Accueil

L'amour et la douleur du Pape Montini

A propos de la prochaine béatification de Paul VI, un article de JL Restan, traduit par Carlota... et un hommage ancien du Père Scalese (13/5/2014)



Autour de cet article:

¤ L'homélie de Joseph Ratzinger prononcée à Munich le 10 août 1978 à la mort de Paul VI: benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/une-homelie-inedite-de-joseph-ratzinger
¤ L'homélie de Paul VI, le 29 juin 1972, où il dénonce "la fumée de Satan entrée dans l'Eglise: benoit-et-moi.fr/2012(III)/articles/la-prophetie-de-paul-v

Et aussi: Un hommage du Père Scalese (à lire ci-dessous)

     

L’amour et la douleur du Pape Montini

JL Restan
Original en espagnol http://www.paginasdigital.es
Traduction Carlota
------

Les cardinaux et évêques membres de la Congrégation pour les Causes des Saints ont approuvé hier à l’unanimité le miracle attribué à l’intercession du Pape Paul VI, ce qui ouvre le chemin pour sa béatification imminente. Une date pour cette célébration n’a pas encore été fixée, bien que l’on évoque le mois d’octobre. Il semble que les cardinaux ont suggéré que cela coïncide avec la célébration du Synode extraordinaire sur la famille, de sorte que beaucoup notent en rouge la date du dimanche 19 octobre, jour de la fin de la première étape du chemin synodal soutenu par François pour affronter les grands défis de la pastorale de la famille. Si cela se confirmait, le Synode resterait sous la protection de Saint Jean Paul II (que François a évoqué comme « Pape de la famille » et du - à ce moment là - bienheureux Paul VI, le Pape de l’encyclique Humanae Vitae. Paradoxe ou dessein de la Providence ?

Si Saint Jean XXIII a eu l’intuition prophétique de convoquer Vatican II et Saint Jean Paul II de le mener en avant « avec la force d’un géant », il faut reconnaître que Paul VI a été l’authentique timonier du Concile et l’homme qui a maintenu fermement le cap au milieu d’une énorme tempête qui s’est étendue de la fin des années soixante (1) jusqu’à pratiquement le fin de son pontificat. Le cardinal brésilien Moreira Neves a avoué avoir vu pleurer en certaines circonstances le Pape Montini. Il pleurait comme Pierre, mais à la différence de ce dernier, il ne le faisait pas pour avoir trahi, lui, il pleurait du fait de la douleur que lui coûtait le fait de se maintenir fidèle.

Ce n’est pas en vain qu’ont été très nombreux ceux qui en ces jours-là, ont fui en débandade, la proximité de ce Pape ouvert et intellectuel, ami du monde moderne et promoteur du dialogue. Certainement la publication de l’encyclique Humanae Vitae a été placée dans l’épicentre de cette spirale de la désaffection dont a souffert Montini, mais cela n’a pas été le seul motif. Rappelons-nous sa dramatique dénonciation de « la fumée de Satan » qui était entrée dans l’Église à cette époque de dissensions déchirantes et sa réponse simple et passionnée, concentrée dans la proclamation du Credo du Peuple de Dieu en juin 1968 (2).

Nous devons peut-être à Joseph Ratzinger le portrait le plus intuitif et profond sur le Pape qui l’a sorti des salles de classe pour le conduire au collège des apôtres :
« Paul VI a résisté à la télécratie et à la démoscopie les deux pouvoirs dictatoriaux d'aujourd'hui. Il a pu le faire parce qu'il ne prenait pas comme paramètre le succès et l'approbation, mais la conscience, qui se mesure sur la vérité, sur la foi.
Et c'est pourquoi dans de nombreuses occasions, il a cherché le compromis: la foi laisse beaucoup d'ouverture, elle offre un large spectre de décisions, elle impose comme paramètre l'amour qui se sent obligé envers le tout, et impose donc beaucoup de respect. C'est pourquoi il a pu être inflexible et décidé quand l’enjeu était la tradition essentielle de l'Eglise. En lui, cette dureté ne dérivait pas de l'insensibilité de celui dont le chemin est dicté par le plaisir de pouvoir et le mépris des gens, mais de la profondeur de la foi, qui l'a rendu capable de supporter les oppositions.
» (*).

Nous savons aussi combien le Pape Bergoglio aime Paul VI, le Pape de l’Encyclique Ecclesiam Suam et de l’Exhortation Evangelii Nuntiandi, dont il s’abreuve abondamment dans sa prédication et son magistère, et de qui il a pris une des phrases les plus chères, celle qui fait référence à « la douce et réconfortante joie d’évangéliser ». Indubitablement, avec ces mots de Paul commence et se termine cette brève intervention de Bergoglio qui a éclaté comme le tonnerre au sein des Congrégations Générales qui ont précédé le Conclave d’où devait sortir le premier Pape argentin. Mais non seulement cela, du fait qu’il fait référence aux controverses (qui ne se sont pas encore éteintes) autour de l’encyclique Humanae Vitae, François s’est montré ferme en ce qui concerne l’œuvre de Montini : « son génie a été prophétique, car il a eu le courage d’aller contre la majorité, de défendre la discipline morale, d’appliquer un frein culturel, de s’opposer au néomalthusianisme présent et à venir ».

Il me semble que, avec la béatification de Paul VI, restera plus complète l’image de ces derniers cinquante ans de vie de l’Église, une image qui réclame nécessairement la passion, la douleur, l’intelligence et la fidélité souffrante d’un homme appelé Jean Baptiste Montini que dans sa méditation avant la mort confessait : « Je peux dire que je l’ai toujours aimée (l’Église)…et que pour elle, non pour autre chose, il me semble avoir vécu. Mais je voudrais que l’Église le sache ». Nous le savons et nous le racontons.

-
Remarques du traducteur

(1) Il me semble que Jean XXIII voyant la situation du corps de l’Église tel qu’il était devenu et bien avant Vatican II, a tenté par la convocation de ce Concile de trouver des solutions pour remettre dans le bon chemin ce Corps de l’Église (clercs comme fidèles), comme Louis XVI en convoquant les États Généraux (août 1788), réunion en mai 1789, avait essayé de la faire pour la France. Paul VI s’est trouvé dans la tourmente institutionnelle qui en a résulté mais qui de toute manière était déjà en germe.

(2) Comment les messages de Paul VI et notamment celui concernant les fumées de Satan pouvaient-ils nous arriver à nous Français, alors que notre pays connaissait une crise des valeurs mises en musique en ce printemps 1968, par ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ou plus exactement depuis plusieurs décennies, avec les que l’on découvre dans toutes leurs ampleurs aujourd’hui !

(3) Cette béatification (comme les canonisations de Jean XXIII et de Jean-Paul II) me paraît être aussi une formidable occasion de découvrir (redécouvrir) le vrai Paul VI et son œuvre véritable, pas ses interprétations par les pro-Vatican II ou des anti-Vatican II et leurs mauvaises raisons à des fins parfois bien plus « idéologiques » que de foi stricto sensu.

* * *

(*) JL Restan a-t-il omis sciemment la phrase qui ouvre ce paragraphe?
Mais un pape qui, aujourd'hui, ne subirait pas la critique manquerait à son devoir devant l'époque.

     

Un hommage du Père Scalese

Il date de juin 2009, alors que venait d'être publiée une biographie par Andrea Torniell, "Paul VI, l'audace d'un Pape".
IL est d'une étonnante actualité:

* * *

(...)
Même si Tornielli « dément les stéréotypes sur Paul VI », ces stéréotypes, à ce qu'il semble, ont du mal à disparaître. Chaque fois qu'on écrit quelque chose sur lui, on répète toujours les habituelles banalités : Pape "hamletique", intellectuel raffiné, distant et incompris des foules, etc, etc.
Mais comment est-il possible qu'on ne se rende toujours pas compte que nous sommes tous victimes de campagnes médiatiques ? Qui a décidé que Jean XXIII et Jean Paul II ont été des Papes aimés des foules, alors que Paul VI et Benoît XVI ne réussissent pas à rencontrer la faveur populaire ? Les media. Mais sommes-nous tellement sûrs que cela corresponde à la réalité ?

Personnellement je considère que Paul VI a été un des plus grands Papes du XXème siècle.
Il a eu un très grand mérite: il a su amener à sa conclusion le Concile (entreprise certes pas facile) et ensuite il a réalisé l'application dudit Concile (entreprise encore plus difficile).
L'Église, grâce au Ciel, est guidée par l'Esprit de Dieu: peut-être y avait-il besoin d'un Pape un tantinet inconscient comme Jean XXIII pour convoquer Vatican II, mais probablement, lui ne se rendait pas compte de ce qui bouillait dans la marmite et de ce qu'allait signifier la convocation du Concile.
Comme le rappelle justement Messori, Papa Roncalli pensait s'en tirer en quelques mois, avec l'approbation unanime des schémas préparés par la Curie Romaine ; il pensait répéter pour l'Église tout entière l'expérience du Synode Romain (et cela en dit long sur l'étalage du « progressisme » du « Bon Pape »).
Une fois le Concile commencé, la Providence songea à changer le chef d'orchestre. Montini était certes bien vu des novateurs (pour son ouverture d'esprit et sa formation), mais bien vite ceux-ci changèrent leur jugement sur celui qu'ils espéraient voir réaliser leurs plans.
Quelles furent donc les « fautes » commises par Paul VI aux yeux du lobby progressiste ?

Avant tout, Papa Montini donna un tournant au Concile : ce qui devait être simplement, selon le programme de Jean XXIII, un concile « pastoral », devint un concile « ecclésiologique », qui se proposait de porter à terme l'oeuvre commencée par Vatican I. Il est évident que de cette façon, on donnait au Concile une valeur doctrinale que, dans les plans initiaux, il n'aurait pas dû avoir.

Une faute encore plus grave fut la « Nota praevia » (note préliminaire) à Lumen Gentium. Les progressistes avaient réussi à faire passer un concept de collegialité qui mettait fortement en cause le primat pontifical. Paul VI, témoignantr d'un grand sentiment de respect envers le Concile, ne voulut pas modifier la constitution qui avait été approuvée, mais voulut qu'elle fût complétée par une « Nota praevia », à la lumière de laquelle elle devait être interprétée, afin d'éviter toute ambiguïté.

Une autre faute de Paul VI fut d'avoir évoqué certains thèmes très « sensibles », sur lesquels aujourd'hui encore, on continue de revenir de manière obsessionnelle : le célibat et la contraception. Je crois que cela, ils ne lui ont jamais pardonné : il avait vidé le Concile ! Lorsque par la suite, dans les deux cas, il confirma l'enseignement traditionnel (avec Sacerdotalis caelibatus et Humanae vitae) on arriva au heurt frontal, qui dure toujours.

Et vous, un Pape comme celui-là, vous le qualifiez d'"hamletique", d'indécis ? Vous plaisantez...

Ils me font rire, aussi les traditionalistes radicaux qui accusent Paul VI d'avoir détruit l'Église.
Mais est-il possible qu'on ne se rende pas compte que Papa Montini, l'Église, il l'a sauvée ? En comparaison avec ce qu'a fait Paul VI, Jean Paul II (« le Grand ») - absit iniuria verbo - disparaît : Papa Wojtyla a trouvé "la bouillie toute préparée" (ndt, expression familière: si è trovata la pappa bell'e fatta) ; les grands choix avaient été déjà accomplis ; il ne s'agissait plus que de réaliser un programme déjà commencé. Paul VI, non : il s'est retrouvé à gouverner l'Église en un moment où tout était mis en discussion ; il n'y avait plus rien de certain ; on ne savait plus ce qu'il était juste de conserver et ce qu'il était possible de changer. Celui qui se chargea de ce "tri" (qui aujourd'hui semble évident, mais ne l'était pas à l'époque) fut Paul VI. L'Église a une immense dette envers lui.

Mais, au-delà des mérites que personne, sinon des sots, ne peut contester, je voudrais ajouter qu'il n'est pas vrai du tout que Papa Montini était distant et donc incompris des gens.
Il avait une humanité extraordinaire qui pouvait être perçue par quiconque l'approchait. J'ai entendu de mes oreilles les petites soeurs qui criaient de leur voix aiguë : « Saint Père, nous t'aimons ! », tandis qu'il passait avec la sedia gestatoria et que les gens couraient pour l'accompagner et l'acclamer. Il est vrai, ce n'était pas les choeurs de stade des pontificats suivants, mais les gens criaient avec spontanéité et simplicité : « Viva il Papa ! ».

Ce fut Paul VI qui commença la pratique des audiences générales du mercredi : il n'y avait pas les foules d'aujourd'hui, naturellement ; mais, peut-être aussi à cause de cela, c'étaient des instants d'une intensité extraordinaire. Je me souviens que, lorsque j'étais étudiant de philosophie à l'Angelicum, comme nous n'avions pas cours le mercredi, quand je pouvais, j'allais à l'audience (à cette époque, c'était très facile d'accéder à la Salle Nervi), pour pouvoir écouter les très belles catéchèses de Paul VI. En plus des contenus, toujours clairs et profonds, c'était un plaisir de l'écouter : il soignait même la forme, choisissait les mots adaptés, les prononçait avec le coeur.
Déjà, le coeur de Paul VI… « si le monde savait le coeur qu'il a, beaucoup le louent mais davantage le loueraient ». Mgr Lefebvre en savait quelque chose, qui fut reçu et embrassé paternellement par Papa Montini.

Cela ne signifie pas que j'acceptais tout de Paul VI. Très souvent je le critiquais, parce que je ne comprenais pas certaines ses attitudes. Par exemple, je n'ai jamais partagé son Ostpolitik. En ce moment, il est beaucoup question de l'accord secret avec l'Union soviétique, pour qu'on ne parle pas de communisme au Concile. Il a été justement fait remarqué qu'il s'agissait d'un accord précédent, souscrit par Jean XIII; mais de toute façon Papa Montini porta en avant cette politique de compromis avec le communisme, que personnellement je n'ai jamais partagé. L'instant de plus grand désaccord fut lorsque Paul VI « s'agenouilla » devant les Brigades Rouges, un geste loué par tous à ce moment, mais que je n'ai jamais compris. Mais ces incompréhensions font partie de la vie et elles n'enlèvent rien à l'estime et à l'affection qui me liaient et me lient toujours à lui.
Je m'en aperçus lorsqu'il mourut : j'éprouvai les mêmes sentiments que j'avais expérimenté l'année précédente, à la mort de mon père. Et je pleurai. Et je crois que je n'ai pas été le seul.

Paul VI pour moi n'est pas seulement un grand Pape; il n'est pas seulement un saint et un docteur de l'Église. Il est un père.