cette banque. Je croyais que tous les comportements douteux avaient disparu depuis de nombreux mois. Le goût des escroqueries est souvent très persistant et la récidive n'est jamais à exclure.

3 avril : Ettore Gotti-Tedeschi est innocenté . L'Eglise est la "grande muette" sur cette affaire. Même en Italie les commentaires ont été parcimonieux. On salit, on déshonore, on brise une vie, une réputation, une carrière et pour la réhabilitation : silence radio. Je trouve cela minable. Cette affaire a débuté en 2010, date à laquelle Benoît XVI l'a chargé de mener à bien la réforme de l'IOR qu'il présidait depuis 2009. Rien ne lui a été épargné : malversations, blanchiment d'argent, argent dérobé et pour clore le tout: soupçon de faire partie des corbeaux de Vatileaks. Etrange que l'affaire soit allée crescendo jusqu'à Vatileaks, une pierre de plus pour enfoncer Benoît XVI. Que faire avec un pape rigoureux, recherchant la vérité, d'une honnêteté scrupuleuse, qui a de plus l'audace d'initier une réforme de cette banque, sans doute pas au- dessus de tout soupçon, mais qui renfermait bien des secrets fort compromettants!! Les gêneurs ont toujours tort et Benoît XVI a toujours dérangé; alors ceci explique peut-être cela.

7 avril : François garde l’IOR sous surveillance alors qu'il avait parlé de le supprimer, lançant devant les employés la phrase qui inquiète : "Saint Pierre n'avait pas de compte en banque". Neuf mois plus tard, la durée d'une gestation, il décide de le garder car son aide est précieuse mais soumis à une nouvelle réglementation. Pour l'affaire dont je viens de reparler : un silence assourdissant. J'aurais souhaité une réhabilitation, des excuses publiques mais je ne suis pas au cœur des coutumes de ce milieu fermé.

11 avril : Différentes rencontres qui lui donnent l'occasion de prononcer des paroles fortes qui, à mon humble avis, ne doivent pas être du goût des progressistes très ancrés dans leurs idées et qu'ils veulent faire aboutir pour changer l'Eglise:

¤ contre le narcissisme du théologien qui ne prie pas (zenit): je pense à Hans Küng
¤ rencontre avec le Bice (Bureau catholique international de l'enfance) : « les horreurs de la manipulation éducative (...) n'ont pas disparu. Elles sont encore d'actualité, sous des atours et des propositions diverses, qui, sous prétexte de modernité, contraignent les enfants et les jeunes à emprunter la voie dictatoriale de la pensée unique » (cf. discours).
¤ avec le Miv (Mouvement italien pour la vie) : la vie humaine est sacrée et inviolable ; l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables (cf. discours).

Dans le Figaro du 11 avril , Jean-Marie Guénois signale que François (lors de l’audience au Bice) a demandé pardon, en son nom personnel, pour la pédophilie dans l'Eglise et note qu’il s’inscrit ainsi directement dans les pas de Benoît XVI qui restera comme le pape qui a le plus agi concrètement contre ce phénomène : durcissement de la législation interne de l'Eglise pour exclure ces prêtres et dix-huit interventions publiques sur le thème dont plusieurs demandes de pardon.
J'ajoute, à titre personnel, les abusés rencontrés lors de ses voyages, écoutés patiemment, avec émotion, compris dans leur douleur, dans une parfaite discrétion pour permettre à la parole de se libérer. Combien de prêtres ont été renvoyés : environ 400 - en période de manque avéré c'est d'autant plus exemplaire de l'avoir fait. Benoît XVI a toujours préféré la qualité à la quantité mais pour cet éclaircissement des rangs il a dû faire preuve d'une grande ténacité, d'une capacité énorme à recevoir les coups, pour continuer à ramer à contre-courant; il était tellement plus confortable de savoir, de fermer les yeux et d'adopter la formule familière " laver son linge sale en famille". Personnellement je ne crois pas à cette facilité adoptée trop aisément pour se donner bonne conscience. Il faut traiter le mal avec tous les moyens dont on dispose, même les plus coercitifs, les plus durs et tant pis pour ceux qui seront débusqués et condamnés. Il a fallu le courage de Benoît XVI et avant de Joseph Ratzinger pour tout mettre au grand jour. Rien que cette action devrait lui valoir la reconnaissance et la gratitude de l'Eglise sans aucune restriction.

13 avril : la célébration des Rameaux avec François, qui s'est un peu assagi, m'a paru classique : six cierges plus la croix sur l'autel, chants en latin et musique. On retrouve toujours ce qui a choqué au début : le pape ne donne pas la communion, il ne s'agenouille pas devant le Saint-Sacrement bradant pour ainsi dire le respect dû au Seigneur mais les servants d'autel et les diacres sont agenouillés pour l'élévation. La procession des offrandes est réduite : parents avec enfants et un jeune couple. Ce n’est plus le temps où on retrouvait Benoît XVI écoutant les quelques mots qui lui étaient adressés et les accueillant avec un doux sourire.
En une année son cérémoniaire, les gardes du corps, ont dû fournir une énergie intense pour  lui faire prendre conscience  qu'il est pape et que la liberté de Buenos-Aires n'est plus d'actualité.  
Dès qu'il peut retrouver la foule il redevient le curé de campagne, on ne peut pas changer l'homme.
La foule est contenue dans des emplacements bien délimités. La papamobile suit le trajet prévu et les gardes du corps, en grand nombre, veillent fermement bien que discrètement. Il y a eu la grande affluence habituelle, mais rien à voir avec l'ambiance échevelée de 2013. La crosse était un cadeau des prisonniers de Sanremo qui l'ont fabriquée en bois d'olivier pour François, les palmes venaient aussi de cette ville. Pour l'aspect général rien ne m'a choquée. Il faut dire que je suis bien incapable de relever les moindres détails concernant la célébration, je ne suis pas spécialiste en liturgie. Quitte à faire pousser de hauts cris je pense que Mgr Guido Marini a fait faire des progrès à François qui  doit reconnaître que les conseils qui lui sont donnés sont bons, le pape émérite  n'est pas absent de cette amélioration, du moins je le pense. L'homélie courte, selon son habitude, a été entièrement improvisée, le texte fourni ayant été écarté selon la salle de presse. Beaucoup de questionnements, "qui suis-je?", qui reviennent avec une répétitivité déconcertante. J'ai relu l'homélie des Rameaux de l'année 2012, infiniment plus roborative pour reprendre un qualificatif du curé des loubards ( le Père Guy Gilbert) au sujet de la parole de Benoît XVI, il y a quelques années déjà. 
Visage figé pendant toute la messe mais le sourire illuminant le tour en papamobile à la fin de la cérémonie au point de sortir du périmètre et d'aller saluer les fidèles dans la rue de la Conciliazone (cf RV). L'angélus a été bref et KTO a repris l'antenne alors que François saluait ses cardinaux. Pour un pape défini comme très progressiste et qui va chambouler l'Eglise selon la route que les médias et quelques autres intervenants lui ont tracée, je dois dire que je suis étonnée. On peut ne pas être d'accord avec moi mais cette cérémonie est inspirée de son prédécesseur. Mgr Guido Marini est toujours là, discret, prévenant  et celui qui est à la droite de François occupait la même place pour la messe des Cendres de 2013 avec Benoît XVI. Il pleurait et chantait en essuyant ses larmes. Je pense plutôt à une certaine continuité mais on ne peut pas faire l'impasse sur ces deux caractères diamétralement opposés. 

15 avril : Mgr Guido Marini est confirmé dans son rôle de cerémoniaire pontifical. Je m’en réjouis pour lui car c'est une personne discrète, compétente, appelée à ce poste par Benoît XVI en 2007. Comme je suis particulièrement charitable, je repense de suite à Mgr Piero Marini qui s'était dévoué, dès le début, pour briefer le nouveau pape en descendant en flèche le pape émérite et en tentant de convaincre François de balayer tout ce qui nuisait à l'application de Vatican II, selon sa propre conception de la chose évidemment et en jugeant être le candidat idéal pour cette remise en ordre. Je pense que cette confirmation ne doit pas le combler de joie et c'est tant mieux.

16 avril :
¤ coup de téléphone de François pour l'anniversaire de son prédécesseur (zenit).
¤ cadeau de Zenit pour les 87 ans de Benoît XVI ; retour sur l'Angélus du 14 mars 2010 (ici)

17 avril
¤ la messe chrismale  est sobre, recueillie avec le chœur de la chapelle Sixtine
¤ la messe de la Cène du Seigneur avec le lavement des pieds dans un lieu choisi par le Saint-Père.
Le 8 avril il était annoncé que cette célébration se déroulerait hors Vatican une fois de plus. Etant donné que François en avait décidé ainsi pour la première Semaine Sainte de son pontificat, pour moi il était évident que ce choix lui tenait à cœur et qu'il le renouvellerait. Il n'est pas le genre "joyeux plaisantin" qui marque sa présence par un coup de tête, histoire de voir ce que cela va donner. On a dit que ce n'est pas une décision en rupture avec la tradition mais bien un axe important de son  pontificat. Mais qu'entend-on par tradition et par axe du pontificat? La pauvreté, la charité, les périphéries, des mots qui reviennent comme un leit-motiv mais entourés de telles conditions pour être valables que je me sens une vraie capitaliste.

18 avril :
¤ Célébration de la Passion à Saint-Pierre. On retrouve la prosternation comme avec Benoît XVI. La cérémonie est sobre, recueillie avec le chœur de la chapelle Sixtine. Le cadre est dépouillé, l'autel est nu.
¤ le Vendredi Saint devient jour férié national à Cuba, Benoît XVI l'avait demandé lors de son voyage.
¤ Chemin de Croix au Colisée avec une participation abondante des fidèles : 40 000 personnes et une brève allocution du pape. Les stations sont très marquées socialement et politiquement comme l'a voulu François par le choix de leur rédacteur.

19 avril : la veillée pascale : je n'ai pas suivi mais la-croix.com donne un compte-rendu avec erreur de date car la Veillée s'est déroulée le 19 avril et non le 20. Cérémonie habituelle avec le jaillissement de la lumière. Je revois encore Benoît XVI, mitre dorée, lumière en main, hiératique, remontant la nef et allant vers la lumière avec la basilique qui s'éclaire peu à peu grâce aux lumignons des fidèles. A 23 heures tout est terminé; les lectures sont abrégées, les psaumes également. Visage grave, sans saluer la foule qui l'applaudit, il remonte la nef.

Ce même jour, le cardinal Gracias, dans son bilan d'une année de pontificat a eu la délicate attention d'évoquer Benoît XVI dont c'était la fête ce jour en soulignant « l'immense amour » que le pape émérite nourrit pour l'Eglise. Au nom de tout le peuple indien il lui a exprimé " tout son amour et ses prières ". J'ai trouvé cela touchant.

20 avril : jour de Pâques dans le jardin fleuri de la Résurrection : une vraie merveille. Cette profusion de couleurs, d'espèces, admirablement agencées ne pouvaient que contribuer à la joie de cette journée. La messe a été solennelle avec des chants en grec et en latin, une célébration admirable qui n’a pas du plaire à certains. Rapide tour en papamobile pour saluer la foule et bénédiction Urbi et Orbi au balcon de la loggia centrale.
François est resté dans le même chemin que ses prédécesseurs en égrenant tous ces pays qui souffrent de la guerre, des persécutions, de la famine, d'éléments extérieurs tels que Ebola et devant lesquels l'homme reste désorienté, incapable de juguler toutes ces forces qui empoisonnent le monde, déstabilisent l'humanité.

Urbi et Orbi uniquement en italien, depuis la loggia, sans s'y attarder.

Toutes les célébrations prévues sont marquées par une exécution sans prolongation de la liturgie. Le Pape n'a pas multiplié les contacts avec la foule comme pour recentrer l'attention sur le Christ, une façon de ne pas apparaître «en superman ou en espèce de star » comme il s'en est plaint dans une récente interview où il récusait une « certaine mythologie du pape François » (la Croix). J'ajoute que Benoît XVI savait fort bien canaliser l'enthousiasme et passer au second plan. Le tour en papamobile d’un quart d'heure, après la messe et avant la bénédiction, à une cadence qui m'a parue accélérée pour cause de timing, m'a paru superflu mais je ne suis pas François et je n'ai rien à ménager.

* * *
J'arrête cette lettre qui ne fait que quelques allusions à Benoît XVI mais qui laissent transparaître, je l'espère, l'affection que je lui porte toujours.
Très vite j'espère que cette double canonisation va nous apporter un déluge de photos, des interviews, la joie de retrouver notre pape émérite. Je voudrais déjà savoir comment il pourra être installé et surtout comment il sera protégé en cas de grand et chaud soleil. Je suivrai la messe de canonisation et l'enregistrerai en cas d'empêchement. Je regarderai aussi les autres : François, Mgr Gänswein, le cardinal Dziwisz, d'autres avec un regard bienveillant ou acéré suivant le cas. Je vous en parlerai dans un autre courrier.

Jeannine